Depuis l'annonce des droits de douane de 39%, la Confédération est sous le choc. L'entretien téléphonique de Karin Keller-Sutter avec le président américain Donald Trump, la veille de la fête nationale, a été un moment clé. La magistrate a dû essuyer de vives critiques dans son pays, et Trump a reproché à la Suissesse de ne pas l'avoir écouté.
Depuis, la nation s'interroge: pourquoi diable l'a-t-elle appelé à ce moment précis? Notre enquête révèle aujourd'hui de nouveaux détails. Ils montrent comment Trump a mis la présidente de la Confédération sous pression, avec quel mépris il parle de ses propres ministres – et comment des mois d'efforts diplomatiques ont été pulvérisés en 34 minutes.
L'appel du 31 juillet n'a pas été lancé à l'initiative de Karin Keller-Sutter, comme on l'avait d'abord supposé, mais par le représentant américain au commerce Jamieson Greer, qui est en quelque sorte l'observateur secret de la Suisse au sein du gouvernement américain. Sentant que l'état d'esprit de son chef à l'égard de la Confédération risquait de se dégrader, Jamieson Greer s'est adressé au ministre de l'Economie Guy Parmelin, en lui recommandant vivement de téléphoner personnellement à Trump. Parallèlement, les collaborateurs de Greer ont fait du lobbying auprès du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) pour une prise de contact directe.
«I don't care about them!»
Le jeudi à 20h, le moment était venu. La qualité audio a d'abord été testée à plusieurs reprises. Avec dix minutes de retard, à 20h10, Karin Keller-Sutter avait le président américain au bout du fil. Après un échange harmonieux, durant lequel Trump se serait montré impressionné par le fait que l'histoire suisse remonte à 1291, l'Américain aurait soudain changé de ton. Comment expliquer ce changement d'humeur? C'est car la Suissesse a mentionné la déclaration d'intention entre Washington et Berne que le Conseil fédéral avait négociée auparavant avec les négociateurs compétents de Trump, à savoir Jamieson Greer, Scott Bessent et Howard Lutnick.
Le narcissique s'est-il senti trahi ou désavoué par ses compagnons d'armes? En tout cas, selon des sources bien informées, Trump se serait exprimé avec condescendance sur ses collaborateurs: «I don't care about them! (ndlr: Je m'en fiche d'eux!)»
C'est donc avec irritation qu'il a évoqué le prétendu déficit commercial de 40 milliards de dollars que les Etats-Unis présenteraient vis-à-vis de la Suisse, ce qui nécessiterait selon lui des droits de douane d'«au moins 30 à 35%». Karin Keller-Sutter a alors expliqué à plusieurs reprises sa réaction face à la situation. Elle a ainsi osé corriger Trump et a souligné qu'un déficit commercial n'était pas une perte pour les Etats-Unis. Cela a manifestement mis son interlocuteur en colère. Trump l'aurait traitée de «donneuse de leçons» après la conversation téléphonique.
«Ils me paient 600 milliards, qu'est-ce que vous me payez?»
Son argument selon lequel les entreprises suisses allaient investir 150 milliards de dollars aux Etats-Unis dans les années à venir ne l'intéressait alors plus – contrairement à la première conversation du 9 avril. Au contraire, Trump a fait référence aux 600 milliards de dollars que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lui avait promis. Un détail pique: il a souligné qu'il ne s'agissait pas d'investissements de l'Union européenne (UE), mais d'une sorte de cadeau. Et a demandé à Karin Keller-Sutter sans aucune honte: «They pay me 600 billion, what do you pay me?» (Ils me paient 600 milliards, qu'est-ce que vous me payez, vous?)
Alors que la situation était définitivement verrouillée, la présidente de la Confédération a voulu savoir ce que Trump comptait faire désormais. Sa réponse: il va en parler à son peuple. Une fois de plus, la mention de ses collaborateurs a semblé le mettre en colère. Karin Keller-Sutter a demandé s'il allait également parler à son représentant commercial Jamieson Greer. Le président a répété durement: «I don't care about him! (Je m'en fiche de lui!)» Il préférerait s'entretenir avec des analystes.
Repousser la date des droits de douane
Le dernier appel de Karin Keller-Sutter pour que les nouveaux droits de douane ne soient pas appliqués dès le jour de la fête nationale suisse est resté lettre morte. A 20h44, la conversation téléphonique était terminée. Et la Suisse est ainsi le seul Etat qui, après des négociations directes avec le président américain, a des droits de douane plus élevés qu'auparavant.
Presque au même moment, à 20h45, la cheffe du Seco Helene Budliger Artieda a reçu un SMS de l'entourage de Jamieson Greer. Le message recommandait de manière insistante de mettre fin à la conversation. Jamieson Greer a dû avoir vent que l'affaire dégénérait. Contacté, le porte-parole de Keller-Sutter n'a pas souhaité commenter l'affaire.