Thomas Greminger est l'ancien secrétaire général de l'Organisation pour le développement et la coopération en Europe (OSCE). Il a autrefois négocié lui-même avec la Russie et l'Ukraine.
Il est aujourd'hui directeur du Centre de politique de sécurité de Genève. Après les différents échanges entre Vladimir Poutine, Donald Trump et Volodymyr Zelensky, un accord de paix est-il envisageable? Thomas Greminger nous répond le temps d'un échange téléphonique.
Thomas Greminger, lors de la rencontre dans le Bureau ovale, il n'y a pas eu d'esclandre... cette fois-ci. Donald Trump laisse entrevoir certaines garanties, Volodymyr Zelensky parle d'un «grand pas en avant». La rencontre a-t-elle été fructueuse?
Oui, je pense que oui. Notamment parce que Donald Trump a pour la première fois laissé entrevoir des garanties de sécurité. Les Européens ont orchestré la rencontre d'une main de maître: ils ont obtenu le meilleur résultat possible. De plus, lors d'un appel téléphonique entre Trump et Poutine, il aurait été décidé de nommer des négociateurs de haut niveau. On souhaite donc mener des discussions très sérieuses avant la prochaine rencontre.
L'administration Trump souhaite apparemment proposer à Kiev un marché avec Moscou: des terres ukrainiennes contre des garanties de sécurité occidentales. Qu'en pensez-vous?
C'est sans doute une formule trop réductrice. L'Ukraine n'est en principe pas prête à renoncer à des territoires en vertu du droit international. Mais peut-être que l'Ukraine est favorable à perdre temporairement le contrôle de certaines régions. Dans ce sens, il s'agirait d'un marché entre des terres et des garanties de sécurité.
Qu'entendez-vous par temporaire?
Les Ukrainiens sont conscients qu'il n'est pas possible de récupérer militairement certains territoires à court terme. Ils pourraient donc accepter, à la fin des négociations, que les Russes les contrôlent dans un avenir proche. Mais en contrepartie, ils veulent des garanties de sécurité sérieuses. A titre de comparaison, lors de la séparation de l'Allemagne entre l'Est et l'Ouest, l'Ouest n'a jamais accepté une division définitive, bien qu'ils aient donné leur accord immédiatement après la fin de la guerre. Si le contexte politique change, il est possible de récupérer les terres perdues.
Est-ce vraiment réaliste?
La comparaison avec l'Allemagne est le modèle de pensée des optimistes. Celui des pessimistes est le modèle coréen. Il y a un armistice depuis 80 ans, qui certes tient encore, mais la réunification ne se fera probablement pas de sitôt.
Etes-vous optimiste ou pessimiste?
Je suis toujours optimiste. Des concessions temporaires sont à mon avis un résultat réaliste des négociations. Ce serait compatible avec les constitutions ukrainienne et russe. Mais il ne faut pas minimiser qu'au cours des prochaines décennies, des territoires seront perdus au profit de la Russie. Et c'est très grave.
La prochaine étape pour Trump est d'organiser une rencontre avec Poutine et Zelensky. Quel est le constat de départ?
Le conseiller en politique étrangère de Vladimir Poutine, Iouri Ouchakov, l'a bien dit: il faut d'abord que des négociations substantielles aient lieu. Ensuite, il sera possible qu'une rencontre entre Poutine et Zelensky ait lieu.
Dans combien de temps?
Trump pense à un horizon temporel de deux semaines. Je pense qu'il faut plus de temps. Il est certes possible de s'entendre assez rapidement sur un processus de négociation, accompagné par exemple d'un cessez-le-feu temporaire. Mais si l'on doit négocier d'une part les modalités d'un cessez-le-feu et d'autre part les principes d'une solution au conflit, cela prend plus de temps. Quand on veut décourager les gens, on évoque volontiers le modèle coréen. Là-bas, les négociations ont duré deux ans.
Quels sont les plus grands points d'achoppement?
Premièrement, la question territoriale. Si l'on gèle la ligne de front actuelle et que l'on fixe ainsi temporairement le contrôle territorial, des concessions pour les deux parties sont inévitables. Sur le plan de la politique intérieure, Vladimir Poutine doit expliquer pourquoi il cède, bien qu'il souligne constamment que le momentum est du côté russe. Et du côté ukrainien, on lâche pour une durée indéterminée le contrôle d'une grande partie du Donbass, de certaines parties du sud et de la Crimée.
Mais encore?
Les garanties de sécurité et leurs modalités précises sont aussi problématiques. Si l'Ukraine est quasiment obligée d'être neutre, il s'agira d'une neutralité fortement armée. La Russie devra l'accepter pour parvenir à un accord.
Le président français Emmanuel Macron a évoqué la Suisse comme lieu possible pour de nouvelles négociations. Quel rôle la Suisse peut-elle jouer?
La Suisse serait l'hôte parfait. Le Bürgenstock a été une prouesse logistique et les Européens font confiance à la Suisse pour bien assumer ce rôle. Les Français préfèrent naturellement la Suisse à la Turquie ou à l'Arabie saoudite, par exemple.
Vous pensez qu'il y a une chance que les négociations aient lieu en Suisse?
Je ne l'exclurai pas. Les chances sont légèrement inférieures à 50%. Ce sont de toute manière les parties concernées qui décideront. L'Ukraine ne semble pas s'y opposer. La diplomatie russe continue à dire que la Suisse n'est plus neutre, mais les Russes sont encore relativement bien disposés à l'égard de la Suisse.
Seriez-vous vous-même impliqué dans une telle rencontre?
Certainement pas directement, je ne suis plus un diplomate actif. Mais nous pourrions apporter un soutien informel, par exemple avec une expertise technique.
Quelles possibilités voyez-vous pour l'OSCE dans les discussions à venir?
L'organisation pourrait surveiller l'application d'un cessez-le-feu. Il serait important que l'OSCE soit présente à la table et puisse apporter son expertise.