«Nous voulons être prêts»
Ignazio Cassis dévoile les trois objectifs de l'OSCE en vue de la paix en Ukraine

Ignazio Cassis prendra la présidence de l'OSCE l'année prochaine. A l'aube de ce mandat, le conseiller fédéral se confie sur les problèmes rencontrés par l'organisation, sur la guerre en Ukraine et sur temps qu'il souhaite encore passer au Conseil fédéral. Interview.
1/6
Ignazio Cassis présidera l'OSCE l'année prochaine et deviendra président de la Confédération en 2027.
Photo: keystone-sda.ch
Raphael_Rauch (1).jpg
Raphael Rauch

Marquée par des tensions diplomatiques inédites, l'Europe traverse une période de discussions cruciales. Et la Suisse est directement concernée prendra la tête de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 2026..

Conseiller fédéral en charge des Affaires étrangères, Ignazio Cassis aura donc un rôle clé dans les discussions de paix sur l'Ukraine. Interrogé par Blick, le Tessinois s'est livré sur son avenir politique, sur le rôle de l'OSCE et sur la question ukrainienne.

Ignazio Cassis, vous semblez avoir le vent en poupe. L'écrasante majorité des délégués du PLR suit votre ligne de conduite dans le dossier européen. L'année prochaine, vous serez président de l'OSCE, l'année suivante, président de la Confédération. Etes-vous en train de vivre l'apogée de votre carrière?
Je n'utiliserais pas ces termes, mais je suis plutôt satisfait de la manière dont les choses évoluent. Nous entretenons de bonnes relations avec l'UE et, malgré le différend douanier, avec les Etats-Unis ou la Chine. Nous avons aussi des divergences avec tous les grands partenaires. Mais nous sommes trop petits pour avoir le sentiment que le monde doit changer à l'image de la Suisse.

Au sujet du conflit douanier, vous êtes sous le feu des critiques parce que ce ne sont pas vos diplomates, mais des milliardaires qui ont rendu l'accord possible. L'investisseur Fredy Gantner vous reproche même d'avoir retardé un accord avec Washington pour marquer des points sur le dossier européen.
Mon collègue Guy Parmelin est responsable des négociations douanières. Je ne m'exprimerai donc pas sur ce sujet.

«
Si le Parlement le veut, je serai à nouveau président de la Confédération en 2027
»

Qu'avez-vous convenu avec la nouvelle direction du PLR? Allez-vous cesser d'être conseiller fédéral fin 2027?
Je resterai peut-être conseiller fédéral beaucoup plus longtemps! Blague à part: personne n'est irremplaçable. L'année prochaine, nous aurons un rôle important à jouer avec la présidence de l'OSCE. Si le Parlement le veut, je serai à nouveau président de la Confédération en 2027. Et nous verrons alors à quoi ressemble le monde. Nous vivons aujourd'hui à une époque où nous ne savons même pas ce qui va se passer la semaine prochaine.

Qu'avez-vous promis à votre femme? Serez-vous encore conseiller fédéral si la votation sur les Bilatérales III n'a lieu qu'en 2028?
J'ai une femme merveilleuse qui a énormément de patience avec moi. Tant que nous serons en bonne santé, nous verrons ce qui nous attend.

Le Parlement se demande si les conseillers fédéraux ne devraient plus se retirer qu'à la fin d'une législature. La question est actuellement étudiée sous la Coupole. Quel est votre avis sur le sujet.
En huit ans de Conseil fédéral, j'ai appris à ne jamais commenter ce que le Parlement discute de manière autonome.

Quelle est l'utilité de l'ancien président du PLR Thierry Burkart? D'abord, il lance une consultation sur le dossier européen, et maintenant, il rejette clairement la résolution.
Thierry Burkart n'est plus président. Sa position sur le dossier européen n'est pas un secret, on le savait.

Trouvez-vous son comportement peu collégial?
A chacun de juger. Thierry Burkart est libre d'exprimer sa position.

Parlons de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Comment expliqueriez-vous à un enfant ce que fait l'OSCE?
L'OSCE est une famille de 57 Etats qui s'engage pour la paix et la sécurité – de Vladivostok à Vancouver. Et comme dans toute famille, il y a des difficultés et des conflits. L'OSCE doit être prête à agir dès que l'occasion se présente – même si, pour le moment, les possibilités sont limitées. C'est comme une voiture qui reste dans le garage et dont on n'a pas besoin tous les jours. Mais c'est bien d'avoir les clés de la voiture et de pouvoir la conduire quand on en a besoin.

«
La Russie mène une guerre contre l'Ukraine et viole ainsi les principes fondamentaux de l'OSCE
»

Beaucoup décrivent l'OSCE comme une organisation en état de mort cérébrale. En tant que médecin, quel est votre diagnostic?
Un diagnostic médical serait erroné. L'OSCE est dans le même état que ses 57 membres. La Russie mène une guerre contre l'Ukraine et viole ainsi les principes fondamentaux de l'OSCE. Mais le fait que la Russie n'ait pas été exclue de l'OSCE et qu'elle n'ait pas non plus quitté l'organisation de son propre chef indique que l'OSCE reste importante pour le dialogue avec la Russie – même si ce dialogue est amoindri.

Ni les Etats-Unis ni la Russie n'ont envoyé leur ministre des Affaires étrangères au Conseil ministériel de Vienne. N'est pas-là une preuve du manque de pertinence de l'OSCE?
L'OSCE est actuellement reléguée au second plan.

Souhaitez-vous changer cela en tant que président de l'OSCE?
Ce ne sera malheureusement pas en mon pouvoir. Mais je peux attirer l'attention des grandes puissances sur ce que l'organisation peut faire en matière de coopération et sur les canaux que nous pourrions utiliser.

Vous vous êtes entretenu pendant près d'une heure avec un représentant américain à Vienne. Quelles sont les attentes des Etats-Unis en tant que plus grand contributeur?
Les Etats-Unis estiment que l'OSCE, comme d'autres organisations multilatérales, a perdu la boussole. En conséquence, les Etats-Unis souhaitent réduire le budget. Il est également clair que les possibilités de l'OSCE sont limitées: les 57 Etats ont un droit de veto, toutes les décisions doivent être prises par consensus.

Cette année, l'OSCE était présidée par la Finlande, un pays de l'OTAN qui a une frontière directe avec la Russie. La Russie a-t-elle boycotté la présidence finlandaise cette année?
Difficile à dire. Il y a des tensions entre Helsinki et Moscou. La Finlande se sent plus en sécurité dans la famille de l'OTAN que dans une position neutre.

«
Ce n'est pas parce que nous sommes neutres et riches que tout nous est plus facile
»

La Suisse peut-elle donc davantage marquer des points en tant que pays neutre? Vous parlez régulièrement avec Moscou et vous assumez pour la Russie un mandat de puissance protectrice en Géorgie.
Nous ne devons pas considérer les chances de la Suisse à la lumière des difficultés des autres pays, car chaque pays a sa propre histoire. Ce n'est pas parce que nous sommes neutres et riches que tout nous est plus facile. La géographie est directement liée à la politique: notre relation avec la Russie est totalement différente de celle de la Finlande.

Trump aime faire cavalier seul. L'Europe – et donc l'OSCE – est elle relégué au second plan au niveau les pourparlers sur l'Ukraine?
C'est le nouveau monde dans lequel nous vivons. L'OTAN est confrontée au même problème: Les Etats-Unis resteront-ils ou pas? Et s'ils restent, est-ce que Washington rompra avec l'axe atlantique pour se tourner vers le Pacifique? Ce sont là les grandes questions géopolitiques auxquelles nous sommes confrontées aujourd'hui.

En 2014, la Suisse a assuré la présidence de l'OSCE ...
... c'était la deuxième. La première, c'était en 1996, lorsque Flavio Cotti était ministre des Affaires étrangères.

«
C'est de plus en plus la force de l'armée qui compte et de moins en moins la force de la diplomatie
»

En 2014, votre prédécesseur Didier Burkhalter et la diplomate de pointe Heidi Tagliavini ont joué un rôle important. Ils ont contribué à rendre possible l'accord de Minsk pendant la crise de Crimée. Quel sera le rôle de la Suisse l'année prochaine?
Comme je l'ai dit, le monde d'il y a dix ans était très différent de celui d'aujourd'hui – chaque citoyen en Suisse s'en rend compte. Le droit international n'est plus considéré comme sacré. On n'hésite pas à recourir à la force militaire en cas de divergences. C'est de plus en plus la force de l'armée qui compte et de moins en moins la force de la diplomatie. Après la fièvre de la mondialisation des années 1990, le balancier revient en arrière. Le nationalisme l'emporte de plus en plus sur le multilatéralisme. Mais comme mon prédécesseur, j'essaierai de rendre la présidence de l'OSCE aussi efficace que possible.

En 2014, Berne a travaillé étroite collaboration avec Paris et Berlin. Qui seront vos partenaires les plus proches?
Nos pays voisins jouent un rôle très important pour nous. En parrallèle, nous étudions des alliances ponctuelles avec les pays qui sont prêts à soutenir les réformes. En raison de sa situation géographique, le thème de l'Ukraine n'a pas la même signification pour le Portugal que pour la Pologne ou la Finlande.

A l'époque, la Suisse avait mis en place une mission d'observation de l'OSCE. Pouvez-vous imaginer la même chose pour 2026?
Oui, cela fait partie de nos trois objectifs. Premièrement, l'OSCE doit se consolider en tant que plateforme d'échange, permettant la mise en oeuvre de mesures de confiance. Deuxièmement, nous devons régler la question du budget. Troisièmement, nous nous préparons au rôle que devra assumer l'OSCE en cas de cessez-le-feu. Il existe déjà des réflexions concrètes à ce sujet: l'organisation est en mesure d'envoyer quelques dizaines de personnes à court terme. L'OSCE pourrait observer le bon déroulement du cessez-le-feu, surveiller la ligne de démarcation, monitorer les élections, etc. Mais la ligne de front s'étend actuellement sur 1300 kilomètres: l'OSCE, à elle seule, est trop petite pour la surveiller sur toute sa longueur, il faudrait beaucoup d'engagement de la part des Etats participants.

«
Dès qu'un accord sera conclu, nous voulons être prêt à agir immédiatement
»

Le président américain Trump veut imposer un accord entre la Russie et l'Ukraine. Combien de temps cela prendra-t-il?
Une telle chose peut arriver soudainement – comme l'accord sur Gaza. Mon objectif est que l'OSCE soit prête. Dès qu'un accord sera conclu, nous voulons être prêt à agir immédiatement. Dans un premier temps, nous aurions besoin d'une mission d'enquête qui se rende sur place pour évaluer la situation et établir un rapport. Ensuite, nous pourrions rapidement entamer les étapes suivantes.

Parlons d'un scénario négatif: Poutine n'est pas prêt à accepter un cessez-le-feu. Quel serait le succès minimal pour l'OSCE?
L'OSCE est une plateforme d'échange et de dialogue. Lorsque deux pays sont en guerre, ils peuvent soit se parler, soit rompre le dialogue. L'histoire nous montre que si l'on ne se parle plus du tout, la situation ne fait qu'empirer.

«
Si nous dissolvions l'OSCE maintenant, il nous faudrait dix ans pour reconstruire une telle organisation
»

Cela signifie que l'OSCE ne reste en définitive qu'un moulin à paroles?
Nous ne devons pas sous-estimer ce que l'OSCE peut faire quand on a besoin d'elle. Après la chute du mur en 1989 ou en 2014 dans le cadre de la crise en Crimée, l'OSCE a été très utile. Mais vous ne pouvez pas créer quelque chose comme ça de toutes pièces. Si nous dissolvions l'OSCE maintenant, il nous faudrait dix ans pour reconstruire une telle organisation. C'est une bonne chose que nous ayons l'OSCE pour faire face à de telles situations.

Même en cas de cessez-le-feu, les experts s'attendent à un échec de la paix. Selon eux, il y aura d'autres combats. Assiste-t-on à l'émergence à la frontière entre l'Ukraine et la Russie de ce que nous connaissons en Corée du Nord et du Sud?
On ne peut pas l'exclure. Depuis plus de 70 ans, la frontière en Corée est surveillée par des soldats suisses. Bien que les tirs aient cessé, il n'y a toujours pas de paix là-bas. J'espère que nous trouverons une meilleure solution pour l'Ukraine sans quoi il règnera une grande insécurité pour la population. Nous nous engageons pour une paix juste et durable. Les gens doivent pouvoir vivre en paix, sans craindre une reprise de la guerre à tout moment.

Washington dicte actuellement le rythme des négociations. Dans quelles conditions une deuxième conférence du Bürgenstock aurait-elle un sens?
La Suisse est toujours disponible pour des pourparlers de paix. Mais il s'agit uniquement de spéculations pour le moment.

Les Etats-Unis, mais aussi d'autres pays, réduisent le budget de l'OSCE. La Suisse pourrait-elle prendre le relais – ou avons-nous besoin de ces fonds pour la Genève internationale?
La contribution suisse à l'OSCE s'élève à environ 3,8 millions de francs par an. Le budget total de 138 millions d'euros est réparti entre 57 Etats. La problème n'est pas le budget en lui-même, mais plutôt la question de l'utilité réelle de cette organisation.

On pourrait organiser l'OSCE de manière plus efficace. A-t-on vraiment besoin de six langues officielles – ou pourrait-on se passer de l'allemand, de l'italien et de l'espagnol?
Les Etats doivent pouvoir se comprendre. La nécessité de six langues officielles ou l'existence d'autres solutions pour organiser la traduction à l'ère de l'intelligence artificielle, autant de question que nous pouvons assurément aborder.

Articles les plus lus