A première vue, cela ressemble à une erreur de système: l'Union européenne (UE) ne soutient pas seulement ses propres agriculteurs, mais aussi les agriculteurs suisses. Quelques centaines de milliers d'euros sont ainsi versés chaque année aux domaines agricoles suisses depuis les caisses de Bruxelles. Et cela provoque la colère de nos voisins.
L'argent de l'UE est versé à des agriculteurs suisses qui exploitent des terres arables en Allemagne, et qui profitent ainsi d'une ancienne réglementation. Certains d'entre eux reçoivent une somme à cinq chiffres. Les mauvaises langues les appellent les «paysans au rabais».
Qui reçoit l'argent de Bruxelles?
Un accord datant de 1958 permet aux agriculteurs des deux pays d'introduire dans leur propre pays des marchandises provenant d'une bande frontalière de dix kilomètres de large sans payer de droits de douane, cela dans le but de faciliter le travail des agriculteurs. Mais aujourd'hui, les Suisses sont pratiquement les seuls à en profiter.
Les légumes et les céréales atteignent des prix nettement plus élevés en Suisse, tandis que les terres arables en Allemagne sont plus faciles à payer pour les exploitations suisses grâce à des revenus plus importants. A l'inverse, il n'est pas rentable pour les agriculteurs allemands d'exploiter des surfaces en Suisse.
Conséquence: les exploitations suisses cultivent leurs produits à bas prix en Allemagne, les importent en Suisse sans payer de droits de douane et les vendent ici à des prix plus élevés. Entre-temps, elles exploitent plus de 5700 hectares dans la région frontalière du sud de l'Allemagne. Dans la région, certains parlent d'«accaparement des terres par la Suisse».
Cela fait à peine 20 ans que des agriculteurs suisses touchent des paiements directs de l'UE. Mais de quelles sommes parle-t-on exactement, et qui en bénéficie? Blick a obtenu les chiffres: pour l'exercice budgétaire 2024, 766'837 euros ont été versés à environ 80 exploitations suisses. Les montants des années précédentes sont à peu près similaires. Ces versements proviennent de la Politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne.
Le canton de Schaffhouse est le plus avantagé
Les données de l'Institut fédéral allemand pour l'agriculture et l'alimentation montrent que les «paysans au rabais» sont particulièrement présents dans le canton de Schaffhouse. La palme revenant à la commune de Thayngen, où les exploitations suisses ont reçu 213'942 euros. La commune de Schleitheim (SH) a, elle, reçu 140'822 euros.
Les aides individuelles les plus élevées ont également été attribuées à un agriculteur de Schleitheim – il a reçu 71'597 euros. Suivent un agriculteur de Beggingen (SH) (36'626 euros) et une société d'agriculture à Bâle-Ville (33'474 euros).
Les subventions sont accordées entre autres pour la protection du paysage et l'exploitation durable. Le montant qu'une exploitation reçoit dépend généralement de la taille de la surface exploitée.
Les Allemands s'insurgent
Entre les prix élevés obtenus pour leurs produits en Suisse et les subventions de l'UE, les agriculteurs frontaliers bénéficient en réalité d'un double soutien, critiquent leurs homologues allemands. Une situation «particulièrement agaçante», estime Norbert Mayer, agriculteur à Stühlingen, interviewé par Blick. Des élus du Bade-Wurtemberg, région frontalière, réclament des conditions équitables. Ils évoquent notamment un renforcement des contrôles des prix et de nouvelles règles visant à protéger le marché des terres agricoles.
Une chose est claire: la «politique agricole commune» de l'UE ne doit pas traiter les agriculteurs suisses possédant des champs allemands différemment des exploitations locales en ce qui concerne les paiements directs, du moment qu'ils respectent les directives locales.
Pas les mêmes contrôles
Il y a 20 ans déjà, Peter Hauk (CDU), ministre de l'agriculture du Bade-Wurtemberg, s'indignait de ce soutien de Bruxelles. Il s'est battu en vain pour que seules les exploitations établies dans l'UE reçoivent des paiements directs. Bien évidemment, les agriculteurs suisses s'y opposent: pour les terres qu'ils cultivent en Allemagne, ils ne peuvent pas toucher de paiements directs de la part de la Suisse. Une même parcelle n'est donc jamais financée deux fois.
Mais les agriculteurs allemands s'en moquent: l'argent de l'UE va en fin de compte à des exploitations dont les produits n'atterrissent pas sur leur marché. De plus, les fermes suisses n'auraient même pas à se soumettre à tous les contrôles des autorités allemandes, comme c'est l'usage habituellement.