Opération séduction contre les taxes
Rolex, Richemont et MSC ont fait les yeux doux à Donald Trump

La délégation d'hommes d'affaires suisse a mis en place une véritable opération séduction pour amadouer Donald Trump. Après le coup de fil catastrophique de Karin Keller Sutter, les six hommes d'affaires semblent avoir rattrapé le coup. Mais à quel prix?
Publié: 06:01 heures
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La délégation de chefs d'entreprise suisses ce mardi chez Donald Trump.
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Reza Rafi et Raphael Rauch

Les 39% de droits de douane américains seront-ils bientôt de l'histoire ancienne? La situation semble soudain se débloquer avec Washington. 

Vendredi, le ministre de l'Economie Guy Parmelin et la cheffe du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) Helene Budliger Artieda se sont entretenus au téléphone avec le représentant américain au commerce Jamieson Greer. Selon Guy Parmelin, l'échange a été «très constructif».

Une lueur d'espoir

C'est la première fois que les tensions s'apaisent depuis l'entretien téléphonique raté entre la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le président américain Donald Trump. Après son coup de massue tarifaire, Blick avait d'ailleurs révélé la colère du président américain envers son homologue suisse.

Mais Karin Keller Sutter a essayer de rattraper le coup. Sa poignée de main avec Trump en marge de la réunion de l'ONU à New York en septembre a été stratégique. Désormais, l'économie de la Suisse a des raisons d'espérer.

Les hommes de Donald Trump valident

Mais le vrai moment décisif s'est produit mardi dernier quand Donald Trump a reçu une délégation de hauts dirigeants économiques suisses. Un premier succès: le président américain a enfin pris le temps d'étudier l'offre de négociation suisse.

«
Nous remercions chaleureusement le président Trump pour son temps et son attention
Communiqué de la délégation suisse
»

Trump a ensuite demandé l'avis de son entourage sur l'offre suisse. La réponse: «Thumbs up» ("Pouces en l'air"). «Nous remercions chaleureusement le président Trump pour son temps et son attention», ont fait savoir les représentants suisses par communiqué. D'après nos sources, il a fallu planifier la rencontre pendant plusieurs mois par des centaines d'entretiens téléphoniques avec des diplomates, des hommes d'affaires et des agents d'affaires publiques. 

Carlos Trujillo, le passepartout

L'un des six représentants économiques a joué un rôle décisif: Diego Aponte, président du groupe de l'armateur MSC à Genève et descendant de la famille fondatrice de l'empire du même nom, originaire de Naples. Contrairement à ce que certains médias ont rapporté, Diego Aponte lui-même n'a pas pu être présent dans le bureau ovale. Il a eu un empêchement de dernière minute, mais il a fait ce que la Suisse avait toujours refusé en bloc: engager un lobbyiste en la personne de l'ancien diplomate de Trump, Carlos Trujillo. De plus, il avait un atout dans sa manche. La fille de Susie Wiles, chef de cabinet de la Maison Blanche et proche de Trump, travaille dans son agence. Parmi tous les lobbyistes, Carlos Trujillo s'est avéré être un véritable passepartout pour ouvrir toutes les portes bloquées. L'éminente délégation a été reçue par Trump dans le bureau ovale.

Deux membres proches de Trump

D'après nos informateurs, l'ambiance de la réunion était amicale. D'ailleurs, une maquette de la nouvelle salle de bal prévue était posée sur le pupitre de Trump. De plus, certains des représentants suisses avaient déjà rencontré Donald Trump. Le patron de Rolex, Jean-Frédéric Dufour, l'avait invité à l'US Open l'été dernier, et Trump est en très bons termes avec le patron de Richemont, Johann Rupert.

De grandes promesses

Chaque participant a utilisé ses meilleurs techniques de séduction. Par exemple, le fondateur de Partners Group, Alfred Gantner, détient une participation dans un groupe pharmaceutique américain. Il donc a annoncé des investissements dans une entreprise gazière américano-mexicaine. Daniel Jaeggi, cofondateur du géant genevois des matières premières Mercuria, a évoqué des projets d'infrastructure et des investissements aux Etats-Unis. Marwan Shakarchi, patron du groupe genevois MKS, spécialisé dans les métaux précieux et la finance, est un grand nom de l'or.

Trump couvert de cadeaux

Ce mélange d'accords économiques et de décisions politiques est exactement l'atmosphère que Trump préfère. Il semble plus à l'aise avec les hommes d'affaires qu'avec les politiques, sa priorité absolue reste de faire de bonnes affaires. Selon nos informateurs, il se considère comme une sorte de président de conseil d'administration des Etats-Unis qui veut toujours être courtisé.

Les hommes d'affaires suisses ne se sont pas faits prier. Ils ont par exemple offert à Trump une montre Rolex et, sous l'impulsion de Marwan Shakarchi, un lingot d'or dédicacé. Vu de l'extérieur, le Bureau ovale ressemble presque à une cour féodale.

L'opération séduction semble avoir fonctionné. La glace a été brisée, les invités ont pu faire part de leur préoccupation principale, à savoir neutraliser le déficit commercial américain vis-à-vis de la Suisse d'ici cinq à sept ans. Pour ce faire, ils ont suggéré quatre propositions. Tout d'abord, délocaliser des fonderies d'or vers les Etats-Unis dans un délai de 12 à 24 mois. Ensuite, des investissements pharmaceutiques, ainsi que des soutiens aux projets d'infrastructure. Enfin, des achats croissants à l'aviation américaine.

Un grand soulagement

Le président américain semble avoir fait preuve de bonne volonté. Un grand soulagement pour ses visiteurs, mais aussi ses propres collaborateurs. Du côté américain, en plus du commerce Jamieson Greer, le secrétaire au Trésor Scott Bessent et le secrétaire au Commerce Howard Lutnick assistaient aussi à la rencontre. Le groupe a maintenant déposé son compte rendu auprès d'Helene Budliger Artieda. Dans leur communiqué de presse, ils soulignent toutefois qu'ils ne participent «à aucune négociation avec le président américain». «Nous avons exprimé notre conviction qu'un accord commercial bilatéral renforcerait encore la coopération économique et serait bénéfique tant pour la Suisse que pour les Etats-Unis.»

«
Sommes-nous Guillaume Tell ou sommes-nous des vassaux?
Nick Hayek, patron de Swatch
»

L'accord annoncé à Davos

Malgré cet apparent succès, cette opération séduction suscite aussi des critiques, notamment celles du patron de Swatch, Nick Hayek, qui dénonce une «position de faiblesse». Les dirigeants économiques seraient «allés 'faire la cour' au sens littéral du terme». Ils enverraient ainsi un signal de faiblesse au monde entier. «Sommes-nous Guillaume Tell ou des vassaux?»

Pendant ce temps, les six hommes d'affaires personnes continuent leur travail de fourmi, en espérant aboutir à une déclaration d'intention dans les prochaines semaines. Le grand objectif est prévu pour janvier: si tout se passe comme prévu, le président américain et Guy Parmelin présenteront ensemble leur accord lors du WEF à Davos. Un accord en plein conflit douanier et, pour la Suisse, un tarif comparable aux 15% appliqués à l'UE. Les 39% sont encore en vigueur – et une montagne de travail attend les diplomates, les employés fédéraux, les ministres et les lobbyistes. Mais un pas important a été franchi et les 39% pourraient bientôt être de l'histoire ancienne.

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