Un nouveau sondage SSR confirme le rejet à plus de 60% de l’«initiative pour l’avenir», qui veut taxer les successions et donations de plus de 50 millions de francs, en vue de financer le climat et le social: 49% des sondés se disent «contre», et 13% se disent «plutôt contre». Soumise au vote le 30 novembre prochain, l’initiative des Jeunes socialistes suisses (JSS) mobilise au plus haut point les milieux économiques. Le Conseil fédéral la rejette également, et la présidente Karin Keller Sutter (PLR) le combat personnellement dans une récente interview à «24 Heures». Blick a sollicité la réaction de Julien Berthod, vice-président des JSS.
Julien Berthod, que pensez-vous du rejet anticipé de votre initiative par la population?
Nous sommes conscients qu’on est dans une situation de David contre Goliath, face au camp bourgeois qui représente les ultra-riches. Il y a un déséquilibre de moyens, qui se reflète aussi dans ces sondages. Mais on se rend compte aussi que la population fait mieux le lien entre la crise climatique et les inégalités de richesses. Notre campagne aura permis de faire ce progrès.
Alors pourquoi la population se prononce-t-elle contre l’initiative?
Parce qu’il y a eu un matraquage médiatique qui a été mené grâce à d’importants financements. Des millions ont été consacrés à la campagne contre l’initiative, avant même que l’on ait ne serait-ce que la date de la votation. C’est un sujet qui fait peur aux milieux concernés, qui craignent pour leurs intérêts personnels.
Pourquoi les Suisses, eux, ont plus peur des Jeunes socialistes que des ultra-riches?
Car les gens pensent que l’initiative va s’attaquer aux PME et à la classe moyenne. Ils entendent les opposants dire cela, et agiter la menace de pertes d’emplois. Ce qui est extrêmement faux, car l’initiative ne s’attaque pas aux PME, mais à 2000-2500 personnes en Suisse, qui sont réellement concernées, à l’instar du groupe de shipping MSC qui appartient à la richissime famille Aponte, et qui est une des entreprises les plus polluantes en Europe.
Est-il si difficile de clarifier l’idée qu’il n’y a que 2500 personnes concernées?
Il est aisé d’agiter des peurs auprès de la population, car les coûts de la vie augmentent. Avec une population menacée de précarité, on voit que la propagande fait de l'effet. Or c’est ce type d’initiative qui aiderait les plus modestes. Mais l’idéologie néolibérale a été promue durant des dizaines d'années à travers l'éducation. Alors nous comprenons que la population vote parfois contre ses intérêts. Mais nos vrais adversaires, ce n’est pas la population, ce sont les milieux économiques qui ne protègent que leurs propres intérêts et ceux des propriétaires, et non des salariés.
Il y a aussi toute une population aisée, mais pas ultra-riche, qui a peur…
Oui les épargnants moyens ont peur car ils ont été éduqués dans un système où chacun pense pouvoir devenir plus riche. Or c’est illusoire. On doit naître riche, dans la plupart des cas. La fortune des 300 plus riches de Suisse a plus que doublé durant les 20 dernières années, et les 1% les plus riches possèdent les 40% des richesses. Il n’y a pas, ou très peu, de nouvelles fortunes qui se créent, ou de gens qui sortent de la précarité, sans qu’il y ait redistribution, vers des mesures écologiques et aussi sociales.
Avec votre initiative 99%, rejetée en 2021, les gens ont aussi eu peur. L’histoire se répète?
C’était en effet la même situation. On voulait taxer les revenus du capital 1,5 fois plus que les revenus du travail, mais c’était à partir d’un certain seuil, assez élevé pour ne pas du tout toucher les PME. Et, comme d’habitude, les mêmes arguments ont été matraqués, comme quoi les PME et entreprises familiales allaient toutes être touchées.
Et aujourd'hui, estimez-vous être assez clairs?
Contre le projet actuel, l'initiative pour l'avenir, le camp bourgeois brandit aussi la menace que les entreprises familiales vont être touchées. En utilisant ce terme, la droite veut faire passer l’idée que ce sont les petites boulangeries ou les kiosques qui vont être touchés. Or non, car le seuil pour l'impôt est à 50 millions. Il y a très peu d’actionnaires uniques qui ont autant d’argent individuel dans des PME. C’est vraiment une extrême minorité qui sera touchée.
Mais ne dit-on pas aux petits entrepreneurs «vous serez les suivants»?
En effet. Et c’est exactement ce qu’on veut éviter avec l’initiative. Car il faudra que quelqu’un paie la facture climatique. La question, c’est qui va payer. Si l’on ne fait rien, cela va retomber sur la population en général. Or comme on l’a vu avec la taxe CO2, la population ne veut pas financer la transition car elle n'en a pas les moyens. En revanche, nous avons une catégorie qui a un mode de vie de luxe, très polluant, et qui ne veut pas financer la transition climatique et sociale. Or, ils et elles doivent passer à la caisse si nous ne voulons pas que ça soit aux salariés précaires de le faire.
L'idée de la redistribution des richesses est-elle morte en Suisse?
Si c’était vrai, on irait droit au mur. Mais je n‘y crois pas. Face à une population de plus en plus précaire et en colère, soit le changement va se passer de manière correcte, par les urnes, soit nous allons basculer dans des tensions sociales qui vont devenir invivables pour tout le monde. Nous nous mobilisons donc collectivement pour avoir le nombre face à l’argent. Il y a encore des contre-pouvoirs qui peuvent être utilisés.
Mais n’est-ce pas devenu impossible d’augmenter les impôts des plus riches depuis des années?
On vit dans un mode libéral, où l'on s’attaque au service public, puis on baisse les impôts des plus riches. On voit aussi des tentatives de faire des services publics à deux vitesses. Or avec la crise climatique, on est face à la plus grande crise de notre histoire. Soit on taxe les plus riches, soit on va dans le mur.
Le Conseil fédéral mène campagne contre votre initiative et KKS la combat personnellement. Est-ce normal?
Nous avons un Conseil fédéral avec majorité bourgeoise qui s’intéresse uniquement aux intérêts des plus riches. Le taux de profit de ces derniers baisse, actuellement, avec les tensions internationales, et ils ont peur. Le PLR est soutenu par tous les lobbies économiques, qui financent ses campagnes. Le Conseil fédéral roule pour les ultra-riches. Cela explique la perte de confiance dans les institutions démocratiques de ce pays. Beaucoup ne se sentent pas représentés par ces instances.
Au final, on peut toujours vous répondre que la population ne veut pas de cette initiative?
Nous comprenons que les gens n’aient pas envie de taxer les riches. S’ils sont précaires, ou pauvres, leur seul espoir est de devenir eux-mêmes riches pour sortir de la situation où on se casse le dos à travailler. Beaucoup s’accrochent à ce rêve de réussite individuelle.
Ce rêve est-il réaliste?
Non. Nous estimons que la seule solution est une sortie collective par une redistribution des richesses. Nous comprenons que ce soit difficile à comprendre. Mais l’initiative a fait passer un message: un récent sondage gfs.bern/SFR montre que pour un nombre croissant de personnes, les ultra-riches constituent un danger pour le climat et la démocratie. Nous avons planté une graine, qui se verra par la suite à travers d’autres votations. Nous livrons une bataille qui s’inscrit sur le long terme.