Gianni Infantino a connu un lundi un brin chargé. L’ONG britannique Fairsquare a d’abord déposé une plainte contre le président de la FIFA, la Fédération internationale de football, auprès de la commission d’éthique de l’institution. Son tort? Avoir attribué le «prix de la paix» de la FIFA à Donald Trump, ce qui bafoue le «devoir de neutralité politique» à laquelle il est tenu.
Parallèlement, un communiqué de presse annonçait la création de deux «pauses fraîcheur» pour chaque match de la Coupe du monde 2026, quelle que soit la température. Une décision vilipendée par de nombreux observateurs, qui y voient moins la volonté de veiller au bien-être des joueurs qu’un appeau à publicités.
Depuis sa résidence de Miami, où il s’est installé pour gérer l’organisation du mondial en Amérique du Nord, Gianni Infantino est-il perturbé par ces secousses? Il est fort à parier que non tant, depuis son élection en 2016, le patron du foot international enchaîne les désagréments, des maladresses aux affaires de corruption, en passant par des déclarations lunaires, sans jamais avoir l’air franchement perturbé. Rien, pourtant, ne prédestinait ce grand passionné, ex-juriste de l’UEFA, l’instance qui régit le football européen, à devenir l’incarnation du sport bling-bling et amoral.
Lavage plus blanc que blanc
Lorsqu’en octobre 2015, Gianni Infantino annonce sa candidature à la tête de la FIFA, il se positionne d’ailleurs à l’exact opposé de cette caricature. Peu connu du grand public à l’époque, le secrétaire général de l’UEFA de 45 ans remplace au pied levé Michel Platini, son supérieur au sein de l’instance européenne, rattrapé par une enquête du FBI pour racket, fraude et blanchiment d’argent. Il a l’image d’un technocrate sérieux et très volontaire pour redorer l’image de la FIFA, dont le président sortant, Sepp Blatter, est lui aussi pris dans les mailles de l’affaire de corruption.
«Si je suis élu, je mènerai ce changement, en partenariat avec tous ceux qui souhaitent voir une FIFA capable de diriger le sport le plus populaire au monde avec dignité et respect», déclare alors publiquement Gianni Infantino. Sa promesse: laver plus blanc que blanc, avec une «tolérance zéro» pour la corruption. Le candidat y ajoute une image de sobriété bienvenue après les outrances d’un Sepp Blatter qui aime mener grand train. Et fera d’ailleurs son premier voyage de président à bord d’un vol EasyJet.
Celui qui a grimpé lentement mais sûrement tous les échelons (sauf le dernier) de l’UEFA depuis son entrée au département juridique et commercial en 2000 met aussi en avant son bilan: «Je suis très fier de ce que nous avons réussi en matière de lutte contre les matches truqués, contre la violence et contre le racisme», explique-t-il à «Sports Illustrated». Une façon de promettre qu’il fera de même s’il est élu à la FIFA. Partout, son affabilité, son sens du réseautage mais aussi sa force de travail et sa maîtrise des langues étrangères (il en parle au moins cinq couramment) sont loués.
«Il tuerait sa grand-mère»
Certes, certains perçoivent pourtant déjà à l’époque un homme assoiffé de pouvoir. «Il a une ambition démesurée, obsédante. Il tuerait sa grand-mère», persifle un habitué de l’UEFA sous couvert d’anonymat dans «Le Monde». «C’est un autocrate détesté par le staff [de l’instance européenne], qui rêve de s’en débarrasser.» Mais d’autres, comme Darren Tullet, qui a présenté avec lui le tirage au sort de la League Europa pendant des années, rappellent sa solidité sur le fond. «Sa culture du football est impressionnante», raconte le journaliste britannique à «So Foot» en 2015. «Tous les ans, on fait un tirage à blanc avant le direct, et à chaque équipe tirée, il a toujours plein d’histoires à raconter.»
Pour sa campagne, Gianni Infantino en ajoute une autre à la pile: la sienne. Celle d’un gamin né à Brigue, en Valais, de parents immigrés italiens, qui tente de contrer le harcèlement scolaire dont il est victime en s’investissant à fond dans sa passion du ballon rond. Il renonce à une carrière professionnelle parce qu’il a «deux pieds gauches», confesse-t-il dans les colonnes de la «Walliser Bote». Il paie ses études de droit à l’université de Fribourg en travaillant la nuit. Avant de devenir en 1995 juriste au Centre international pour les études sur le sport à l’université de Neuchâtel.
Tomber le masque
Élu haut la main en février 2016, Gianni Infantino tombe le masque très rapidement. Un mois après, il est cité dans les Panama Papers, vaste enquête journalistique menée notamment par la «Süddeutsche Zeitung». Dans un article, le quotidien allemand révèle que l’Italo-suisse (également Libanais depuis peu) a vendu, lorsqu’il était à l’UEFA, des droits de diffusion de la Ligue des champions à une société écran dont les propriétaires sont mis en examen…dans l’affaire de corruption de la FIFA.
En mai, le successeur de Sepp Blatter fait voter un amendement qui lui donne le pouvoir, pour un an, de nommer et destituer les membres du comité d’éthique de l’institution internationale, supposée être un organe indépendant. Un an plus tard, il utilise cette disposition alors même que, selon le «Spiegel», le comité d’éthique enquête sur une potentielle ingérence de sa part dans les élections de la Confédération africaine de football. Et bloque la reconduction de deux de ses membres. Mark Pieth, juriste suisse à l’origine de la création du comité d’éthique, s’étrangle dans «Le Monde»: «La façon avec laquelle Infantino prend le pouvoir total est stupéfiante. Son style est pire que celui de Blatter, qui avait une certaine élégance.»
Exit aussi les voyages sur EasyJet et les grandes déclarations sur la sobriété. Gianni Infantino est épinglé pour usage de vols privés dont les montants grimpent à six chiffres. Très vite, il demande aussi à augmenter son salaire. En 2024, il a ainsi touché plus de 4,1 millions de francs suisses, contre 1,32 million au moment de sa prise de fonction.
Contradictions politiques
Il y a un autre domaine dans lequel Gianni Infantino a la fâcheuse tendance à souffler le chaud et le froid: la politique. D’un côté, pas question pour le président de la FIFA d’en faire. Il ne cesse de le répéter avant la Coupe du monde organisée au Qatar fin 2022, allant jusqu’à interdire le port de bandeaux arc-en-ciel par les joueurs pour dénoncer les discriminations du pays hôte envers les personnes LGBT+. En déplacement au sommet du G20 à Bali, quelques jours avant la compétition, il appelle aussi à une «trêve temporaire» entre l’Ukraine et la Russie.
De l’autre, vendredi dernier, c’est aux côtés de Donald Trump que Gianni Infantino apparaît tout sourire pour remettre au président américain un trophée visant à honorer sa contribution en faveur de la paix. «C’est ce que nous voulons d’un dirigeant, [...] vous pourrez toujours compter sur mon soutien», déclare alors le patron de la FIFA. L’ONG Fairsquare n’en revient pas et appelle le comité d’éthique à enquêter. Elle estime que Gianni Infantino a «encouragé les gens à soutenir le programme politique du président Trump, et exprimé son approbation personnelle [vis-à-vis dudit] programme».
Avant cela, le président de la FIFA a su se montrer particulièrement coulant avec les autorités qataries. C’est pour elles qu’il a condamné le bandeau arc-en-ciel, pour elles également, alors qu’il s’est installé dans une luxueuse résidence de Doha en 2022, qu’il a interdit l’alcool dans les stades au Qatar. «Infantino, il est toujours pote avec les riches et les puissants», balance un Michel Platini amer dans «L’Equipe». «Son problème, c’est qu’il adore les dictateurs et les milliardaires», abonde un haut gradé de la FIFA anonymement dans le livre «States of Play», du journaliste spécialisé Miguel Delaney. «Quand il se retrouve face à des gens immensément riches, il perd tous ses moyens.»
Des amis peu recommendables
C’est ainsi qu’il s’affiche aux côtés de Vladimir Poutine, qui le décore de la plus haute distinction russe en 2018, après la Coupe du monde organisée dans son pays. Qu’il refuse également d’exclure Israël du mondial 2026, malgré les accusations de génocide à Gaza – il avait déjà freiné en interne contre l’exclusion de la Russie de l’édition 2022, mais en vain.
«Il s'est mis dans la main de Donald Trump et de Benjamin Netanyahu», Premier ministre israélien, dénonce auprès de Franceinfo Nick McGeehan, de l'ONG FairSquare. Comment, dès lors, imaginer que la FIFA puisse statuer sereinement sur une plainte déposée par la Fédération palestinienne de football contre Israël, qui accuse son voisin d’avoir autorisé des équipes des colonies israéliennes en Cisjordanie à jouer dans le championnat israélien?
L’ONG FairSquare ne décolère pas. «La FIFA ne dispose d'aucun mécanisme efficace pour tenir [son président] responsable devant ses membres», poursuit Nick McGeehan. Et il est difficile d’imaginer les différentes fédérations nationales qui votent pour la présidence de la FIFA mordre la main qui les nourrissent. En augmentant le nombre de compétitions, notamment en Asie, Gianni Infantino a dopé les recettes de l’institution internationale, ce qui lui permet d’assurer un ruissellement important. En élargissant aussi le nombre d’équipes participantes, il a donné des gages à de plus petites fédérations jusqu’ici exclues. «La grande majorité de sa base électorale dépend financièrement des fonds de développement qu'elle reçoit de la FIFA. Gianni Infantino détient un pouvoir sans précédent», conclut Nick McGeehan.
Jusqu'en 2031?
Et c’est un pouvoir qu’il pourrait ne pas lâcher tout de suite. Lorsqu’il a pris la présidence de la FIFA, Gianni Infantino ne pouvait la garder que jusqu’en 2027, la limite étant fixée à trois mandats consécutifs de quatre ans chacun. Mais avec un premier round qui n’en a duré que trois (entre 2016 et 2019), puisqu’il a fallu remplacer Sepp Blatter en urgence, le Conseil de la fédération international a décidé de lui donner la possibilité de rempiler jusqu’en 2031.
Dans l’une de ses prises de parole controversées, en 2022, juste avant la Coupe du monde au Qatar, Gianni Infantino avait déclaré s’identifier aux minorités discriminées, lui qui l’a été dans son enfance en raison de ses «cheveux roux» et ses «tâches de rousseur». «Aujourd’hui, je me sens arabe, je me sens africain, je me sens gay, je me sens handicapé, je me sens un travailleur migrant», avait-il lancé – avant de s’excuser de ne pas avoir ajouter les femmes à cette longue liste. Trois ans plus tard, on est en droit de se demander s’il ne se sent pas, d’abord et avant tout, intouchable.