En Russie, rares sont ceux qui osent critiquer ouvertement le Kremlin, surtout dans les rangs supérieurs de l’armée. Les récentes déclarations du colonel-général Vladimir Chirkin, ancien commandant en chef des forces terrestres, n'en sont que plus remarquées.
«Je n’ai pas l’intention de critiquer qui que ce soit, mais la Russie n’était une nouvelle fois pas préparée à la guerre», a-t-il asséné dans un entretien diffusé récemment sur la chaîne russe RBK. Selon lui, la guerre en Ukraine initiée en 2022 a infligé «une dure et sérieuse leçon» à Moscou.
Vladimir Tchirkin accuse notamment le Kremlin d'avoir été atteint par le «syndrome de Tbilissi» – c'est-à-dire d'avoir cru que l’invasion de l’Ukraine se déroulerait aussi vite et facilement que la guerre de cinq jours contre la Géorgie en 2008. «Le 24 février, tout le monde disait que la guerre serait terminée en trois jours. Mais les choses ont malheureusement tourné autrement», a-t-il expliqué.
Point autrement plus sensible, l’ex-commandant a remis en cause le travail des services de renseignement russes, qu’il a jugé «insatisfaisant». Selon lui, ceux-ci auraient affirmé que «70% de la population ukrainienne était avec nous et 30% contre nous». «On a découvert que c’était exactement l’inverse», a-t-il poursuivi. Il a également laissé entendre que les pertes russes en Ukraine seraient bien plus élevées que celles communiquées officiellement. L’armée sait combien de soldats ont été tués ou mutilés, dit-il, mais «toute la vérité n’a pas encore été dite».
Chirkin se met en danger
Qu’un militaire de haut rang évoque publiquement des erreurs d’appréciation, de mauvaises informations des services et des pertes élevées a de quoi surprendre. Le journaliste ukrainien Denis Kazanskyi souligne qu’on n’avait «jamais vu cela à un niveau aussi élevé».
Et pour cause. En Russie, critiquer la guerre peut valoir jusqu’à quinze ans de camp pénitentiaire. Les observateurs estiment donc que Vladimir Chirkin s’expose à de sérieux risques. Le général avait déjà eu affaire à la justice: en 2013, il avait été limogé pour des accusations de corruption et condamné à cinq ans de prison.
La liste de ceux qui ont osé critiquer le Kremlin et le président Vladimir Poutine n'en demeure pas moins longue. Certains, comme Alexeï Navalny ou l’ancien agent des services Alexander Litvinenko, l’ont payé de leur vie. D’autres, comme l’ancien champion du monde d’échecs Garry Kasparov ou l’homme d’affaires Mikhaïl Khodorkovski, ont été contraints à poursuivre leur combat depuis l’exil.
Un précédent connu
Maria Alekhina, figure du collectif contestataire Pussy Riot, a également subi de plein fouet la machine répressive russe: elle a ainsi passé deux ans en camp pénitentiaire et un an et demi en résidence surveillée avec bracelet électronique.
Invitée de l’émission «Markus Lanz» sur la chaîne allemande ZDF en mai 2022, elle livrait détails saisissants de sa fuite: déguisée en livreuse de repas, elle avait rejoint la Lettonie via le Bélarus.
Tout récemment, un tribunal russe l’a condamnée par contumace à treize ans de prison pour «diffamation» vis-à-vis de l’armée. Le collectif Pussy Riot pourrait, lui, prochainement être classé comme «organisation extrémiste» lors d’une audience prévue le 15 décembre.