Son sourire était diabolique, son message limpide. «Soit les troupes ukrainiennes se retirent volontairement du Donbass, soit nous libérons les territoires par la force.» C’est ce que le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, a clairement exprimé lors d’une interview accordée jeudi à la télévision d’Etat indienne. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky exclut pour l'instant tout abandon volontaire du territoire.
Près de 85% du territoire (comprenant les régions de Donetsk et Lougansk) est déjà contrôlé par la Russie. Environ 6000 kilomètres carrés – soit à peu près la taille du Valais – restent aux mains des Ukrainiens. Si l'Ukraine renonçait à ces territoires, le pays tout entier serait perdu – pour trois raisons.
L’Ukraine n’a pas d’Alpes où se replier en cas d’urgence. Le «réduit» de Kiev, si l'on compare avec la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, est la ceinture de fortifications située à l’ouest du Donbass: précisément la région que Poutine exige de voir abandonnée.
Les villes de Sloviansk (120'000 habitants), Kramatorsk (160'000), Droujkivka (60'000) et Kostiantynivka (75'000) forment un rempart qui empêche les assaillants russes de pénétrer dans l'immense vide de l'Ukraine centrale. Les abandonner serait aussi tactiquement absurde que si l'armée suisse quittait ses bunkers alpins en cas d'attaque pour se réfugier dans les forêts du Plateau. L'Argovie plutôt que les Alpes, des champs plutôt que des villes fortifiées: une absurdité militaire.
Derrière ces villes fortifiées, l’Ukraine a construit une deuxième «ligne du Donbass»: un vaste système de tranchées, de barrières antichars et de fortifications. Pour s'en emparer, Poutine devra combattre. Selon les experts de l'Institut d’études de la guerre (ISW), son armée aurait besoin au moins jusqu’en août 2027, si l'effort reste constant.
Même si le gouvernement revenait sur sa parole et ordonnait un retrait, rien ne dit que cet ordre serait exécuté sur le terrain. De nombreuses brigades combattent dans le Donbass sans interruption depuis la première offensive russe en 2014. Sans nécessité militaire, elles n'abandonneraient pas sans résistance les positions qu'elles défendent depuis des années.
Des interviews de la chaîne NBC avec des commandants de différentes unités du Donbass confirment cette hypothèse. Volodymyr Rzhevskii, commandant d'une unité de drones, le formule clairement: «Si un ordre de retrait arrivait sans explication crédible, je ne l’appliquerais pas.»
Nombre de brigades ukrainiennes sont en partie financées par des fonds privés et acquièrent leur matériel grâce à des soutiens internationaux. Certaines unités influentes – comme la brigade Azov – combattaient encore récemment en tant que formations non gouvernementales.
Un ordre de retrait pourrait pousser ces troupes à se détourner de Zelensky et à poursuivre le combat de façon autonome. Un abandon précipité et volontaire des positions clés du Donbass porterait un coup immense au moral des forces ukrainiennes.
La Constitution ukrainienne interdit catégoriquement tout abandon de territoire. L’article 2 stipule que le «territoire de l'Ukraine est indivisible et inviolable». L’article 73 prévoit que toute modification des frontières doit être approuvée par un référendum.
Même si un tel vote était possible (ce qui est inconcevable en temps de guerre), la majorité des Ukrainiens rejettent, dans les sondages, l’idée de céder des territoires. Zelensky se trouverait donc de toute manière pieds et poings liés. Abandonner le Donbass violerait la Constitution – et déclencherait une crise nationale dont le pays en guerre ne se relèverait probablement pas.
Conclusion: si Poutine parvient malgré tout à s’emparer du Donbass, il sera récompensé pour sa guerre d’agression brutale. Cela encouragerait d’autres dirigeants autoritaires à lancer leurs propres guerres de conquête. L'ordre international fondé sur des règles – celui qui empêche le plus fort d’imposer sa loi aux plus faibles, et dont profitent particulièrement les petits pays comme la Suisse – s’effondrerait. Nous ferions donc bien d’être reconnaissants, même loin, très loin derrière les remparts ukrainiens, de la résistance sanglante que l'Ukraine oppose dans le Donbass.