Viktor Orbán est-il un traître à l’Union européenne que son pays, la Hongrie, a rejoint le 1er mai 2004? 21 ans plus tard, la question est de plus en plus ouvertement posée à Bruxelles où le Commissaire européen hongrois Oliver Varhelyi (en charge de la santé et du bien-être animal) est aujourd’hui accusé d’avoir été un «agent de l’étranger» lorsqu’il était le représentant permanent de son pays auprès des institutions communautaires.
La Hongrie est officiellement soupçonnée d’avoir transmis des informations à la Russie ces dernières années. Plus grave: entre 2012 et 2018, ce pays aurait envoyé des espions à Bruxelles sous couverture diplomatique ou journalistique. Avec mission d’infiltrer la Commission européenne.
Cette question de la traîtrise se pose sans retenue, avant un possible sommet à Budapest entre Donald Trump et Vladimir Poutine à propos de l’Ukraine. Attention: cette rencontre ne figure pas encore à l’agenda. C’est le président des Etats-Unis, supporter zélé de Viktor Orbán, qui l’a proposé, alors qu’il s’apprête ces jours prochains à se rendre en Asie, pour assister au sommet des pays de l’Asean en Malaisie le 26 octobre, puis en Corée du Sud le 29 octobre pour le sommet (APEC) (Asia Pacific Economic Caucus) où il devrait rencontrer le chinois Xi Jinping, et aussi le président russe.
Après Budapest, l’Asie…
Rien ne dit, donc, que cette rencontre à Budapest aura lieu, d'autant qu'un responsable américain a affirmé, sous le couvert de l'anonymat, qu'aucune rencontre était prévue dans «un avenir proche». Une question de taille se pose en effet: Poutine, pour y aller en avion, n’a qu’une solution s’il veut éviter une éventuelle interception aérienne: survoler le Monténégro, puis la Serbie. Compliqué et risqué…
Mais pourquoi parler de traîtrise? Parce que Viktor Orbán, d’abord, a en théorie l’obligation légale d’interpeller Poutine, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale pour les crimes commis sous ses ordres par son armée en Ukraine. Bien sûr, les autorités de Budapest pourraient lui garantir l’immunité au nom de la recherche de la paix. Mais quid des risques de manifestations dans les rues de la capitale hongroise? Pas simple. Or ni Poutine, ni Trump, n’apprécient ce genre d’incertitude.
Boycott du gaz et du pétrole russe
L’autre sujet que les dirigeants des pays membres de l’Union européenne ne manqueront pas d’abord en présence de Viktor Orban au Conseil européen à Bruxelles ce 23 et 24 octobre est l’opposition de la Hongrie au boycott de l’UE des hydrocarbures russes. La Hongrie, très dépendante sur le plan énergétique, s’est engagée à importer du gaz russe jusqu’en 2036.
Or l’Union européenne veut définitivement couper le robinet du gaz et du pétrole en provenance de Russie. La proposition a été faite à Luxembourg ce lundi 20 octobre lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des 27. Il s’agit d’une loi ordinaire, qui pourra être adoptée par une majorité d’au moins 55% des États de l’UE. La Hongrie et la Slovaquie s’y opposent et menacent de véto. Ils dénoncent les diktats de l’UE, que Viktor Orbán a souvent comparé à l’ex-Union soviétique.
Jusqu’où? La question est posée. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait être saisie. Les juges européens doivent déjà se prononcer sur le lien entre le versement des aides communautaires à la Hongrie et son respect de l’Etat de droit. La Commission avait bloqué des fonds de plusieurs milliards d’euros alors que Budapest n’avait pas achevé les réformes exigées en contrepartie pour garantir l’indépendance de la justice hongroise. Puis, elle en a débloqué une partie dans des conditions dénoncées par le Parlement européen.
La question des actifs russes
Deux autres sujets sont sur la table: le 19e paquet de sanctions économiques et financières de l’UE contre la Russie, qui cible les entités commerciales de négoce pétrolier avec Moscou (les opérateurs de la fameuse flotte fantôme); et la proposition – soutenue par les Etats-Unis – de confisquer les 200 milliards d’euros de la banque centrale russe détenus en Europe, via le système Euroclear. Pour l’heure, l’idée en la matière est plutôt d’adosser un prêt à ses avoirs (qui serviront de garantie) pour acheter des armes américaines à l’Ukraine. Or Viktor Orbán s’y oppose.
Résultat: les experts juridiques de l’UE travaillent sur un dispositif visant à garantir que la décision relative au «prêt de réparation» proposé à l’Ukraine puisse être prise à la majorité qualifiée des Etats-membres. «Cela nécessiterait un accord politique de haut niveau entre tous les chefs d’État ou de gouvernement, ou la plupart d’entre eux», a déclaré la Commission dans une note adressée aux ambassadeurs de l’UE, vendredi 17 octobre.
Le mémorandum de Budapest
L’autre «traîtrise» de Viktor Orbán est historique. Une dimension importante pour ce Premier ministre qui fut jadis un activiste libéral, et qui maintenant s’est transformé en chantre de l’illibéralisme. La lettre «La Matinale Européenne» le résume très bien: «C’est à Budapest qu’a été signé en décembre 1994 le Mémorandum par lequel la Russie s’engageait à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine en échange de l’engagement de l’Ukraine de renoncer à la possession d’armes nucléaires. Troisième puissance nucléaire mondiale, l’Ukraine avait alors cédé à la Russie 176 missiles intercontinentaux et 1500 ogives nucléaires. Poutine a violé cette promesse une première fois en 2014, en envahissant et en annexant la péninsule de Crimée, puis de nouveau en 2022, avec son invasion à grande échelle. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont signataires de ce mémorandum.» Orban accepterait donc de considérer cette promesse russe comme nulle et non avenue. Un dangereux précédent…