Des succès et rien que des succès
Comment Rolex est devenu un géant capable de calmer les caprices de Trump

Les négociations patinaient plus depuis des mois. Jusqu'à ce que Rolex entre en jeu. L'accord a été annoncé après que Trump a flashé sur un cadeau offert par le célèbre l'horloger genevois. Chez Rolex, on ne connait rien d'autre que le succès.
Publié: 12:19 heures
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Le siège de Rolex, dont le chiffre d'affaires annuel est estimé à plus de 10 milliards de francs.
Photo: Rolex
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Marco Lüssi

Au point mort depuis plusieurs mois, les négociations sur les droits de douane imposés par Trump ont enfin bougé le 4 novembre, lorsque des dirigeants économiques suisses se sont rendus à la Maison Blanche. Pour y parvenir, la délégation helvétique n'est pas venue les mains vides.

L'un des cadeaux apportés par les visiteurs a tellement plus au président américain qu'il s'est montré incapable de le quitter des yeux. Depuis cette rencontre, l'horloge de table en or, inspirée du modèle Datejust de Rolex, a trôné sans discontinuer sur le pupitre du président américain. Ce n'est que dix jours après cette entrevue que l'annonce tant attendue est tombée: un accord permettant de d'abaisser les droits de douane de 39 à 15% a été trouvé.

Trump couvre Rolex de louanges

Tout porte à croire que Rolex y a contribué de manière décisive. L'implication de l'horloger de luxe n'est pas passée inaperçue: le Genevois Jean-Frédéric Dufour, son CEO, se trouve au centre de la seule photo de cette rencontre rendue publique, juste en face de Donald Trump.

Jean-Frédéric Dufour avait déjà invité Trump en septembre dans la loge Rolex lors de la finale de l'US Open et avait sans doute implanté un premier germe de bienveillance chez le président américain. Lorsqu'un journaliste a évoqué cette semaine un accord avec la Suisse, Trump a déclaré: «Il (ndlr: le journaliste) veut sans doute acheter une belle montre, une Rolex. Faisons un peu de publicité pour Rolex, ils ont été très gentils.»

L'excellence avant tout

Trump est loin d'être le seul à apprécier Rolex. Il n'est pas une montre qui soit convoitée par autant de personnes à travers le monde. Aucune autre marque ne peut rivaliser avec le succès de l'horloger genevois, dont le chiffre d'affaires annuel est estimé à 10 milliards de francs.

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Rolex est un mythe, une croyance, presque une religion
Pierre-Yves Donzé, historien économique suisse
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Cela s'explique peut-être par le fait que Rolex est bien plus qu'une simple marque de montres. L'historien économique suisse Pierre-Yves Donzé est l'auteur du livre «Die Exzellenzfabrik – Wie Rolex zur Weltmarke wurde» (en français: «L'usine à excellence – Comment Rolex est devenue une marque mondiale»). Il écrit: «Rolex est un mythe, une croyance, presque une religion.»

Selon lui, Rolex incarne un message simple et facile à retenir. Il s'agit d'un produit d'excellence, développé par un entrepreneur d'excellence et destiné à des hommes et des femmes d'excellence.

Un nom: Roger Federer

L'entrepreneur en question n'était autre que l'Allemand Hans Wilsdorf (1881-1960), qui commercialisait des montres suisses à Londres. Il n'a d'ailleurs transféré son siège social en Suisse qu'après le début de la Première Guerre mondiale. Hans Wilsdorf a notamment eu la brillante idée de miser sur les montres-bracelets quand tous les autres continuaient à vendre des montres de poche.

Sous sa direction, Rolex a produit la première montre-bracelet étanche. Une innovation accompagnée d'un coup de communication de génie: associer la nouvelle montre à la nageuse Mercedes Gleitze lors de sa traversée de la Manche en 1927. Si l'athlète a échoué dans sa tentative, la Rolex Oyster, elle, est sortie de l'eau indemne. Un exploit relaté en grande pompe par la presse britannique.

A l'aube du 21e siècle, Rolex frappera encore plus fort. En s'associant à Roger Federer, l'horloger genevois trouvera un roi à la hauteur de sa luxueuse couronne. Une collaboration historique avec l'un des sportifs les plus titrés du monde.

Des montres étonnamment abordables

Ce n'est que dans les années 1970, soit dix ans après la mort d'Hans Wilsdorf, que Rolex est parvenu à dépasser Omega, alors leader du secteur. Durant les cinquante années qui ont suivi, Rolex a non seulement conservé sa place de leader, mais elle a aussi considérablement augmenté son avance.

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Les montres Rolex sont de la plus haute qualité et sont abordables par rapport à d'autres montres de luxe
Jean-Philippe Bertschy, spécialiste de l'industrie horlogère suisse pour la banque Vontobel
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Ce succès, Rolex le doit à sa capacité à faire systématiquement les bons choix, explique Jean-Philippe Bertschy, qui observe l'industrie horlogère suisse pour la banque Vontobel. Cela commence par le produit: «Les montres Rolex sont de la plus haute qualité, elles sont immédiatement reconnaissables, et elles sont abordables par rapport à d'autres montres de luxe.» A cela s'ajoutent la distribution stricte via des revendeurs soigneusement sélectionnés ainsi que le marketing réussi via le sponsoring sportif.

Alors que la plupart des marques de luxe appartiennent aujourd'hui à des grands groupes, Rolex demeure la propriété de la fondation Hans Wilsdorf, du nom de son fondateur, ce qui constitue un point fort supplémentaire. Jean-Philippe Bertschy précise: «Cette indépendance favorise la réflexion à long terme et permet des investissements constants.»

Des Rolex presque introuvables

Rolex jouit d'une position que les autres entreprises ne peuvent qu'envier: la demande pour ses produits dépasse largement l'offre. Selon plusieurs estimations, Rolex produit 1,2 million de montres par an. Le nombre de personnes qui souhaitent en acheter une est, lui, bien supérieur.

Cela signifie que même pour ceux qui ont réuni suffisamment d'argent pour acquérir le modèle Rolex de leurs rêves, il n'est pas facile de se rendre chez un concessionnaire pour l'acheter. Si l'on parvient à s'inscrire sur une liste d'attente, cela peut prendre des années avant de recevoir le précieux sésame. 

Cela n'a pas toujours été le cas. On ne sait pas dans quelle mesure il s'agit d'une pénurie artificielle. Ce qui est sûr, c'est que la difficulté de se procurer une Rolex renforce le mythe.

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Les montres Rolex représentent un rêve que le consommateur moyen peut espérer vivre un jour
Pierre-Yves Donzé, historien économique suisse
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Un symbole de statut social

Dans son livre, l'historien Pierre-Yves Donzé explique que Rolex a réussi dès les années 1960 à positionner ses montres comme un symbole de statut social. Et ce, à un prix accessible à un grand nombre de personnes. Le prix catalogue du modèle d'entrée de gamme Oyster Perpetual se situe actuellement à environ 6000 francs. «Les montres Rolex sont certes chères, mais elles ne sont pas inaccessibles à la classe moyenne, explique Pierre-Yves Donzé. Elles représentent un rêve que le consommateur moyen peut espérer vivre un jour.»

Sous la direction de Jean-Frédéric Dufour, patron de la marque depuis dix ans, Rolex s'aventure vers de nouveaux horizons. A Bulle, dans le canton de Fribourg, l'entreprise construit une nouvelle usine qui doit lui permettre d'augmenter sa capacité de production. Depuis le rachat de la chaîne de bijouteries Bucherer, active dans le monde entier, on ne se contente plus de fabriquer les montres: on les vend également.

Rolex est aussi présente sur le marché en plein essor de la seconde main depuis qu'elle a commencé à délivrer des certificats d'authenticité pour les montres d'occasion en 2022. L'entreprise genevoise étend ainsi sa suprématie et renforce son contrôle sur le marché. Récemment, Rolex a en outre lancé pour la première fois non pas une montre, mais un accessoire: des boutons de manchette au prix de 5500 francs.

«L'industrie horlogère est dans un état désastreux»

L'engagement du CEO de Rolex en faveur d'une solution au conflit douanier a surpris de nombreux experts de la branche. Jean-Philippe Bertschy déclare: «Jusqu'à présent, Jean-Frédéric Dufour s'est toujours montré très discret. Ce qu'il a fait là, c'est quelque chose de nouveau.» Car jusqu'à présent, Rolex était plus discrète que la famille royale britannique: le patron n'apparaissait pas en public, il ne donnait pas d'interviews. Et pour cause. Les produits parlaient d'eux-mêmes.

Pourquoi Jean-Frédéric Dufour entame-t-il maintenant un tel tournant stratégique? Pour Jean-Philippe Bertschy, il en va ni plus ni moins que de la survie de l'industrie horlogère suisse. Rolex résiste à la crise comme peu d'autres fabricants, mais la branche, elle, va mal. L'expert ne mache d'ailleurs pas ses mots: «L'industrie horlogère est dans un état désastreux.»

Selon lui, certains sous-traitants ont vu leurs commandes chuter, parfois de 70%. Pour lui, le problème principal se situe du côté de l'Asie: «Les Chinois n'achètent presque plus de montres.» Les droits de douane américains auraient encore aggravé la situation.

Rolex a sauvé l'industrie

Selon Jean-Philippe Bertschy, le fait que Rolex s'engage pour l'ensemble de la branche n'est pas une nouveauté. Pendant la pandémie de Covid-19, l'entreprise a sauvé ses fournisseurs de la faillite en maintenant leurs commandes malgré le ralentissement économique.

Par ailleurs, l'acquisition du groupe Bucherer il y a deux ans – une opération à plusieurs milliards de dollars – a également été un facteur déterminant. Le rachat de ces boutiques, qui distribuent de nombreuses autres marques de luxe, bénéficie à l'ensemble de la branche.

En attendant, Jean-Frédéric Dufour continue de surprendre. Lors de la Watch Week à Dubaï la semaine prochaine, il est annoncé en tant que participant à une table ronde sur l'industrie horlogère. Le fait que le patron de Rolex s'exprime publiquement est une véritable sensation dans le monde de l'horlogerie.

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