La Berne fédérale respire: vendredi 14 novembre, la Suisse a enfin arraché un accord commercial aux Etats-Unis. Selon le ministre de l'Economie Guy Parmelin, les droits de douane américains devraient ainsi passer de 39 à 15% dans les prochaines semaines.
Seulement, beaucoup d’éléments sont encore flous: à ce stade, l’accord n’a aucune valeur contraignante. Pour l'heure, seule une déclaration d’intention a été formulée. Dans les mois à venir, il s'agira de la transformer en contrat formel, moyennant de nouvelles négociations. Et l'addition finale pourrait être bien plus salée que celle initialement annoncée par le Conseil fédéral.
Achats d’armes controversés
Plusieurs point chauds de l'accord font en effet redouter un surcoût. Selon la «NZZ», la majorité bourgeoise du Conseil fédéral entend utiliser des achats d’armements comme monnaie d’échange dans les discussions. Plusieurs sources proches du Conseil fédéral évoquent en priorité l’acquisition de missiles guidés, voire de systèmes Patriot supplémentaires.
Or, après le fiasco lié à l'achat d'avions F-35, ces projets risquent de susciter une vive opposition. Pour rappel, la ministre de la Défense d'alors Viola Amherd avait promis un prix d'achat fixe, avant que la facture ne finisse tout de même par exploser.
«Si le Conseil fédéral souhaite vraiment acheter encore plus d’armes aux Etats-Unis, cela renforcerait la dépendance technologique déjà existante de l’armée suisse envers Washington», estime la présidente des Vert-e-s, Lisa Mazzone. «Cela représente un danger pour la sécurité du pays.»
Washington n'a pas la même vision que Berne
De plus, plusieurs recherches de la «NZZ» et de la «SonntagsZeitung» montrent que les Etats-Unis ont une vision de l'accord à venir quelque peu différente de celle du Conseil fédéral. Vendredi, en conférence de presse, Guy Parmelin et la directrice du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), Helene Budliger Artieda, avaient surtout insisté sur deux points.
Dans un premier temps, ils étaient revenus sur la promesse d'investir 200 milliards de francs aux Etats-Unis d'ici à 2028. Ils avaient ensuite évoqué la réduction des droits de douane helvétiques sur certains produits américains, notamment via des contingents pour la viande de bœuf, de bison ou de volaille.
Une présentation quelque peu succincte comparée à celle des Etats-Unis: alors que le Conseil fédéral résume l’accord douanier en quelque 3000 signes, la déclaration américaine est non seulement trois fois plus longue, mais elle est également accompagnée d’une fiche détaillée. Celle-ci contient d'autres exigences de Washington à l'égard de la Suisse. Et certaines d'entre elles sont particulièrement sensibles.
Des cybertrucks sur les routes suisses?
Dans la déclaration américaine, on peut notamment lire que la Suisse devrait adopter certains standards de sécurité automobile américains. Actuellement, les véhicules fabriqués aux Etats-Unis doivent être adaptés à grands frais pour pouvoir être homologués chez nous.
D’après la «SonntagsZeitung», l'acceptation de cette exigence par la Suisse ouvrirait la voie à une arrivée accrue de pick-up américains sur les routes helvétiques, voire à l’homologation du Tesla Cybertruck, aujourd’hui non conforme aux normes de la Confédération. Le Département fédéral de l’Economie (DEFR) précise toutefois qu’il ne s’agit pour l’instant que d’une intention de coopérer plus étroitement à une reconnaissance des standards américains.
Washington souhaite aussi que les deux pays s’attaquent ensemble aux distorsions commerciales causées par certaines subventions ou par l’action d’entreprises publiques. Qu'est-ce que cela signifie concrètement? Impossible de le savoir pour l'heure, note la «NZZ».
Si le DEFR assure que la suppression de services publics ou de mesures propres à la Suisse n’est pas à l’agenda, il ne fournit pas d’explications précises. Berne se contente de déclarer que l’accord «exprime l’intention de traiter d’éventuelles distorsions du commerce bilatéral liées à des politiques industrielles ou au comportement d’entreprises publiques, y compris dans des Etats tiers».
Marche-arrière forcée sur le numérique?
Toujours selon la déclaration américaine, la Suisse s'engage également à maintenir l’absence de taxe sur les services numériques. Ce point est des plus sensibles: le Conseil fédéral vient de mettre en consultation une loi visant à renforcer les droits des utilisateurs et à imposer davantage de transparence aux grandes plateformes. Le DEFR, lui, assure qu’il s’agit simplement de poursuivre la pratique actuelle en matière de fiscalité numérique.
Autre élément potentiellement litigieux: le renforcement de la coopération en matière de contrôles à l’exportation et de sanctions américaines. Dans un entretien au «Tages-Anzeiger», Guy Parmelin affirme toutefois que la Suisse échange déjà régulièrement avec les autorités américaines compétentes. «Nous ne sommes jamais obligés de reprendre quoi que ce soit automatiquement. Et cela doit rester ainsi», insiste-t-il.
Le coût réel de l’accord reste donc à déterminer. Ce qui est certain, en revanche, c'est que ces divers éléments ne vont pas manquer de nourrir le débat politique interne dans les mois à venir. «Rien de tout cela n’a été mentionné lorsque le Conseil fédéral a informé la population vendredi», relève Cédric Wermuth, co-président du Parti socialiste (PS), dans la «NZZ». Selon lui, le prix final du deal demeure totalement incertain.