L'Europe a semblé – pendant un instant – retrouver du poids sur la scène politique mondiale. Après les négociations de dimanche à Genève, les Etats-Unis et l’Ukraine ont présenté une version remaniée du plan initial en 28 points pour l’Ukraine. Les détails restent flous, mais les Européens ont joué un rôle clé pour que la nouvelle mouture en 19 points reflète davantage les intérêts de Kiev.
Quelques heures plus tard, Moscou a réagi avec virulence à ces ajustements. Le Kremlin rejette la nouvelle version et laisse entendre qu’il ne souhaite pas offrir aux Européens une nouvelle chance de s’essayer à la médiation. «Les gars, vous avez tout gâché», a lancé mardi le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov aux journalistes.
Quelle est réellement l’influence de l’Europe? Le continent peut-il encore peser dans la recherche d’une paix durable ? Remo Reginold, expert en géopolitique et président du Swiss Institute for Global Affairs (SIGA), pose le diagnostic: «L’Europe est depuis un certain temps dans une position de négociation défavorable. Les chefs d’Etat européens se contentent généralement de réagir au lieu de définir leurs propres stratégies.»
«La Russie fait 'all in'»
Remo Reginold estime que cette retenue est exploitée par d’autres acteurs. «L’administration Trump tire parti de la fébrilité européenne pour faire pression sur l’Ukraine et se montrer conciliante envers la Russie», explique-t-il.
La Russie se retrouve ainsi dans une position de force. «Trump veut une paix à son avantage. Ce n’est pas une combinaison favorable pour l’Europe. La Russie joue le tout pour le tout, bénéficie du soutien du Sud global et s’y est préparée.»
L’envoyé spécial américain Steve Witkoff se rendra à Moscou la semaine prochaine. Les Européens risquent de rester à l’écart. «Les négociations portent sur l’Europe et l’Europe n’est pas autour de la table, constate Remo Reginold. «Ls Européens devraient avoir quelque chose à offrir sur le plan militaire et stratégique. Ils ne l’ont pas fait.»
Trump a mis l'Europe sous pression
Remo Reginold évoque aussi une déclaration récente du chef d’état-major français, Fabien Mandon, qui a fait grand bruit. Fabien Mandon a affirmé: «Nous devons accepter de perdre nos enfants.» En clair: la sécurité du continent se détériore. Selon lui, les armées européennes ne sont pas prêtes à affronter les menaces actuelles. Ses propos auraient servi à «tirer la sonnette d’alarme».
Pour Remo Reginold, cette phrase illustre bien la situation. «Elle reflète l’incertitude et la nervosité de l’Europe.» Avec cette stratégie visant à exercer une forte pression sur l’Ukraine tout en restant imprévisible face à Poutine, Trump a une nouvelle fois placé le continent dans une position délicate. «Trump a encore pris le vieux continent de vitesse.»
«Ils manquent de poids pour négocier»
En mars, plusieurs Etats européens ont formé une «coalition des volontaires» pour soutenir l’Ukraine dans les négociations de paix. «L'initiative était pertinente. Mais pour que l’élan porte ses fruits, il faut des actes, souligne Remo Reginold. Les gestes symboliques et concrets ont manqué.»
La Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne n’ont pas su s’imposer ni orchestrer un rapport de force susceptible d’impressionner Trump. Elles manquent tout simplement de leviers économiques, militaires ou stratégiques.
«Le monde ne tourne plus autour de nous»
Pour Remo Reginold, les relations entre la Russie et l’Europe resteront tendues et ambiguës. Moscou poursuivra ses «tâtonnements stratégiques». «Le risque est que la Russie finisse par nous imposer des positions qui pourraient nous acculer.» Malgré cela, le Kremlin reconnaît qu’une participation de l’Europe aux discussions sur la sécurité du continent restera indispensable. A «un moment ou un autre», cela devra arriver, estime le porte-parole Dmitri Peskov.
Comment l’Europe peut-elle redevenir un acteur solide? «Nous devons améliorer notre posture en matière de défense militaire et civile, renforcer notre position géopolitique, valoriser notre diversité et accepter que le monde évolue – mais plus autour de nous.» L’Europe doit cesser de se regarder elle-même, conclut Remo Reginold.