Pierre-Antoine Hildbrand, municipal lausannois de la Sécurité
Chaos à la rue de Genève: «La limite de la tolérance des habitants est atteinte»

Ils attendaient ce moment depuis des mois. A Lausanne, les habitants de la rue de Genève ont enfin pu rencontrer le municipal de la Sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand, sollicité de longue date. Il fait le point pour Blick sur une situation devenue intenable.
Publié: 05:26 heures
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Dernière mise à jour: 08:17 heures
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Pierre-Antoine Hildbrand, conseiller municipal en charge de la Sécurité, a dialogué avec les habitants de la rue de Genève.
Photo: KEYSTONE
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Après avoir touché le fond, la situation à la rue de Genève aurait-elle reçu le petit élan nécessaire pour remonter? La réunion tant attendue entre les habitants du quartier, réunis en collectif, et le municipal lausannois de la Sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand, a eu lieu le 25 juin au soir.

Cette rencontre aurait dû rassembler quarante-cinq voisins, importunés depuis des années par les nuisances cristallisées par l'immeuble du 85. Jour et nuit, le tapage causé par les allées et venues de clients trahit l’activité de revente de drogue qui gangrène cet immeuble identifié comme une base du trafic. Les riverains, à bout, se plaignent d’une insécurité grandissante, de nuits sans sommeil, d’ordures qui s’amoncellent et de vols quasi quotidiens.

Vague d'émotions

Le forum public a pourtant été reporté, la Municipalité craignant l'intervention d'un collectif «anti-police». C'est finalement Thomas, responsable du groupe d'habitants, et six voisins, qui ont discuté avec l'élu libéral-radical (PLR). Un «mal pour un bien», puisque la conversation a duré plus de trois heures, le double du temps initialement prévu. Les services mobilisés pour tenter de contenir la situation et deux conseillers communaux motivés par la cause., la Verte Marlyse Audergon et le PLR Olivier Bloch, complétaient le panel.

Certains témoignages ont tiré des larmes. Beaucoup ont découvert, stupéfaits, l’ampleur réelle du problème. Face à cette situation explosive, le chef de la Sécurité a accepté de faire le point. Interview.

Pierre-Antoine Hildbrand, comment avez-vous vécu cette rencontre?
Ce sont toujours des moments importants lorsque des habitants, exaspérés à juste titre par l'état de leur quartier, peuvent faire part en direct de leur insatisfaction. Je serais mal à l'aise de dire que ça s'est bien passé, ou que j'étais «content». Ça ne rendrait pas justice à l'impact, que j'ai mesuré, de cette situation sur la vie des riverains.

Certains ne remarquent «aucun changement». Vous assurez que le travail est fait. Avez-vous pu dialoguer?
Les habitants éprouvent une certaine fatigue, ils ont tiré la sonnette d'alarme depuis a minima juin 2024. Ils ont parfois l'impression que leurs demandes peinent à se concrétiser, du fait de la multiplication des acteurs publics et privés. Lorsqu'une mesure demandée est prise par un service, puis annulée pour les besoins d'un autre, cela donne l'impression d'un traitement un peu léger, qui n'est pas à la hauteur du problème.

Auriez-vous un exemple?
Oui, l'une des premières demandes relativement simples des riverains a été d'installer une barrière pour fermer partiellement une voie jugée dangereuse (ndlr: la «rue sans nom», à l'arrière du 85). J'étais satisfait de son installation, puis j'ai appris lors de la rencontre qu'elle avait été enlevée.

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Le travail de la police est plus encadré que l’on croit et le contrôle d’identité chicanier n’est pas toléré
Pierre-Antoine Hildbrand, municipal de la Sécurité
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Les agents d'accueil et de sécurité (AAS) déployés par la Ville sont salués par les habitants du quartier. Pourquoi ne sont-ils que deux? Et pourquoi ne pas assurer une présence continue?
Je dois utiliser au mieux les ressources à disposition. Avant d'étendre les horaires de présence, je dois évaluer la situation. Ces agents sont très utiles quand le contrôle social peut s’exercer, ils le sont moins face à des attroupements de personnes durant la nuit par exemple. Je ne veux en aucun cas diminuer l’efficacité des AAS, qui créent du lien et privilégient la résolution de conflits par le dialogue en les confrontant à certaines situations plus délicates. Pour la répression, c’est la police qui accentuera son action.

Faut-il envisager des interventions plus systématiques à l’encontre des personnes soupçonnées d’activités illicites?
Le travail de la police est plus encadré que l’on croit et le contrôle d’identité chicanier n’est pas une pratique tolérée. Lorsque la police contrôle des personnes dont il est avéré qu’elles se livrent à de la vente de drogue, il y a évidemment une dénonciation pénale, une procédure et, le cas échéant, une condamnation. La difficulté, c'est qu'il n'y a pas assez de places de prison pour enfermer les personnes condamnées dans des délais rapides. Ça n’empêchera toutefois pas la police d’agir de façon résolue.

Les voisins estiment les forces de l'ordre «désabusées». Est-ce le cas? Les agents en ont-ils marre d’intervenir dans le quartier rue de Genève-Sébeillon?
Oui, le travail policier est difficile, ce n'est pas simple d'être confronté à la même situation, aux mêmes auteurs récidivistes, alors que le rythme des procédures pénales et d’expulsion est ralenti par le manque de places de prison. Tous les policiers qui travaillent en rue et sont confrontés au trafic de drogue en font l'expérience. Cela pèse sur leur satisfaction au travail, sur leur sentiment du travail accompli. Mais leur action n’est jamais vaine: elle permet notamment d’accumuler les condamnations visant une même personne. La reconnaissance de la population donne aussi du sens à la mission. Les habitants du quartier ont d'ailleurs transmis leur reconnaissance aux policières et aux policiers, tout comme aux agents d’accueil et de sécurité. 

«Très peu de clarté» sur ce qui va changer pour les habitants

Les habitants du quartier rue de Genève- Sébeillon ont eu l'impression d'être entendus. Mais ils s'attendaient à une meilleure compréhension de leur problème par les différents secteurs communaux présents mercredi.

«On en sort un peu frustrés, de cette séance. Ce qui nous frappe, c'est à quel point certains responsables de la Ville ne semblent pas connaître la réalité du terrain», regrette Thomas, au nom du Collectif d'habitants. Certains participants ont ainsi quasi-découvert des problèmes que les riverains évoquent depuis des mois, voire des années. «On sent aussi un décalage entre la communication institutionnelle et la réalité de notre quotidien», ajoute-t-il.

La communication ne serait par ailleurs pas encore complètement transparente. «Au final, il y a très peu de clarté sur ce qui va vraiment changer pour les habitants.» Le Collectif attend des mesures concrètes. Une présence renforcée des agents d'accueil et de sécurité, surtout le soir et durant l'été. «Ensuite, de sanctions contre les propriétaires négligents, comme celui de la rue de Genève 85 par exemple», espèrent les voisins. Et enfin, une coordination efficace entre les services de la Ville. La police, le service social, la mobilité et la propreté, notamment.

L'idéal? Que le quartier se voit attribuer un référent. «Son rôle serait de permettre à la commune d'agir plus rapidement, de recueillir les informations sur le terrain et de les transmettre aux autorités.» Ce que fait à l'heure actuelle le Collectif d'habitants. «Ce travail nous a demandé énormément de temps, beaucoup d'investissement, d'implication personnelle. Si on nous donne ce rôle de référent, alors nous devons avoir une vraie place lors des discussions avec la Municipalité», conclut Thomas.

Les habitants du quartier rue de Genève- Sébeillon ont eu l'impression d'être entendus. Mais ils s'attendaient à une meilleure compréhension de leur problème par les différents secteurs communaux présents mercredi.

«On en sort un peu frustrés, de cette séance. Ce qui nous frappe, c'est à quel point certains responsables de la Ville ne semblent pas connaître la réalité du terrain», regrette Thomas, au nom du Collectif d'habitants. Certains participants ont ainsi quasi-découvert des problèmes que les riverains évoquent depuis des mois, voire des années. «On sent aussi un décalage entre la communication institutionnelle et la réalité de notre quotidien», ajoute-t-il.

La communication ne serait par ailleurs pas encore complètement transparente. «Au final, il y a très peu de clarté sur ce qui va vraiment changer pour les habitants.» Le Collectif attend des mesures concrètes. Une présence renforcée des agents d'accueil et de sécurité, surtout le soir et durant l'été. «Ensuite, de sanctions contre les propriétaires négligents, comme celui de la rue de Genève 85 par exemple», espèrent les voisins. Et enfin, une coordination efficace entre les services de la Ville. La police, le service social, la mobilité et la propreté, notamment.

L'idéal? Que le quartier se voit attribuer un référent. «Son rôle serait de permettre à la commune d'agir plus rapidement, de recueillir les informations sur le terrain et de les transmettre aux autorités.» Ce que fait à l'heure actuelle le Collectif d'habitants. «Ce travail nous a demandé énormément de temps, beaucoup d'investissement, d'implication personnelle. Si on nous donne ce rôle de référent, alors nous devons avoir une vraie place lors des discussions avec la Municipalité», conclut Thomas.

Le 117 est-il compétent pour tous les problèmes du quartier?
On doit encore déterminer la meilleure façon pour la population de dénoncer des situations intolérables, mais qui ne présentent pas de caractère d'urgence. De nombreuses mesures concernent le partenariat public-privé, les interventions par rapport à des gens qui ont de graves problèmes socio-sanitaires, le ramassage des déchets… la limite de la tolérance des habitants est atteinte. Ils méritent notre respect, mais les services d'urgence ne sont pas toujours la solution la plus pertinente. C’est à la Ville de mieux s’organiser pour leur répondre.

Exproprier le bailleur, c'est ce que demandent certains voisins. C'est aussi une piste explorée dans un postulat déposé fin juin par les Vert-e-s du Conseil communal, «si le propriétaire du bâtiment continue de mettre en danger ses locataires et les habitant-e-s des immeubles voisins». Est-ce réellement impossible?
Le droit constitue la base et la limite de l’action de l’Etat. Je ne m’exprimerai pas davantage sur cet immeuble privé.

Combien coûte cet immeuble privé à la commune, entre les AAS, le travail de la voirie ou des équipes socio-sanitaires?
Encore une fois, je ne m'exprimerai pas sur cet immeuble privé. Certains coûts de l'action publique ne sont pas précisément détaillés. C'est le cas des interventions de police par exemple.

«
Il n'y a pas d'expulsions policières sur seule volonté des forces de l'ordre. Elles ne décident pas de façon autonome qui a le droit de loger quelque part, ni jusqu'à quand
Pierre-Antoine Hildbrand, municipal de la Sécurité
»

Certains collectifs militants, vraisemblablement aussi à l’origine du report de la rencontre publique, soutiennent que l’immeuble abrite avant tout des personnes en grande précarité, sans lien direct avec le trafic. Partagez-vous ce point de vue?
Ces gens se trompent de combat, car la réalité ne correspond pas aux idées qu’ils propagent. La police exécute des missions données par le Ministère public. Il n'y a pas d'expulsions policières sur seule volonté des forces de l'ordre. Elles ne décident pas de façon autonome qui a le droit de loger quelque part, ni jusqu'à quand.

Mais prenez-vous en compte leur message?
Je suis un élu local. Je dois travailler dans le cadre de la loi et rendre des comptes aux habitantes et habitants de Lausanne, qui ont droit au respect de leurs exigences de qualité de vie, et souhaitent une action plus ferme contre le trafic de drogue et les conséquences de sa consommation. Les actions de ces militants ne sont pas du tout représentatives de ce que vivent et demandent les habitants. Je comprends parfaitement la déception des riverains après l’annulation de la rencontre. Mais il nous semblait essentiel de leur offrir un véritable espace d’échange, et non un meeting politique opposant activistes et forces de l’ordre.

Les services médico-sociaux sont-ils absents du terrain à la rue de Genève, comme le déplorent certains voisins?
Non, ils sont présents. La représentante du dispositif social de rue a annoncé mercredi soir que ses équipes seraient renforcées pour mieux orienter les personnes toxicodépendantes vers des lieux adéquats comme les espaces de consommation sécurisés.

Et la voirie? La saleté ambiante est également dénoncée par les riverains.
Le mode de fonctionnement des services d'entretien a déjà été renforcé, notamment par rapport à d'autres quartiers. Le voisinage l'a remarqué. Vu la tension dans ce secteur, et la perte de confiance envers les autorités, nous nous devons d’assurer un effort continu, et pas juste une action momentanée.

La Municipalité a-t-elle collaboré avec les CFF pour toutes les questions concernant le terrain leur appartenant?
Juste avant de rencontrer les habitants, j’étais avec les CFF. Une délégation de la Ville les rencontre souvent, autour de nombreux sujets. La situation sur le terrain leur appartenant a été abordée, mercredi, pour renforcer le nettoyage, la prévention sécuritaire et l'installation de mesures architecturales, afin d'éviter certains comportements.

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Nous sommes redevables aux habitants de ce quartier pour tout ce qu’ils ont vécu et vivent encore
Pierre-Antoine Hildbrand, municipal de la Sécurité
»

À qui revient aujourd’hui la responsabilité de répondre à ce que vivent les habitants: au propriétaire, à la police, à la Ville, à personne?
Généralement, on demande une intervention policière quand on ne sait plus comment se sortir d'un problème. La police est bien outillée pour travailler au pic d'une situation. C'est plus compliqué lorsqu'il s'agit d'intervenir dans la durée, face à des personnes parfois insensibles aux sanctions ou lorsque celles-ci arrivent trop tard. Ou face à une configuration où coexistent, dans un même quartier, de nombreuses personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants, un important va-et-vient de consommateurs, et des acteurs privés qui ne déploient peut-être pas tous les efforts attendus pour améliorer la situation.

Etes-vous tiraillé de toutes parts? Entre ceux qui exigent plus de répression, ceux qui s'y opposent, la lassitude des agents de police?
C’est mon rôle et ma fonction. Il faut viser l’efficacité, s’efforcer d’être juste et persévérer. 

La rue de Genève sera-t-elle un jour apaisée?
Nous sommes redevables aux habitants et à la population de ce quartier pour tout ce qu’ils ont vécu et vivent encore. Je suis persuadé qu’avec la mise en service du tram et des efforts faits et à venir dans le quartier, son avenir sera meilleur. On y travaille tous les jours.

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