Ils font et refont leurs calculs. Dans la première colonne? Les atouts que conserve l’Ukraine en guerre depuis le 24 février 2022, à commencer par le soutien des Européens. Dans la seconde? Tout ce que l’Ukraine est en train de perdre, sur les deux fronts, diplomatiques et militaires. Or la seconde colonne est, ces jours-ci, bien plus remplie. Ce qui nourrit l’inquiétude d’à peu près tous les experts qui scrutent ce conflit depuis l’agression russe.
Le plus grave pour l’Ukraine, à la veille d’une nouvelle séance de négociations avec les Américains ce dimanche 30 novembre à Miami, en Floride, est que la confiance dans sa capacité de résistance s’étiole. Lundi 1er décembre, Volodymyr Zelensky sera reçu à Paris par Emmanuel Macron, avant que ce dernier s’envole pour la Chine où il effectuera une visite d’Etat.
Coalition des volontaires
Or que peut lui apporter comme garantie le président français, qui est pourtant aux avant-postes de la «Coalition des volontaires» qu’il copréside avec le Premier ministre britannique Keir Starmer? A l’heure d’écrire ces lignes, la question de l’utilisation des près de 200 milliards d’euros d’actifs russes gelés au sein de la caisse de compensation Euroclear, n’est toujours pas réglée. La Belgique refuse toujours de les utiliser, sous une forme ou sous une autre, par peur des rétorsions futures de Moscou. Idem pour le déploiement futur de forces de «réassurance» pour garantir la sécurité de l’Ukraine: aucun gouvernement européen n’a, pour le moment, promis d’envoyer des troupes (loin du front) sans avoir reçu l’autorisation et le soutien des Etats-Unis.
En plus de ce rapport de force défavorable, compliqué par la progression des troupes russes sur le terrain et les coups très durs portés par la Russie aux infrastructures énergétiques ukrainiennes (en plus de frappes indiscriminées sur la population civile), l’Ukraine fait face à un front américain pro-russe toujours plus solide. On sait combien le plan américain en 28 points âprement combattu par les Ukrainiens et les Européens dimanche 23 novembre à Genève était favorable à Moscou. L’on a aussi appris d’où il provenait: à savoir de sources russes.
Witkoff à Moscou
Mais depuis, la balance a-t-elle changé? Non. Ces jours-ci, l’émissaire spécial de Trump, Steve Witkoff, sera de nouveau reçu à Moscou, peut-être par Vladimir Poutine lui-même. Espérer que Witkoff, homme d’affaires new-yorkais pressé de conclure un «deal» se montre intransigeant avec le Kremlin relève de la pure fiction. Il est très probable qu’il reviendra de Moscou encore plus persuadé que Kiev doit céder.
S’ajoute enfin à cette équation l’arme politique aux mains de Donald Trump: Volodymyr Zelensky est de plus en plus seul. Il a dû, vendredi, se séparer de son bras droit depuis son accession à la présidence, Andriy Yermak. Rousten Oumierov, le patron de la délégation ukrainienne en Floride, n’a pas la connaissance de Yermak en matière de négociations, ni ses contacts au sein du pouvoir à Washington.
L’argent de la corruption
Le scandale de corruption dans l’énergie, à hauteur de 100 millions d’euros détournés par un magnat ukrainien autrefois proche du président, donne aussi à Trump une carte pour faire pression sur les Européens. Il peut sans réserve poser la question: «Voulez-vous vraiment continuer de soutenir un pouvoir qui vole l’argent de vos contribuables?». Pour mémoire, la Commission européenne évaluée à 80 milliards d’euros le besoin de financement militaire de l’Ukraine en 2026, et à 140 milliards ses besoins budgétaires. L’Union européenne va-t-elle débourser sans ciller?
C’est cette partie qui se joue cette semaine, entre la Floride et Moscou. Et elle ne se jouera guère à Bruxelles, où doivent pourtant se réunir les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, l’Alliance atlantique constituée autour des Etats-Unis. Marco Rubio, le Secrétaire d’Etat américain, a en effet annoncé qu’il ne ferait sans doute pas le déplacement. En clair, si cela se confirme: pas besoin de discuter avec les alliés. Les Etats-Unis voient l’OTAN comme une chambre d’enregistrement. Un vassal obéissant. Pas question de laisser les 31 pays membres de l’organisation exprimer leurs divergences sur un plan de paix pour l’Ukraine de plus en plus proche d’une reddition.