Lors du «Liberation Day», le 2 avril, le président américain Donald Trump annonçait au monde entier ses droits de douane sur les importations. Quelques mois plus tard, la Suisse en a fait les frais.
Depuis le 1er août, les Américains nous harcèlent avec une hausse de 39% des prix des exportations helvétiques. Et les Suisses se demandent: pourquoi Trump s'acharne-t-il contre nous? Seuls le Brésil, l'Inde, la Syrie, le Laos et le Myanmar sont en plus mauvaise posture.
Toute tentative de sauvetage diplomatique a été vaine. La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le ministre de l'Economie Guy Parmelin sont rentrés bredouilles de Washington et ont du expliquer ce fiasco de politique étrangère à l'opinion publique.
Des ennuis à la Maison Blanche
L'appel de 34 minutes de Karin Keller-Sutter avec le président américain le 31 juillet est au cœur des discussions. Le week-end dernier, Blick a rendu publics certains détails de cette conversation: le président Américain s'est exprimé de manière grossière, a posé des exigences financières et s'est montré condescendant envers ses propres négociateurs.
Cette révélation n'est pas restée sans conséquences. Les proches du gouvernement américain ayant participé directement ou indirectement aux contacts bilatéraux entre Washington et Berne ont réagi avec colère à cette fuite. Selon eux, ces contenus colportés contiennent certes une part de vérité, mais «there's another side of the story», il y aurait une autre version de l'histoire.
Blick s'est entretenu avec des informateurs ayant personnellement accès aux membres du cabinet de Trump et au président lui-même. Ces informateurs ont eu accès au protocole téléphonique des Américains. Selon eux, l'intervention de Karin Keller-Sutter, sa conversation téléphonique avec Trump, a joué un rôle bien plus grave dans l'échec de l'accord commercial. Selon l'interprétation américaine, cet appel de la présidente de la Confédération est le seul responsable de ce fiasco.
Ouin-ouin fait le président américain
Karin Keller-Sutter a mis le président américain sur les nerfs en réagissant à sa remarque sur le déficit de 40 milliards dans le commerce avec la Suisse. Au lieu de flatter Trump et de lui promettre un déficit plus faible, elle l'a corrigé, une erreur diplomatique fatale. «Elle ne m'a pas écouté», s'est plaint Trump plus tard. Conséquence de cette blessure narcissique: la Suisse est pratiquement le seul pays à avoir un droit de douane plus élevé qu'annoncé, malgré un lobbying intensif.
Mais selon les informateurs de Blick, l'esclandre a pris une tournure bien plus dramatique que nous le pensions. Karin Keller-Sutter n'a pas seulement corrigé Trump, mais l'a humilié – selon Washington – en lui donnant un cours accéléré d'une demi-heure sur l'économie nationale et l'économie politique. L'exposé a dû le mettre tellement en colère que, selon ces sources, il a signalé à ses collaborateurs immédiatement après la conversation téléphonique qu'il ne voulait plus jamais traiter avec cette femme politique.
La veille du 1er août, la Maison Blanche avait décidé que tant que Karin Keller-Sutter serait présidente, la Suisse n'obtiendrait pas de droits de douane plus bas. «Il en a définitivement assez d'elle», confie un informateur. Une autre source ajoute: «Jamais un président américain en exercice ne s'est laissé traiter de la sorte pendant plus d'une demi-heure par la présidente d'un autre pays. Bill Clinton aurait raccroché au bout de dix minutes. Même Barack Obama ne se serait pas laissé faire».
«C'est un problème personnel»
Les critiques concernent aussi les propos de Keller-Sutter après l'entretien avec Trump: le président n'a jamais prononcé le mot «vol» concernant la balance commerciale négative, selon le procès-verbal.
Donald Trump semble avoir pris cette affaire très personnellement, comme il l'a souligné à plusieurs reprises par la suite. Selon certaines sources, il a répété, tant en interne que lors de ses apparitions, à propos du litige douanier avec la Suisse: «This is not a country problem. It's a personality problem» («Ce n'est pas un problème de pays, mais un problème de personnalité»).
Si la Suisse veut encore obtenir un accord, elle devra peut-être mandater quelqu'un d'autre. Il faut préciser que Donald Trump a par la suite qualifié Keller-Sutter de «gentille» et a affirmé qu'il ne se souvenait pas d'elle au départ.
Dans une interview accordée à Blick en juillet, Karin Keller-Sutter avait déclaré: «J'ai grandi avec trois frères aînés. Nous partagions la même chambre. Cela m'a marquée. Je devais me soumettre. Mais je devais aussi me battre. Je devais toujours avoir de bons arguments». En cette soirée mémorable du 31 juillet, la politicienne a fait une erreur de calcul. Elle ne s'adressait pas à l'un de ses frères, mais à Donald Trump, un homme persuadé d'être le maître de l'univers.
Le contre-exemple d'Ursula von der Leyen
Des questions désagréables se posent à présent: Karin Keller-Sutter a-t-elle fait échouer les négociations avec les Etats-Unis en faisant cavalier seul? Son appel inconscient a-t-il suffit pour faire vaciller la Suisse? L'appel de Trump pourrait être un coup de tonnerre dans la carrière de la magistrate, habituée au succès et dont le parcours politique n'a jusqu'à présent été qu'une ascension, depuis son poste de directrice de la sécurité de Saint-Gall, son rôle de combattante contre les hooligans jusqu'à la gestion de la crise du Credit Suisse en tant que ministre des Finances.
Ursula von der Leyen est un contre-exemple au fiasco suisse. La présidente de la Commission européenne s'est lancée dans le conflit douanier avec des points de retard face à la Maison Blanche. Le président américain ne l'apprécie guère. Au début, ses tentatives de rallier les Européens à une stratégie anti-Trump ont aussi échoué.
Le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Friedrich Merz et la Première ministre italienne Georgia Meloni se sont rendus à la Maison Blanche, ont pris leurs distances avec Ursula von der Leyen et ont opté pour un ton doux. La présidente de la Commission a alors changé de cap, s'est alignée sur les chefs d'Etat et fait en sorte que l'Union européenne, peu appréciée à Washington, s'en sorte avec 15% de droits de douane.
Un bouc émissaire facile
Mais le camp adverse aussi a son propre agenda: de nombreux acteurs impliqués dans le dossier se retrouvent sciés après le choc des droits de douane, notamment les ministres de Trump, désavoués par les passages publiés de l'entretien. Ils ont tout intérêt à faire porter la responsabilité de l'échec à Karin Keller-Sutter.
Malgré tout, la décision d'imposer un droit de douane de 39% à l'économie suisse a été prise par Donald Trump et personne d'autre. Karin Keller-Sutter l'a déjà souligné à plusieurs reprises: elle a toujours agi dans l'intérêt de son pays, même pendant ces 34 minutes.
Si la gifle de Washington est particulièrement douloureuse, c'est parce que les négociations intergouvernementales avant l'esclandre sont encore louées par les deux parties. Le département de l'Economie de Guy Parmelin, le Secrétariat d'Etat à l'Economie (Seco) et le département des finances de Karin Keller-Sutter ont fait un excellent travail, d'après des sources au gouvernement américain, convaincus qu'un droit de douane de 10 à 15% pour la Suisse était à portée de main.
Des signaux positifs pour la Pharma
Les discussions avec des sources américaines sont porteuses d'espoir pour la branche pharmaceutique. Ses produits sont majoritaires dans les exportations suisses et en délocalisant la production aux Etats-Unis, ils préparent le terrain pour un accord avec Washington. De plus, des signaux indiquent que le gouvernement américain veut recommencer à s'occuper des accords commerciaux en suspens dès l'automne, la Suisse pourrait en profiter.
Le département des finances de Karin Keller-Sutter a refusé de commenter les derniers développements et ajoute qu'il n'y a pas de conflit personnel avec la Maison Blanche. Le statut de Karin Keller Sutter comme persona non grata à Washington est contesté dans les milieux diplomatiques suisses.
Selon eux, l'esclandre pourrait faire partie de la tactique de négociation américaine. De toute façon, une chose est sûre: l'affaire dépend exclusivement de Donald Trump, et tout le monde sait combien il est imprévisible.