«Les plaintes n'ont aucune chance»
Un expert vole à la rescousse des six patrons suisses accusés de corruption envers Trump

La gauche a dénoncé les six patrons d'industrie qui ont réussi à convaincre Donald Trump de conclure un accord douanier. Ils sont accusés de corruption. Un ex-ambassadeur a aussi émis des critiques salées. L'expertise d'un juriste spécialisé en droit d'affaires.
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Une image emblématique: celle des dirigeants économiques invités par Donald Trump dans le Bureau ovale.
Photo: DR
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Michael Hotz

Les six grands patrons suisses qui ont su séduire Donald Trump et le faire plier sur l'accord douanier sont dans la sauce: accusés de «corruption», ils ont désormais une procédure juridique sur les bras. Deux conseillers nationaux des Vert-e-s et le parti de la Jeunesse socialiste ont chacun déposé une plainte pénale auprès du Ministère public de la Confédération pour «soupçon de corruption d'agents publics étrangers».

L'affaire remonte au jour où les milliardaires suisses ont offert au président américain un lingot d'or dédicacé et une montre de table Rolex. Après l'annonce de l'accord douanier, la démarche avait fait vivement réagir la presse internationale. La BBC britannique l'a qualifiée «d'offensive de charme en or». Le quotidien français «Libération» s'est montré beaucoup plus piquant, en titrant: «Rolex de collection, lingot d'or signé… Quand les entrepreneurs suisses graissent la patte à Trump pour limiter les droits de douane.» 

«Proche de la corruption»

Des voix critiques s'élèvent également en Suisse, et pas seulement du côté de la gauche. C'est au tour d'un ancien ambassadeur suisse de s'exprimer sur l'affaire. «Certains en Suisse ont le sentiment que cette démarche était proche de la corruption. Je ne suis pas sûr que cela montre la Suisse sous son meilleur jour», a déclaré Daniel Woker au «Financial Times».

L'ex-ambassadeur de Suisse au Koweït, au Qatar, à Bahreïn, à Singapour et en Australie, et chargé de cours à l'Université de Saint-Gall, parle même de «wheeling and dealing» – un terme anglais pour désigner des magouilles. «Ce n'est pas l'image que nous voulons montrer en tant que pilier de relations internationales bien organisées et respectueuses du droit.»

David Bach, président de l'IMD Business School à Lausanne, abonde dans son sens: «C'est gênant de faire des cadeaux aussi opulents en public dans un pays qui, sur le plan international, attache généralement de l'importance à la retenue et à la modestie», a-t-il déclaré au célèbre journal économique britannique. Et d'ajouter: «C'était l'or et la Rolex, et la photo.»

Des plaintes «politiquement motivées»

Peter V. Kunz, spécialiste du droit économique à l'Université de Berne, ne mise pas sur l'effet de ces plaintes pénales: «Elles me semblent plus motivées politiquement que juridiquement, et je ne leur donne pas de chances de succès», estime l'expert en droit, interrogé par Blick. Il pense que le Ministère public de la Confédération n'ouvrira même pas de procédure.

La «Team Switzerland», comme on appelle les six dirigeants économiques dans l'administration, aurait rendu la rencontre avec Trump publique en diffusant des images de l'entretien.

Raison pour laquelle Peter V. Kunz estime que «les représentants de l'économie n'ont pas profité directement de leurs 'cadeaux'». Selon lui, ils devraient «plutôt être considérés comme du marketing que comme corruption». De plus, selon le droit américain, les cadeaux en or n'appartiennent pas directement à Donald Trump, mais à l'Etat américain. Il ne s'agit donc pas de corruption économique à proprement parler. 

Trump reçoit toujours des cadeaux curieux

Pour l'expert en droit économique, la rencontre dans le Bureau ovale ne fait que refléter la réalité des relations avec l'actuel gouvernement Trump. Le président américain préfère s'entourer de représentants économiques plutôt que de négocier avec des politiques ou diplomates. «C'est sans aucun doute un peu inhabituel, pour nous, mais pas faux a priori», estime Peter V. Kunz. Selon lui, il est finalement logique de réfléchir à des alternatives lorsque les voies officielles ne fonctionnent pas.

C'est une réalité: Donald Trump adore négocier sous les feux des projecteurs, et il reçoit souvent des cadeaux de ses invités. On en a aujourd'hui quelques exemples: le Premier ministre britannique Keir Starmer a apporté une invitation du roi Charles, lors de la rencontre. Le CEO d'Apple, Tim Cook, a apporté au président américain une plaque de verre gravée avec le logo de la pomme, montée sur un socle en or 24 carats. Et les Qataris lui ont même offert un jumbo jet.

Avec ses cadeaux, la «Team Switzerland» a séduit Trump. Une tactique qui a fait ses preuves. Bien sûr, les six entrepreneurs ont aussi poursuivi leurs propres intérêts, juge Peter V. Kunz. «Pour moi, ce ne sont ni des coupables ni des héros.»

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