Blick a rencontré Stefan Walter, directeur de l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma), pour une interview. Il revient sur les risques hypothécaires et la surveillance controversée d'UBS.
Monsieur Walter, arrivez-vous à trouver le sommeil lorsque vous pensez aux risques sur la place financière?
Stefan Walter: En principe, je dors bien. Mais oui, puisque vous évoquez les risques, la situation générale s'est encore aggravée.
Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Les dangers externes se sont aggravés: les sanctions, la dette publique, les conflits géopolitiques, les prix élevés sur les marchés des actions, les primes de risque sur les obligations d'entreprise ou d'Etat – tous ces éléments peuvent être dangereux pour la place financière suisse.
Vous n'avez pas oublié les droits de douane américains?
Oui, nous avons vu après le «Liberation Day» combien les marchés financiers sont exposés aux fluctuations. C'est pourquoi la résilience – c'est-à-dire la capacité de résistance – est le mot d'ordre pour tous les établissements financiers en Suisse. Car les crises et les chocs viennent généralement de l'extérieur.
Sauf pour Credit Suisse...
L'élément déclencheur est venu des Etats-Unis, d'une crise des banques de taille moyenne qui a provoqué des distorsions et des ondes de choc tout autour du globe. En 2008, la crise hypothécaire est venue de l'étranger. Ce type de chocs peut se produire à tous moments, c'est pourquoi les banques et autres institutions financières doivent être bien gérées et maîtriser les risques. C'est le message clé de notre moniteur de risques annuel.
Mais ce message ne semble pas avoir été totalement reçu, par exemple sur les critères de solvabilité pour l'octroi d'hypothèques?
Le risque en matière d'hypothèques est important, les prix continuent d'augmenter et par conséquent, le risque de correction est élevé. Nous avons constaté que la marge de manœuvre lors de l'octroi d'hypothèques est exploitée de manière excessive par diverses banques. En d'autres termes: soit les critères internes des banques sont trop souples, soit il y a une forte proportion de financements au-delà des critères de capacité financière qu'elles ont elles-mêmes fixés.
Quelle est l'ampleur de cette proportion?
Dans de nombreuses banques, les exceptions aux critères internes d'octroi de crédit se situent entre 25 et 40%. Lorsque nous constatons ces financements, nous avertissons les établissements en question que ce n'est ni dans l'intérêt de la banque ni de ses clients.
Des critères trop laxistes
Raiffeisen, UBS ou banques cantonales: quelles sont les banques dans votre collimateur?
Nous ne dévoilons pas de noms, car nous avons accès à des informations confidentielles. De plus, nous voulons résoudre un problème et non en déclencher un autre. C'est seulement si un volant de fonds propres supplémentaire est nécessaire que nous pouvons le rendre public.
Dans des analyses de risques précédentes, vous avez déjà constaté que les critères d'attribution étaient trop laxistes. Pourquoi cela n'a pas changé?
La pression de la concurrence est forte, la croissance difficile sur un marché saturé. Les coûts de financement des maisons ont augmenté. La tentation est grande pour les établissements financiers de faire certaines exceptions, car elles se sont bien passées précédemment. Si nous remarquons qu'une banque va trop loin à ce sujet, nous intervenons.
Avez-vous suffisamment de personnel pour surveiller de près toutes les banques suisses?
Mon objectif est de développer la capacité de la Finma à faire plus de contrôles sur place pour mieux couvrir les plus grands risques. Et aussi pour s'appuyer un peu moins sur les examinateurs externes, qui font aussi les audits financiers. Par exemple, ils ne sont pas incités à remettre en question leurs propres évaluations en matière de provisions. Nous devons aller nous-mêmes sur place. C'est justement essentiel pour le plus grand risque des banques: le risque de crédit.
Le fait que les banques suppriment actuellement de nombreux postes vous aide-t-il dans votre recherche de personnel?
Oui, nous pouvons déjà choisir les bonnes personnes. Beaucoup trouvent du sens à travailler au sein de la surveillance, ils sont fiers de pouvoir contribuer à renforcer la résistance de la place financière.
Vous avez travaillé à la Fed et à la BCE, aimeriez-vous avoir la puissance de frappe de ces grandes institutions?
Chaque autorité de surveillance a ses avantages et ses inconvénients. La force de la Finma réside dans son professionnalisme et la qualité de ses collaborateurs. De toute ma carrière, je n'ai jamais vu des gens aussi compétents qu'ici.
Avant les fêtes de fin d'année: que contient votre liste de souhaits pour Noël?
Ce serait une longue liste qui commencerait par le régime de responsabilité, la possibilité de rendre publiques les procédures d'enforcement après leur conclusion et la compétence de distribuer des amendes. Nous sommes l'une des rares autorités de surveillance à ne pas avoir cette compétence.
Des règles pour UBS
Pourquoi la Finma veut-elle pouvoir infliger des amendes? Les amendes de plusieurs milliards au Crédit Suisse n'ont-elles pas entraîné de changement dans la conduite des affaires?
Il y a une grande différence entre payer des amendes à l'étranger et les payer sur le marché national, directement à l'autorité de surveillance responsable. De plus, l'amende doit être suffisamment élevée et pouvoir être publiée pour qu'elle ait un effet dissuasif. Elle doit aussi avoir un effet négatif sur le montant des bonus. Il est important que ces critères s'appliquent à toutes les banques et pas seulement à celles d'importance systémique. Sinon, nous pourrions donner l'impression de n'inspecter que les plus grandes.
En Suisse, le débat fait surtout rage autour de la réglementation d'UBS. Comment gérez-vous cette pression?
Je travaille depuis 35 ans pour des autorités de surveillance. J'ai assisté à presque toutes les campagnes possibles et imaginables de l'industrie mondiale du lobbying. Par exemple, après la crise financière de 2008, les mises en garde se sont enchaînées. Si les autorités de surveillance imposaient des règles plus strictes en matière de capital, il fallait s'attendre à une chute de la croissance ou une crise économique. Et que s'est-il passé? Rien du tout! De même, pendant la crise du Covid, le secteur bancaire a été un pilier important dans la gestion de la pandémie.
En Suisse, certains craignent que nous soyons trop pointilleux, tandis que le reste du monde assouplit ses règles...
C'est pourtant le contraire qui se produit. En Suisse, nous avons une sorte de Swiss Finish négatif. Lorsque la Suisse aura mis en œuvre le paquet «too big to fail», nous serons sur un pied d'égalité avec l'étranger. Même si entretemps, d'autres places financières comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l'Europe ont à nouveau assoupli leurs règles.
UBS voit les choses différemment, surtout pour l'augmentation des exigences en matière de capital.
Le total du bilan d'UBS est bien plus important que la performance économique annuelle de la Suisse. Dans d'autres pays, le bilan de la plus grande banque atteint au maximum la moitié du PIB. C'est pourquoi la Suisse a besoin de normes plus élevées dans ce domaine.
Etes-vous en contact avec la direction d'UBS, est-ce qu'il y a parfois des messages qui se perdent sur Whatsapp?
Nous avons défini un programme de surveillance très complet pour UBS, et les échanges ont lieu à tous les niveaux.
Une shistorm sur Internet a précipité la chute du Crédit Suisse. Les banques sont-elles aujourd'hui mieux armées pour faire face à de telles attaques?
Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls responsables, une part du problème vient aussi de la possibilité de retirer rapidement beaucoup d'argent via des canaux numériques. La meilleure assurance contre ce phénomène est de garantir un modèle commercial qui fonctionne. C'est pourquoi la Finma s'engage si fortement pour une place financière résiliente.
Quel est le danger des cyberattaques pour cette place financière?
Les banques ont fait des progrès dans ce domaine. Le danger vient surtout de la collaboration avec des fournisseurs tiers, c'est-à-dire par exemple des bases de données ou des solutions cloud. Nous demandons aux banques de veiller à ce que les mécanismes de défense de leurs fournisseurs soient aussi bons que ceux de la banque elle-même.