Karin Keller-Sutter met en garde
«Si l'initiative sur les successions passe, nous serons tous perdants»

Le 30 novembre, la Suisse votera sur l'initiative sur les successions. Karin Keller-Sutter, présidente de la Confédération et ministre des Finances, s’oppose fermement au projet, estimant dans une interview pour Blick que son adoption rendrait tout le monde perdant.
Publié: 06:21 heures
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Dernière mise à jour: 07:08 heures
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Karin Keller-Sutter en est convaincue: si la Suisse introduisait un nouvel impôt sur les successions, elle serait perdante.
Photo: Thomas Meier
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Ruedi Studer, Lucien Fluri et Thomas Meier

Le 30 novembre, l'initiative des Jeunes Socialistes sur l'impôt sur les successions sera soumise au peuple. La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter veut à tout prix éviter un succès de la gauche en votation. Autour d'un café dans son bureau, elle explique à Blick pourquoi l'initiative nuirait à la Suisse.

Karin Keller-Sutter, des super-riches quitteraient déjà la Suisse par peur de l'initiative sur l'impôt sur les successions. Combien d'appels téléphoniques avez-vous déjà passés pour convaincre des milliardaires de rester?
J'ai été approchée par des entrepreneurs lors de plusieurs manifestations. Sinon, j'ai surtout eu des contacts avec des directrices et directeurs cantonaux des finances. L'inquiétude est grande, surtout dans les cantons à fiscalité avantageuse, où les personnes fortunées sont nombreuses. Elles se renseignent sur l'initiative et prennent déjà des dispositions.

Selon les derniers sondages, le non l'emporte. Ils peuvent se détendre.
Les sondages sont des sondages. La décision ne sera prise que le jour où l'on votera.

«
Il ne faut pas prétendre que les impôts sur les successions n’existent pas déjà
Karin Keller-Sutter, présidente de la Confédération
»

La performance a été importante dans votre vie, vous avez tout gagné par vous-même, sans héritage. Ne serait-il pas juste et libéral que tout le monde soit sur un pied d'égalité et que certains n'héritent pas autant?
Il ne faut pas prétendre que les impôts sur les successions n’existent pas déjà: à l’exception d'Obwald et de Schwytz, tous les cantons en prélèvent. Toutefois, dans de nombreux cantons, le peuple a supprimé cet impôt pour les enfants et le conjoint survivant. Je considère juste que l'on puisse transmettre à ses proches ce que la famille a construit.

Mais il ne s'agit pas d'héritiers ordinaires, mais de très gros montants de plusieurs millions que l'initiative veut imposer.
La Suisse est l'un des rares pays de l'OCDE à connaître un impôt sur la fortune. La fortune est donc déjà imposée avant la succession, et les héritiers paient eux aussi à nouveau des impôts sur la fortune, et ce chaque année. D'autres pays n'ont pas d'impôt sur la fortune, mais un impôt sur les successions. Il faut donc considérer le paquet global.

Mais l'offre suisse est tout à fait attractive. Les Allemands s'y sont installés en raison des impôts sur les successions moins élevés, les Norvégiens fortunés déménagent justement en Suisse parce qu'ils y paient moins d'impôts.
La Suisse attire les personnes fortunées, c'est certain. Cela profite à tout le monde. Ces personnes paient beaucoup d'impôts et contribuent au financement de notre Etat. Nous avons tout intérêt à rester attractifs pour de telles personnes. Ce ne serait plus le cas si l'initiative était acceptée.

Si l'on regarde la liste des 300 Suisses les plus riches, leur fortune ne cesse d'augmenter. Une légère hausse de leur impôt ne leur ferait pas de mal.
Vous soulevez la question des inégalités de patrimoine, mais cette initiative n’aiderait pas les plus pauvres: de nombreuses personnes fortunées partiraient pour échapper à l'impôt et préserver leur fortune. Le 1% les plus aisés contribue déjà à 40% des impôts sur la fortune et le revenu. Une partie de ces recettes serait perdue, et nous serons tous perdants. 

Les journalistes Ruedi Studer et Lucien Fluri en interview avec la présidente de la Confédération.
Photo: Thomas Meier

En tant que ministre des Finances, des recettes supplémentaires de plusieurs milliards devraient vous réjouir.
Si elles existaient. Si les personnes fortunées ne réagissaient pas, la Confédération pourrait encaisser environ 4 milliards de francs. Mais les personnes fortunées vont réagir! Une estimation de l'Administration fédérale des contributions basée sur une étude scientifique montre que beaucoup déménageraient et que 85 à 98% de leurs avoirs pourraient ainsi être transférés à l'étranger. Selon le scénario, nous n'encaisserions alors un peu plus d'un milliard de recettes supplémentaires. Parallèlement, les recettes fiscales de la Confédération, des cantons et des communes diminueraient nettement en raison des départs. Cela signifie qu'au bout du compte, le résultat net pourrait être négatif. Personne n'en profiterait.

La Suisse est à la traîne dans ses objectifs climatiques. Le fait que l'initiative veuille investir les recettes supplémentaires dans la protection du climat ne semble donc pas être une mauvaise idée.
A elle seule, la Confédération met à disposition chaque année plus de 2 milliards de francs dans le domaine du climat. Les entreprises dépensent également beaucoup d'argent pour la protection du climat, tout comme les particuliers, les communes et les cantons. Et nous sommes largement sur la bonne voie en ce qui concerne les objectifs climatiques.

Avec le paquet d'allègement budgétaire 2027 que vous prévoyez, vous voulez justement économiser sur le Programme Bâtiments, et donc sur le climat.
En réalité, ce plan ne permettra pas de réaliser d'économies. Il ne fera que ralentir la croissance des dépenses. La Confédération dépense aujourd’hui près de 86 milliards de francs, et ce montant passera à 93 milliards d’ici 2027, même avec ce paquet. Pour le Programme des Bâtiments, nous ciblons les fonds présentant de forts effets d’aubaine : cela signifie que nous versons des subventions alors que les chauffages auraient de toute façon été rénovés ou les installations solaires construites. C’est inefficace. Alors pourquoi mettons-nous en place ce paquet? Il permet aussi de financer la 13e rente AVS et le développement de l’armée, entraînant un certain redéploiement des dépenses.

Ces dernières années, les comptes ont souvent été meilleurs que prévu au budget. Le paquet d'allègement est-il vraiment nécessaire?
Depuis 2020, la Confédération a toujours clôturé ses comptes avec un déficit et, selon les projections actuelles, nous prévoyons pour cette année un déficit de 600 millions de francs au lieu de 800. Les plans financiers des prochaines années sont malheureusement clairs, il y manquera chaque fois entre 2,5 et 4,5 milliards de francs sans le paquet d'allègement. Les coûts de la 13e rente AVS et de l'extension de l'armée ne peuvent pas être écartés d'un revers de main. Nous devons combler cette lacune de financement.

Malgré cela, le paquet est sous le feu des critiques. L'imposition plus élevée de l'argent des rentes n'a aucune chance auprès des partis bourgeois. Pourquoi vous y tenez?
Il s'agit des retraits de capitaux, aujourd’hui beaucoup moins imposés que les rentes. Certes, notre problème principal concerne les dépenses et non les recettes. Nous dépensons trop! Cependant, lors de la consultation, nous avons aussi soutenu des mesures pour augmenter les recettes. Cela inclut une imposition plus élevée des retraits importants des deuxième et troisième piliers, ainsi que des revenus issus de la mise aux enchères des contingents tarifaires agricoles.

Au Parlement, le paquet d'économies risque d'être revu à la baisse, car personne ne veut toucher à ses soutiens.
Le lobbying a énormément augmenté ces dernières années. Mais je considère que ce n'est pas le rôle du contribuable de subventionner tout et n'importe quoi. Nous devons fixer des priorités et réduire temporairement certains postes. Le Conseil fédéral a pris ses responsabilités, la balle est maintenant dans le camp du Parlement. C'est lui qui détient la souveraineté budgétaire.

Même si le Parlement fait du sur-place, le dernier obstacle reste le peuple.
Beaucoup pensent encore que la Confédération dispose de ressources illimitées, et c’est là le problème. La Confédération, c’est nous tous, ses finances nous concernent donc directement. Si nous n’arrivons pas à concrétiser en grande partie le paquet d’allègement budgétaire, il ne restera que deux options: réduire les dépenses non contraintes par la loi ou augmenter les impôts.

Vous deviendriez alors la ministre des augmentations d'impôts?
Le Parlement devrait décider s'il veut augmenter les impôts. Mais dire au peuple: «Nous manquons déjà d'argent, et maintenant il nous en faut encore plus parce que nous ne pouvons pas nous mettre d'accord sur des réductions», je trouverais cela un peu fort.

Votre année de présidente de la Confédération touche à sa fin. Quel est votre bilan?
Il y a eu beaucoup de moments impressionnants, par exemple la participation aux célébrations de la libération du camp de concentration d'Auschwitz. J'y ai été accompagné par deux suisses juifs âgés de plus de 90 ans qui y étaient prisonniers lorsqu'ils étaient enfants. Cela m'a beaucoup touchée. Tout comme l'éboulement de Blatten. J'ai aussi été impressionnée par le nouveau pape Léon XIV, que j'ai rencontré deux fois.

Mais avec les droits de douane de Trump, ce fut aussi une «année terrible» qui a égratigné votre réputation.
Le fait que j’étais présidente de la Confédération lorsque le président Trump a annoncé ses droits de douane n’était qu’un hasard. J’ai assumé mes responsabilités et l’ai contacté par téléphone. Il n’était pas d’accord avec l’accord négocié, point final. Il faut vivre avec. Mais les discussions continuent.

Mardi, des représentants d'entreprises suisses ont rencontré le président américain Donald Trump. Voyez-vous une chance d'aboutir à un happy end cette année encore en ce qui concerne les droits de douane?
Je ne peux pas répondre à cette question. Le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) est en contact avec les autorités américaines. En fin de compte, c'est au président américain de décider s'il veut ou non accepter un accord.

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