Une chose est certaine: pour les commerces, le Black Friday est une opération 100% bénéfique. Une étude de l’Université de St. Gall indique que durant cette semaine de promotions agressives, les ventes du commerce en Suisse explosent par rapport à la semaine précédente (+ 55% pour la semaine de 2024). En glissement annuel, les ventes de 2024 ont été supérieures d’environ + 5,2% par rapport à la même semaine de 2023. Les chiffres de 2025 seront bientôt disponibles.
Mais qu’en est-il des bénéfices du Black Friday pour les consommateurs? Cette semaine de promotions agressives peut-elle soulager le porte-monnaie des plus précaires? C’est en effet une opportunité si l’on est à l’étroit financièrement, convient Johanna Velletri, directrice de la Fondation genevoise de désendettement: «Avec la hausse du coût de la vie, et toutes les autres dépenses qui augmentent, cela représente une aubaine de pouvoir acheter certains articles moins cher avant Noël».
Cadeaux à prix abordables
Cependant, l’experte souligne que ce sont surtout les personnes endettées, qui ne peuvent s’endetter davantage, qui peuvent bénéficier de cette opportunité: «Ces personnes calculent chaque centime de leur budget, observe-t-elle. Et nous observons que pour cette catégorie, c’est une opportunité de pouvoir offrir un cadeau moins cher à leurs enfants.»
L’endettement pose une limite à l’excès. «Ce sont des personnes qui n’ont aucune marge de dépassement de budget, car elles ont une dette à rembourser. Les soldes d’avant Noël leur permettent d’accéder à des achats qu’elles ne pourraient s’offrir autrement», ajoute Johanna Velletri.
Mais pour le reste de la population, qui est plus exposée à des dépassements de dépenses, le constat est différent. «Cette semaine de soldes n’est pas forcément bénéfique pour la population dans son ensemble, et en particulier pour ceux qui ont peu de moyens sans être fortement endettés, souligne Johanna Velletri. Cette catégorie court le risque de trop dépenser avec le Black Friday. C’est pourquoi le constat plus général est que le Black Friday peut évidemment inciter à plus de consommation.»
Risque de surconsommation
A la Fédération romande des consommateurs (FRC), le ton est aussi à la prudence: «Il est parfaitement compréhensible de vouloir profiter d’actions pour acquérir certains biens, estime Sevan Pearson, responsable économie et santé à la FRC. Particulièrement dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat et de paupérisation d’une partie de la population. Il est toutefois important de redoubler de prudence durant le Black Friday, car ce qui peut sembler être de bonnes affaires n’en est pas forcément.»
La FRC recommande en premier lieu «d’évaluer ses besoins avant de procéder à un achat, car il ne faut pas oublier que la stratégie derrière le Black Friday consiste à pousser à la surconsommation, avec le risque de mettre à mal le budget de personnes aux moyens financiers limités.»
Vraies et fausses actions
D’après Sevan Pearson, «les commerçants proposent à longueur d’année des actions qui sont parfois plus conséquentes que durant ces quelques jours de novembre.» Dans l’idéal, conseille l’expert, il faudrait planifier ses besoins suffisamment à l’avance, afin de pouvoir observer l’évolution des prix et faire des comparaisons. L’objectif étant de mieux jauger si les réductions proposées durant le Black Friday sont intéressantes ou non.
La loi suisse a favorisé les opérations comme le Black Friday. «Cette multiplication des actions est notamment liée à l’assouplissement de l’Ordonnance sur l’indication des prix, entrée en vigueur début 2025. Il suffit désormais pour un vendeur de pratiquer un prix donné pendant 30 jours consécutifs pour être autorisé ensuite à le proposer en action pour une durée indéfinie, indique Sevan Pearson. Difficile dans ces conditions pour le consommateur de distinguer les 'vraies' des 'fausses' actions.»
Autre piège, l’acte d’achat s’accompagne souvent de possibilités de soulager l’acheteur, les magasins et sites web proposant toujours plus souvent l’option d’échelonner les paiements, sur plusieurs mois, au lieu de payer en une seule fois. Parfois, l’acheteur peut différer ses paiements sans frais ni intérêts. C’est notamment une spécialité de Klarna, la multinationale suédoise du paiement échelonné.
Les risques du paiement différé
Sur ce plan, Johanna Velletri met en garde: «En général, la possibilité de payer en plusieurs tranches peut inciter certaines personnes à consommer davantage. Il coûte souvent plus cher de payer d’une manière échelonnée qu’en une fois».
Ce que confirme Pascal Pfister, secrétaire général de Dette Conseils Suisse, l’association faîtière de soutien aux personnes endettées: «il faut faire attention à ces offres de paiements différés, car on reçoit les articles en avance, sans les avoir encore payés, et cela repousse nos obligations à demain. Il devient plus facile, avec toutes ces offres, de perdre le contrôle sur le budget».
Le piège, ajoute Pascal Pfister, est que le risque de retards de paiements augmente avec le paiement différé. Cela aboutit donc souvent à des frais de rappels. «Le business model de Klarna, par exemple, repose sur le fait que des personnes ne paieront pas leurs tranches à temps: ce sont alors des pénalités et frais de rappel qui les attendent».
Appel à se responsabiliser
Une population précaire, qui cède à la facilité de consommer aujourd’hui et payer plus tard, a plus de chances de présenter des retards de paiements, et d’être frappée par les pénalités, qui ne figuraient pas dans le budget. «Avant d’accepter un paiement échelonné, il faut avoir la certitude qu’on peut payer, et se responsabiliser», ajoute Pascal Pfister, qui observe que ces offres-là ne sont pas très bien réglementées. La FRC nous indique de son côté que le consommateur peut s’adresser à elle pour vérifier la licéité des contrats et des pratiques dans ce domaine.
Au final, les pénalités de retard, fréquentes dans les faits, font que les offres de paiement à crédit, y compris avec 0% d’intérêt, peuvent s’avérer plus chères que ne l’avait prévu le consommateur au départ. Des études académiques ont démontré comment le mécanisme du paiement fractionné mène à une augmentation des dépenses, car le coût, présenté en fractions du total, paraît trompeusement moins élevé au consommateur. L’échelonnement sans intérêts, en particulier, peut donner un faux sentiment de «gratuité», incitant à multiplier les achats sans considérer l’accumulation des échéances.