Vladimir Poutine doit réviser son vocabulaire. Et c’est urgent. Tel est le message que l’envoyé spécial américain Steve Witkoff a passé ces derniers jours à ses interlocuteurs russes, comme le révèle un enregistrement obtenu et publié par l’agence Bloomberg. «Il le félicitera, il dira que Monsieur Trump est vraiment un homme de paix» promet, dans cette conversation, un proche conseiller du président russe. Message clair: tout échange avec le locataire de la Maison-Blanche passe maintenant, d’abord, par des remerciements et par un éloge destiné à conforter sa stature de pacificateur.
Depuis la publication, mardi 25 novembre, de cet échange entre l’ancien avocat new-yorkais et Iouri Ouchakov, conseiller de Poutine, les commentaires pleuvent pour dénoncer la quasi-trahison de Steve Witkoff, attendu en Russie ces prochains jours pour sa cinquième visite sur place depuis l’investiture de Trump, le 20 janvier 2025.
L’oreille de Trump
Sauf que ce jugement, porté par la plupart des observateurs, rate l’essentiel. L’homme qui a l’oreille de Trump ne fait que répéter ce qu’il entend dans le Bureau ovale. La Russie, aux yeux de Trump version novembre 2025, doit publiquement se montrer redevable d’un éventuel cessez-le-feu en Ukraine. Vladimir Poutine, aussi menaçant soit-il, doit accepter de remercier Trump et ses équipes. Cette stratégie «du vassal» est désormais bien rodée. Elle est d’ailleurs désormais appliquée par les Européens qui, à chaque occasion, remercient Trump pour ses initiatives, comme ils viennent de le faire à propos du plan américain en 28 points (largement amendé dimanche 23 novembre à Genève). La diplomatie suisse a aussi dû se mettre au diapason, pour obtenir une renégociation des 39% de tarifs douaniers.
A quoi ressemblent, dès lors, les concessions verbales que va devoir faire le maître du Kremlin, dont les échanges avec Trump ont abruptement cessé à Anchorage, en Alaska, le 15 août dernier, après deux heures d’échanges environ?
Premier changement indispensable: répéter toujours le même mantra. C’est ce que fait Trump en permanence. Or dans ce cas précis, avec l’Ukraine, Poutine doit selon Witkoff aller davantage droit au but. Plus de leçons d’histoire sur le passé commun entre les pays frères slaves. Plus d’évocation du sort des minorités russophones. Il faut directement aborder la question centrale de la cession de territoires par l’Ukraine. Combien? Comment? C’est ce que Trump, l’ancien promoteur immobilier, aime plus que tout: parler de terrains et jauger leur valeur. En bref, le maître du Kremlin doit faire moins de politique et se concentrer davantage sur les cartes géographiques.
Féliciter le président…
Seconde leçon pour parler «à la Trump»: toujours louer les efforts du locataire de la Maison-Blanche. «Peut-être que le président Poutine pourrait dire au président Trump… », argumente Steve Witkoff au téléphone, avec le diplomate Iouri Ouchakov. Sa méthode, s’il était Poutine? «Je ferais l’appel et je réaffirmerais simplement que tu félicites le président pour cette réussite, que tu l’as soutenue, que tu respectes le fait qu’il est un homme de paix et que tu es vraiment heureux d’avoir vu cela se produire. Donc, je dirais ça. Je pense qu’à partir de là, ce sera un très bon appel.» Pas question donc pour la Russie de se positionner comme un égal des Etats-Unis. La formule clé pour satisfaire Trump: scander tous ses propos de «merci Monsieur le président».
Troisième conseil: tout découper en points. La conversation révélée par Bloomberg s’est tenue, pour rappel, au lendemain du plan américain pour Gaza, qui a finalement été accepté et qui a abouti à un cessez-le-feu dans le territoire palestinien (où les Israéliens continuent néanmoins de frapper régulièrement). Pourquoi en points? Parce que c’est simple. Parce que l’obligation de tout résumer en quelques phrases permet le flou. Exemple avec le point 10, absolument crucial puisqu’il concerne les garanties de sécurité futures données à l’Ukraine: «Les Etats-Unis recevront une compensation pour la garantie de sécurité. Si l’Ukraine envahit la Russie, elle perdra cette garantie», énonce entre autres le texte. Quelle compensation? Quelle garantie? C’est sur ces sujets que les Européens ont bataillé à Genève dimanche, ramenant le plan à 19 points au lieu de 28.
Sacrifier l’Ukraine
Steve Witkoff est-il l’homme de Moscou, prêt à sacrifier l’Ukraine et son avenir pour sceller le «deal» entre la Russie et les Etats-Unis? Sans doute. Rien de neuf en la matière d’ailleurs. L’ancien avocat new-yorkais répète partout son admiration pour Poutine et pour la capitale russe, où il rêve sans doute de faire du business. A-t-il dépassé les bornes en briefant ses interlocuteurs russes sur la meilleure manière de parler à Trump? Non. Tout cela est logique. L’obsession trumpiste du prix Nobel de la paix n’est jamais loin. Le 47e président des Etats-Unis a un seul logiciel: le sien.