Fin des importations en 2026
L'Europe est-elle folle de couper le robinet du gaz russe?

La décision d'en finir avec les importations de gaz russe en 2026 (et de pétrole en 2027) complique la donne économique pour l'Union européenne. Folie ou réalisme géopolitique?
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La présidente de la Commission européenne a confirmé ce mercredi 3 décembre l'arrêt des importations de gaz russe en 2026, puis du pétrole russe en 2027.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Préparez-vous à grelotter en hiver et à de sérieux problèmes économiques! Ces menaces, les soutiens de la Russie les ont souvent brandies depuis le début de la guerre en Ukraine. Objectif: faire comprendre aux Européens, dépourvus de ressources en hydrocarbures, qu’ils ont besoin du gaz et du pétrole russes, ce que deux pays, la Hongrie et la Slovaquie, continuent d’ailleurs de crier haut et fort.

En vain. Ce mercredi 3 décembre, l’Union européenne a confirmé sa volonté de mettre un point final à son divorce énergétique total avec la Russie de Vladimir Poutine. Une folie? Inventaire du divorce, sur fond de sanctions internationales contre Moscou et de tensions transatlantiques.

Ce qui vient d’être décidé

2026 fera entrer l’Union européenne (UE) dans une nouvelle ère énergétique. Dans une annonce solennelle à Bruxelles ce mercredi 3 décembre, la présidente de la Commission a confirmé la préparation d’un règlement communautaire sur «l’interdiction progressive des importations de gaz naturel liquéfié à partir de 2026, et du gaz par gazoduc à partir de 2027», ainsi que l’entrée en vigueur de «mesures préparatoires pour une interdiction des importations de pétrole en 2027». 

Ce divorce énergétique, acté par le Parlement européen, exige maintenant l’accord à la majorité qualifiée des 27 pays membres de l’Union, ce qui empêchera la Hongrie et la Slovaquie de tout bloquer avec leur veto. Cette législation ne concerne pas la Suisse, non-membre de l’UE. «Aujourd’hui, nous entrons dans l’ère de l’indépendance énergétique totale de l’Europe vis-à-vis de la Russie», s’est félicitée Ursula von der Leyen, présidente de la Commission.

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Ce qui va se passer

Les deux pays de l’Union européenne soucieux de continuer de s’approvisionner en gaz russe, la Hongrie et la Slovaquie, vont exiger des dérogations. Ils pourront s’appuyer pour cela sur la clause selon laquelle «exceptionnellement, les Etats membres pourront prolonger ce délai jusqu’au 31 octobre 2027 si leurs niveaux de stockage sont inférieurs aux niveaux requis». 

A priori, la fin des importations pétrolières et gazières russes sera actée le 18 décembre, lors d’un Conseil européen crucial, puisqu’il devrait décider aussi du sort des 200 milliards d’actifs de la Banque centrale russe gelés au sein d’Euroclear, la chambre de compensation basée à Bruxelles, en Belgique. Mais attention. Si, d’un côté, Ursula von der Leyen affirme «qu’en épuisant la caisse de guerre de Poutine, nous nous solidarisons avec l’Ukraine et nous tournons vers de nouveaux partenariats énergétiques et opportunités pour le secteur», deux conséquences financières vont faire mal. 

Il faudra importer davantage de gaz liquéfié américain, conformément à la promesse faite fin juillet à Donald Trump d’acheter 750 milliards d’euros d’énergies fossiles d’ici à 2029. Et la dépendance de l’UE envers le Qatar, gros fournisseur au Moyen-Orient, sera accrue. Idem pour le risque technologique des énergies renouvelables, compte tenu de la domination chinoise sur le secteur.

Pourquoi ce divorce est une guerre

La Russie et l’Union européenne sont en guerre énergétique. Il s’agit, pour l’UE, de faire cesser sa dépendance qui lui a tant profité sur le plan économique. Impossible, par ailleurs, de délier ces cessations annoncées d’importations de gaz et de pétrole des sanctions en vigueur, reprises par la Suisse. Un 20ᵉ paquet de sanctions sera examiné le 18 décembre, centré sur la flotte fantôme russe: ces centaines de navires affrétés, sous pavillon de complaisance, par les acheteurs de pétrole russe comme l’Inde, la Chine ou la Turquie.

Pour rappel, 557 navires de la flotte fantôme russe sont désormais interdits d’accès dans les ports européens. Il faut ajouter à ces sanctions celles imposées par les Etats-Unis, depuis le 21 novembre, à toutes les entités clientes des géants énergétiques russes Lukoil et Rosneft. Des sanctions dont deux pays sont exemptés: la Hongrie et la Slovaquie. Toujours les mêmes…

Ce divorce est bon pour Trump

L’Union européenne sort-elle renforcée de cette interdiction d’importer le gaz russe? Oui, sur le plan géopolitique, car elle démontre sa détermination dans le soutien à l’Ukraine. On peut aussi arguer que l’énergie russe, peu chère, empêchait le continent de s’imposer dans les énergies renouvelables, et que la transition vers une économie décarbonée va ainsi s’accélérer. Sauf que, dans les faits, le grand gagnant se nomme Donald Trump, lequel exigeait d’ailleurs depuis des mois ce divorce énergétique. 

Logique: le président des Etats-Unis veut vendre davantage de gaz (de schiste) et de pétrole. Il veut aussi que les cours de l’or noir soient plus élevés. Or la question, sur le plan de l’énergie, est similaire à celle posée par l’OTAN sur le plan militaire: les Européens ont-ils intérêt à être pieds et poings liés dans les mains de Washington? Info importante: ce mercredi 3 décembre, le secrétaire d’Etat Marco Rubio n’a pas fait le déplacement à Bruxelles pour une réunion des ministres de l’Alliance atlantique. Plus Trump se sent fort, plus il joue avec les nerfs européens.

Il y aura un prix économique

Ce prix, l’Union européenne le paie déjà. L’année 2025 devrait s’achever sur une croissance de 1,4%, comme pour la Suisse (autour de 2% aux Etats-Unis). Or 2026 s’annonce encore plus compliquée avec l’entrée en vigueur des tarifs douaniers de 15% imposés par Washington, et avec l’offensive commerciale de la Chine qui a besoin du marché européen d’exportation. Or le coût de l’énergie est à la base de la compétitivité industrielle et technologique, vu l’avidité énergétique des serveurs et «data centers» utilisés pour l’intelligence artificielle. 

Tout repose maintenant sur la transition d’ici novembre 2027, date à laquelle «l’UE aura éliminé une bonne fois pour toutes les importations de gaz russe», selon la Commission européenne. Avant la guerre, l’Europe importait environ 150 milliards de mètres cubes de gaz russe chaque année. «Nous allons entrer dans un nouveau monde pour l’énergie, sous l’effet d’un choc physique et d’un choc de prix sans précédent qui transformera sans doute durablement notre paysage», analysait en 2023 la patronne du géant français Engie. Nous y sommes.

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