La Russie a trouvé une échappatoire face à l’inflation, aux sanctions européennes et au manque de main-d’œuvre: miser massivement sur l’or. Pour soutenir son économie en temps de guerre, le Kremlin ressort une vieille recette. Aux côtés du pétrole, le métal jaune devient le véritable nerf de la guerre, rapporte «The Telegraph» dimanche 30 novembre.
Les mercenaires liés à Moscou sont accusés d’exactions en Afrique centrale pour sécuriser et étendre son accès à cette ressource stratégique. L’or a bien des atouts: il est facilement transportable, fondable, blanchissable sur les marchés noirs et dissimulable. Il échappe ainsi aux circuits financiers traditionnels, un aspect précieux pour un pays sanctionné.
La Suisse, centre mondial du raffinage, se retrouve directement exposée. Entre 50 et 70% de l’or mondial passe par ses fonderies. La Suisse figure également parmi les dix pays aux plus grandes réserves de métal jaune au monde. Et notre pays est régulièrement critiqué pour servir de porte d’entrée à l’or d’origine problématique.
L'or, une matière cruciale pour la Russie
En République centrafricaine, les successeurs du groupe Wagner ont pris le contrôle de mines et se sont illustrés par leur brutalité. Il y a deux mois, ils auraient abattu dix prospecteurs près de la mine de Ndassima, estimée à un milliard de dollars. Deux semaines plus tard, dix autres prospecteurs ont été arrêtés puis enfermés plusieurs jours dans des conteneurs métalliques en plein soleil. Au moins un homme est mort, selon les médias locaux. Ces violences ne seraient pas isolées.
Au Burkina Faso, la société russe Nordgold a obtenu en début d’année une licence lucrative pour exploiter le gisement de Niou, en plus des deux sites qu’elle contrôle déjà. Au Mali voisin, la junte proche de Moscou a entamé la construction d’une raffinerie d’or en partenariat avec le groupe russe Yadran.
L’or est devenu un outil clé pour contourner les sanctions occidentales et accéder à des devises étrangères. L’enjeu s’est encore renforcé depuis que Donald Trump a placé deux des plus grandes compagnies pétrolières russes sur liste noire.
Les Emirats arabes unis, plaque tournante
Selon l'institut de recherche RAND Europe, Moscou utilise désormais l’or physique pour ses paiements interétatiques: or contre biens, or contre armes ou encore or contre liquidités. Yuri Chikhanchin, le chef de l’autorité russe de surveillance financière, a admis en juillet que l’or et les cryptomonnaies servent de plus en plus à régler des transactions internationales. Avec l’enlisement de la guerre en Ukraine, le métal précieux est devenu un canal essentiel pour financer l’effort militaire russe.
Parallèlement, la société de renseignement Sayari a indiqué que certaines banques russes auraient contourné les interdictions de transferts en dollars et en euros en négociant de l’or aux Emirats arabes unis et en Turquie. Selon Swissaid, une grande partie de l’or extrait par les réseaux russes en Afrique ne retourne pas en Russie. Il transiterait par les Emirats arabes unis, où il serait mélangé à de l’or légal avant d’être réexporté.
La Suisse «directement impliquée»
«La Suisse se retrouve directement impliquée dans ces flux problématiques, en important de l’or dont l’origine reste inconnue depuis les Emirats arabes unis», avertit Swissaid. «Les risques sont élevés étant donné que la Suisse est un des principaux pays importateurs d'or en provenance des Emirats arabes unis», souligne à Blick Marc Ummel, spécialiste en matières premières dans l'ONG.
Mais celui-ci rappelle que l’opacité demeure totale: les soupçons sont nombreux, mais aucune preuve formelle ne permet à ce stade de confirmer la présence d’or russe dans les importations suisses. «Il est très difficile à tracer», précise-t-il.
Les chiffres, eux, explosent: entre janvier et octobre 2025, la Suisse a importé 326 tonnes d’or, pour une valeur de 28 milliards de francs – plus du double des volumes annuels habituels. «Cette hausse massive est particulièrement préoccupante, au vu des quantités d’or illégal ou lié à des conflits transitant par les EAU et de l’absence de transparence sur son origine réelle», insiste Marc Ummel.
Un débat qui divise les fonderies
Une large partie de l’or importé depuis les Emirats est destinée au raffinage, même s’il l’a déjà été une ou deux fois auparavant. En Suisse, ce passage permet d’obtenir un métal précieux estampillé conforme aux standards internationaux, et avec une origine déclarée comme suisse. Parmi les cinq plus grandes fonderies helvétiques qui dominent le marché mondial, quatre refusent toutefois de raffiner l’or en provenance des EAU.
Pour Swissaid, il demeure impossible d’évaluer précisément la quantité d’or extrait en Afrique par des entreprises ou groupes paramilitaires russes. L'opacité demeure totale. Et dans cette zone grise, les risques que l’or qui alimente la machine de guerre russe trouve un jour son chemin jusqu’aux fonderies helvétiques sont élevés.