Une grave erreur de jugement
Face à Trump, Karin Keller-Sutter a sûrement été trop naïve

La conseillère fédérale Keller-Sutter pensait être sur la voie du succès diplomatique, mais aujourd'hui, la Suisse subit de plein fouet les mesures douanières de Trump. De l'espoir au désespoir en quelques semaines, voici le bilan de cet excès de confiance.
Publié: 01.08.2025 à 14:16 heures
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La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter est sous pression.
Photo: keystone-sda.ch
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Lucien Fluri, Sven Altermatt et Tobias Bruggmann

Karin Keller-Sutter semblait surfer sur la vague du succès. Au printemps, le monde entier a tremblé face à l'annonce des droits de douane du président américain Donald Trump. Chanceliers, Premiers ministres et chefs d'Etat du monde entier ont tenté d'éviter le pire pour leur pays. Mais peu d'entre eux se sont infiltrés dans l'administration américaine aussi vite que la présidente de la Confédération. 

Ces dernières semaines, tout allait bien. Berne était convaincue d'avoir évité le pire et un accord avec les Etats-Unis paraissait à portée de main. Mais la Suisse est aujourd'hui dans un champ de ruines. Trump a décrété de lourds droits de douane à hauteur de 39% sur les importations suisses. La nouvelle est tombée au petit matin ce vendredi 1er Août, jour de Fête nationale.

Tandis que des feux d'artifice se préparent dans tout le pays, Washington a frappé un grand coup de massue. Cet après-midi, Karin Keller-Sutter prononcera son discours pour la Fête nationale depuis le sommet du Grütli, une symbolique on ne peut plus brutale. Nous sommes passés de «l'art du deal» à «l'art du no deal»! 

I. Choc dans la roseraie de Trump, espoir à Genève

La situation de la Suisse est encore pire qu'au début du mois d'avril, lorsque Trump avait annoncé depuis la roseraie de la Maison Blanche qu'un tarif douanier de 31% – plus élevé que celui de l'UE – s'appliquerait à l'avenir aux produits suisses. Un vrai choc qui s'est pourtant rapidement transformé en optimisme. 

Début mai, la présidente de la Confédération et le ministre de l'Economie Guy Parmelin ont rencontré le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent à Genève, une rencontre que de nombreux pays enviaient à la Suisse.

Cet échange a été possible grâce aux négociations menées par des représentants de la Chine et des Etats-Unis. La Suisse était fière: grâce à sa médiation et à ses bons offices, elle jouait un rôle dans les événements mondiaux. Les personnalités les plus influentes avaient fait le déplacement, et le gouvernement avait pu organiser une réunion au plus haut niveau.

L'entretien de Keller-Sutter avec le secrétaire au Trésor américain avait apporté une lueur d'espoir: «Nous espérons être les seconds à conclure un accord», a-t-elle déclaré. «Nous sommes tous deux déterminés à trouver une solution rapide».

II. Un appel qui fait le tour du monde

En avril déjà, Karin Keller-Sutter avait téléphoné à Trump et donné des raisons à la population d'être optimiste. Sa démarche a été vue comme un véritable coup de maître diplomatique: elle avait réussi à établir un contact direct avec l'homme le plus puissant du monde. La conseillère fédérale a reconnu ne pas avoir son numéro de téléphone, mais a affirmé qu'il avait le sien et s'est montrée pleine d'espoir. «J'ai eu l'impression que les deux parties voulaient trouver une solution», a-t-elle déclaré. Des semaines plus tard, en juillet, Karin Keller-Sutter en a remis une couche: «J'ai manifestement trouvé un moyen de le contacter personnellement

Peu après la fin de cet entretien téléphonique en avril, Trump a temporairement réduit les droits de douane punitifs à 10% pour tous les pays. De quoi propulser Karin Keller-Sutter sous le feu des projecteurs à l'international. Même les médias américains se sont interrogés: avait-elle su trouver les mots avec Trump, elle qui parle parfaitement anglais? 

III. Comprendre Trump ou le sous-estimer?

En février, Karin Keller-Sutter a déclaré à la RTS qu'elle s'était préparée à l'arrivée de Trump. Elle a même dit avoir lu le livre de Trump «The Art of the Deal» à Noël. Malgré tout, elle s'est montrée lucide sur l'instabilité de la politique américaine. «Trump a construit un système basé sur des annonces choquantes», a déclaré la conseillère fédérale PLR. Trump est un personnage étrange, mais fidèle à son livre, selon elle: il lance une idée et voit comment elle se développe. «Nous, les politiques, sommes le contraire de Trump.»

En parallèle, toujours en février, Karin Keller-Sutter a pris la défense du vice-président américain J. D. Vance après son discours controversé à Munich. Il a lancé une pique sans précédent à l'Europe, accusant les Etats de censure et provoqué un tollé de critiques sévères de la part de nos pays voisins. Karin Keller-Sutter, en revanche, a qualifié ce discours de «libéral, dans un sens très suisse», et a été critiqué par la gauche, qui accuse la Suisse de s'aligner sur les Etats-Unis pour s'en attirer les bonnes grâces.

IV. La Suisse désemparée

Tous ces signes prometteurs n'auraient donc servi à rien? La Suisse a-t-elle commis une grave erreur de calcul? Voilà les questions qui se posent depuis que le président américain a annoncé des droits de douane de 39%. La Suisse semble s'être faite littéralement écraser, mais comment cela a-t-il pu se produire?

Donald Trump est imprévisible, sa politique est impulsive. Le «système des annonces choquantes» fonctionne. La Suisse était-elle trop naïve? S'est-elle trompée elle-même ?

La gauche en particulier s'en prend déjà durement au Conseil fédéral et à Karin Keller-Sutter. «La stratégie complaisance choisie par le Conseil fédéral conservateur a montré à Trump qu'il pouvait faire ce qu'il voulait», a déclaré par exemple la coprésidente du parti socialiste Mattea Meyer. «Ils n'auraient jamais dû lui céder.» Tout le monde attend avec impatience d'entendre ce que Karin Keller-Sutter dira à ce sujet depuis le Grütli, le lieu le plus symbolique de la Suisse. 

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