De Mar-a-Lago à Moscou
Rubio ou Witkoff: un duel sur l'Ukraine au service d'un même patron

Marco Rubio est désormais perçu comme le plus solide allié de l'Ukraine au sein de l'administration Trump. Avec, face à lui, l'émissaire spécial du président Steve Witkoff, qui sera de nouveau reçu par Vladimir Poutine cette semaine.
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Steve Witkoff (à gauche) et Marco Rubio (à ses cotés) se livrent à un duel sans merci pour le pouvoir diplomatique au sein de l'administration Trump.
Photo: AP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le premier est désormais considéré comme l’interlocuteur privilégié des Européens, et de la coalition des volontaires résolus à soutenir l’Ukraine. Le second sera, ce mardi 2 décembre, pour la cinquième fois cette année dans le bureau de Vladimir Poutine, au Kremlin. Marco Rubio et Steve Witkoff sont les deux têtes de la diplomatie des Etats-Unis. Ils se sont livrés, ces derniers jours, un véritable duel dans les salons de Mar-a-Lago, le luxueux golf de Donald Trump en Floride, où le président américain s’était retranché pour la traditionnelle fête de Thanksgiving.

Rubio vs Witkoff. Deux parcours. Deux visions du monde. Deux manières de «gérer» Donald Trump, leur patron commun. Deux itinéraires opposés qui se retrouvent sur un seul terrain de jeu partagé: la Floride, où ils ont accueilli ce week-end une délégation ukrainienne dirigée par le patron du Conseil national de sécurité, Roustem Usmierov.

Chef de la diplomatie

Marco Rubio est secrétaire d’Etat, c’est-à-dire le chef de la diplomatie. Il a été, de 2020 à sa nomination à la tête du «State Department» en janvier 2025, l’un des deux sénateurs républicains de Floride.

Steve Witkoff, ancien avocat et promoteur immobilier new-yorkais, est pour sa part l’émissaire spécial du chef de l’Etat. Il a œuvré pour le plan de paix à Gaza. Il est l’initiateur du plan en 28 points si controversé, négocié à Genève le dimanche 21 novembre. Il possède, près de Miami, un golf et des propriétés luxueuses.

Rubio défend les intérêts des Etats-Unis, vis-à-vis de leurs alliés traditionnels. Witkoff se comporte davantage comme le porte-parole de la Trump Inc… pressé de conclure un «deal» avec Moscou.

Derrière ces deux missions, officiellement complémentaires mais en réalité en concurrence, se cachent deux façons de se comporter et d’agir sur le terrain géopolitique. Steve Witkoff n’avait aucune expérience diplomatique avant d’embarquer pour ces missions décisives. Sa spécialité auparavant été de repérer les «meilleurs deals», et de défendre au mieux ses clients lors de litiges en affaires.

De lointaine origine russe (ce que ses détracteurs mettent en avant pour expliquer sa proximité supposée avec Moscou), ce milliardaire n’est pas aussi provoquant qu’Elon Musk, le géant de la tech, dont l’ancien Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) est en train d’être démantelé, sur un constat d’échec. Witkoff parle bas. Il n’est pas l’homme des coups de gueule. Il complète le tonitruant Trump, veillant à ne jamais lui faire d’ombre..

Regagner la confiance de Trump

Marco Rubio a, lui, dû regagner la confiance de POTUS (l’acronyme de President of the United States). Ce qui n’est toujours pas complètement gagné. En 2015, le Sénateur de Floride, d’origine cubaine et parfaitement hispanophone, avait en effet présenté sa candidature à la primaire Républicaine présidentielle contre celui qui allait devenir le 45e président. Il fut même, durant le premier mandat de Trump (2016-2020), un critique régulier de son administration erratique.

Sauf que Rubio a toujours une ambition dévorante. A 54 ans, son objectif est de battre sur le poteau celui que tout le monde présente comme le successeur désigné de Donald Trump: l’actuel vice-président JD Vance. Mieux: Rubio a des alliés au sein du Congrès. Ses soutiens se nomment Dean Heller, sénateur du Nevada, Lindsay Graham, sénateur de Caroline du sud, ou Orrin Hatch, ancien sénateur de l’Utah. Eux tiennent les clés d’un «deal» avec la Russie, car ils ont la main sur le budget. Pas question d’engager une aide financière fédérale sans leur accord.

Le reste? Une négociation «tordue», menée comme Trump les aime. Witkoff est le «bad cop» (mauvais flic) pour l’Ukraine: l’homme qui tente, pas tous les biais, d’imposer une solution négociée à Volodymyr Zelensky incluant une cession des quatre «oblasts» (provinces) déjà officiellement annexées par la Russie, même si l’armée russe ne les contrôle pas complètement.

Witkoff est surtout l’homme de l’argent. Il parle business avec son homologue Kyril Dimitriev, le patron du fonds souverain russe, présenté comme le quasi-auteur du plan initial de paix en 28 points discuté à Genève le 21 novembre et amendé par les Ukrainiens et les Européens. Witkoff a une obsession: ramener un «deal» à Trump, au point d’expliquer à ses interlocuteurs russes comment parler à son «boss». Dans le lange de la mafia, Witkoff serait un «consigliere», le juriste des coups tordus, l’arrangeur des deals secrets, l’accoucheur des trêves entre clans.

Good cop et bad cop

Marco Rubio est le «good cop» (bon flic) chargé de convaincre les Européens qu’ils auront leur mot à dire sur le «deal» final. L’ex Sénateur scrute les rapports de force politiques dans les Etats républicains, à un an des Mid-term, les élections de mi-mandat de novembre 2026. Cela ne l’empêche pas de tenir l’OTAN à distance, puisqu’il vient d’annoncer qu’il ne se rendra pas, cette semaine à Bruxelles, à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Alliance atlantique.

C’est avec lui que parlent les «sherpas», les diplomates chargés du dossier ukrainien auprès des dirigeants français, anglais, allemands ou polonais. Beaucoup estiment que son entourage alimente les médias en «fuites» pour discréditer Witkoff et le gendre de Trump, Jared Kushner. Contrairement à l’émissaire de Trump, Rubio veut un accord, pas seulement un deal.

Ce duel à Mar-a-Lago, puisque c’est là que se déroulent beaucoup de discussions, n’est pas arbitré par Donald Trump. Ce dernier ne cherche pas la voie médiane. Il voit les pourparlers actuels comme un attelage. En tête? L’arrêt le plus rapide possible des combats en Ukraine, quel que soit le prix des concessions pour Kiev. Juste derrière? La garantie de pouvoir investir en Russie. Sans parler des récompenses sonnantes et trébuchantes pour sa famille et son clan élargi.

Deux approches contradictoires? Non. Plutôt deux fers au feu pour Trump, qui voudrait tant se débarrasser de cette guerre en Ukraine dont il répète sans cesse qu’elle n’est «pas la sienne». Rubio et Witkoff ne se battent pas en duel. Ils sont les «caddies» diplomatique d’un golfeur géopolitique nommé Trump.

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