A la police municipale de Lausanne, la brigade de la jeunesse (19 membres) remplit une double mission: elle s'occupe à la fois de répression et de prévention, menée par des enquêteurs avec l'aide d'éducateurs spécialisés qui interviennent dans les classes.
A la tête de cette brigade depuis 2001, Jean-Marc Granger veut renouer le dialogue avec les jeunes après les émeutes des 24 et 25 août à Prélaz et Praz-Séchaud. Alors qu'un jeune homme de 19 ans a été interpellé, des recherches sont toujours en cours pour retrouver les principaux auteurs des violences et des déprédations.
Jean-Marc Granger, comment analysez-vous cet embrasement, avec un peu de recul?
Ce qu'on constate, c'est qu’aujourd'hui les mineurs ont un énorme réseau d’amis, qu’ils vivent à Lausanne ou ailleurs. C’est quelque chose que l’on savait, mais que ces événements ont particulièrement mis en lumière. Marvin était actif dans le milieu de la musique, Camila dans celui du sport. Leur décès n’a donc pas touché seulement un immeuble, un quartier, une école. Il a eu un retentissement énorme dans toute la ville. Ce réseau peut réagir de différentes manières. Après le décès de Camila, les gens étaient surtout dans le recueillement, les messages de soutien, etc. Mais la situation s’est reproduite avec Marvin. Et là, la violence de la réaction nous a surpris.
D’où vient cette violence selon vous?
Les quartiers en question, Prélaz ou Praz Séchaud, sont connus pour être très vivants. Notre brigade y est présente, on côtoie les jeunes dans d'autres situations. Cette explosion de violence n’est pas admissible, mais elle peut s’expliquer par l’émotion. La question pour nous maintenant est de chercher quel en a été le déclencheur. Est-ce qu’un groupe n’a pas mis de l’huile sur le feu pour faire passer d’autres messages? C’est ce que nous cherchons à évaluer. Probablement que certains milieux alternatifs devraient se remettre en question.
Est-ce qu'il y n’y a pas plutôt eu une rupture de lien progressive entre certains jeunes et la police?
C’est tôt pour faire cette analyse. Il y a aussi eu un cumul d'informations parfois contradictoires. Les médias ont joué un rôle questionnant de mon point de vue. Plutôt que de promouvoir l'apaisement, ils ont soufflé sur les braises. On a vraiment eu l’impression que notre volonté de policiers d’éviter les débordements et de protéger les personnes était mise à mal par des éléments externes. Et sur les réseaux sociaux, des messages laissaient supposer que la version policière était biaisée et fausse.
Il y a effectivement eu des erreurs dans la communication de la police...
Il ne s’agit pas d’erreurs de communication, mais le fait qu’une information erronée sur le «sens interdit » ait été donnée, puis corrigée, n’a probablement pas apaisé les choses. Cela a résonné comme une confirmation du fait que la police mentait. De manière générale, on se demande comment redonner aux jeunes la confiance envers la police, qui a été mise à mal par des éléments sur lesquels il nous est très difficile de nous expliquer. Car nous sommes aussi limités dans nos possibilités de communiquer.
Est-ce que la suppression de la police de proximité n’a pas eu un impact considérable sur les relations entre certains jeunes et les forces de l’ordre?
Il est vrai que quand on connaît les gens, cela incite à la confiance. La police de proximité n’a pas été supprimée. Cependant, le corps de police a modifié son organisation pour des raisons stratégiques et opérationnelles, et la présence visible des policiers dans les quartiers est moins fréquente que par le passé. Elle se fait principalement au travers des postes de police mobiles. Actuellement, les forces de police de proximité sont plutôt concentrées au centre-ville. La volonté est de pouvoir retrouver une présence plus soutenue dans ces quartiers, avec des policières et policiers qui bénéficient d’une reconnaissance de la part des jeunes. A la brigade de la jeunesse, c’est ce qu’on essaie de faire.
C’est-à-dire?
On a des policiers qui sont identifiés par les jeunes, dans chaque établissement scolaire. Les inspecteurs et inspectrices sont connus dans la cour d'école, ils sont au contact des doyens, des directeurs. Bien sûr, on ne connaît pas les 1000 ou 1500 élèves de chaque établissement. Mais le fait d’être identifiés nous permet de parler différemment avec eux, d’établir un autre lien qu’une patrouille qui débarque pour une intervention,
Les membres de votre brigade décrivent aussi cette méfiance de plus en plus marquée envers eux?
Oui, il y a davantage de confrontations verbales et, pour certains, de confrontations physiques et de tentatives de fuite. Mais seule une partie des gens est dans cette approche contestataire. La majorité des jeunes sont respectueux les uns envers les autres et ils sont aussi respectueux envers l'autorité, quelle qu'elle soit. Certains vivent du reste très mal les événements récents, parce que tout leur quartier est stigmatisé avec cette étiquette de «banlieue». Or, des quartiers comme Prélaz sont totalement intégrés à la vie de la ville.
A Prélaz, certains jeunes disent qu’ils aimeraient bien que la police vienne vers eux pour s’expliquer…
Cela va se faire. Avec les délégués à la jeunesse, nous avons lancé une réflexion pour trouver une manière d'aborder les jeunes différemment et reconstruire une relation de confiance. Parce qu’il y a une blessure qu'il s'agit de soigner. Maintenant il faut laisser un tout petit peu de temps aussi, pour que le processus de deuil puisse se faire. Et dans l’intervalle, mes collègues vont continuer à travailler sur le terrain, à intervenir quand on les appelle à l’aide.
C’est quoi le message essentiel que vous aimeriez faire passer aujourd’hui?
Une chose que j’aimerais dire, c’est que contrairement à ce que certains pensent, personne chez nous ne se réjouit de moments aussi dramatiques tels que ceux que nous venons de vivre. Nous, si on pouvait éviter les décès, les quartiers qui s’embrasent, je vous garantis qu’on signe tout de suite. On va assumer ce qui nous appartient et essayer de corriger ce qu’on peut, avec les marges de manœuvre qui sont les nôtres. Mais c’est une responsabilité collective.
Votre responsabilité à vous, policiers, c’est notamment de mettre fin à une forme de racisme systémique au sein de votre institution?
Il s’agit d’un sujet institutionnel sur lequel je ne suis pas habilité à me prononcer.