Ils sont, pour beaucoup d’Américains, le dernier rempart. Impossible d’installer un pouvoir plus autoritaire et centralisé aux Etats-Unis sans leur aval, et sans une chaîne de commandement parfaitement obéissante. Les généraux qui conduisent les différentes armées américaines (Terre, Mer, Air, Espace, Marines) sont pour Donald Trump un écueil incontournable.
Soit le président des Etats-Unis obtient leur allégeance – comme il l’a plusieurs fois réclamé – et il pourra parvenir à ses fins. Soit il sème le désordre dans les rangs du haut commandement, et le risque d’une paralysie de l’Etat, en plein feuilleton du «shutdown» budgétaire, deviendra très réel.
Des généraux pas tous trumpistes
Qui sont ces généraux qui peuvent encore faire obstacle aux visées de Donald Trump? Et pourquoi celui-ci les a-t-il convoqués, mardi 30 septembre, pour une réunion inédite à l’académie des Marines de Quantico, en Virginie? La réponse était contenue dans le discours prononcé, devant les quelque 200 officiers supérieurs des différentes armées, tous généraux à quatre ou cinq étoiles.
Le président y a réitéré son soutien aux purges opérées depuis son arrivée au pouvoir, pour écarter des postes à responsabilité des officiers jugés trop «libéraux» et trop «woke». Il a aussi demandé que les troupes se préparent à lutter contre une possible «invasion de l’intérieur». Il a enfin, à la stupéfaction générale, suggéré que des villes américaines dirigées par des maires démocrates et confrontées à d’importants problèmes de criminalité puissent devenir des «théâtres d’entraînement pour les troupes».
Risque de fracture
Rien, en revanche, pour solliciter directement l’adhésion de ces officiers à sa personne et au mouvement «Make America Great Again». Et pour cause: Donald Trump, comme son secrétaire à la Guerre Pete Hegseth (le nouveau titre du Secrétaire à la Défense) savent que le risque de fracture au sein du haut commandement est réel. Les purges ont déjà fragilisé l’adhésion des officiers supérieurs de l’armée à leur commandant en chef. Pete Hegseth lui-même, déchainé au point de qualifier de «merde» (shit) les consignes de respect de la diversité raciale et sexuelle en vigueur jusqu'à son arrivée à ce poste en début d'année.
Trump, ce président qui évita dans sa jeunesse le recrutement pour partir au Vietnam en raison d'un problème de pied, a-t-il au fond peur de l'armée et de ses cadres? La question est posée. D'autant que plusieurs rapports récents de think tanks, sur les orientations diplomatiques du Chef de l’Etat (en faveur de la Russie de Poutine, en faveur d’Israël sans réserve, en faveur d’un racket systématique des alliés européens) alimentent un débat, au sein des forces américaines, sur les vraies intentions de la Maison Blanche. S’agit-il, par ces biais, de consolider la puissance des Etats-Unis à l’heure de la rivalité avec la Chine qui, un jour, pourrait déboucher sur un conflit en Asie? Ou s’agit-il, ni plus ni moins, de faire de l’armée le gardien des intérêts de l’Amérique MAGA et du clan Trump?
Le poids des classes populaires
Le «shutdown» budgétaire, que l’administration Trump aborde en bulldozer face aux démocrates, conforte ce malaise au sein d’une armée dont les troupes – et une partie du commandement – sont issues des classes populaires. Comment imaginer l’adhésion des soldats, des sous-officiers et de nombreux officiers à une politique qui pourrait couper à terme les subsides sociaux dont bénéficient leurs familles?
Quid, aussi, des relations entre le haut commandement et les industriels de l’armement que la politique de Trump est en train d’enrichir considérablement, puisque les alliés des Etats-Unis au sein de l’OTAN les commandes? Les plaintes surgissent sur les conflits d’intérêts et face au risque de voir les plans stratégiques de l’armée être adaptés aux armements produits, alors que ce devrait être le contraire. Point très sensible enfin: la protection sociale et médicale des vétérans (15 millions de personnes), que certains idéologues républicains veulent raboter.
L’image du général américain dévoué à son pays et à son président demeure. Pour l’heure, aucune voix ne s’élève publiquement pour défier Donald Trump. Personne n’a encore embrayé le pas aux généraux Kelly ou Milley, ses collaborateurs durant le premier mandat, devenus les plus farouches détracteurs de l’actuel «Commander in Chief».
Reste une réalité: l’armée américaine, forte d’1,3 million d’hommes et d’un budget annuel de 700 milliards de dollars, n’est pas encore soumise aux visées nationales populistes et autoritaristes de son président. Il faudra, pour y parvenir, bien plus qu'un discours devant les généraux les plus étoilés.