La partie qui va se jouer ces prochains mois, pour l’élection complémentaire du 8 mars 2026 au Conseil d’Etat vaudois, opposera deux visions de société radicalement différentes. Celle du candidat socialiste Roger Nordmann, un urbain vétéran de la politique fédérale, et celle du candidat UDC Jean-François Thuillard, un agriculteur vétéran de la politique communale. En lice également, la candidate Agathe Raboud Sidorenko, conseillère communale lausannoise d’Ensemble à gauche. Analyse des principaux enjeux.
Grand favori, Roger Nordmann est perçu comme le gagnant quasi assuré du 8 mars, y compris par les partis de droite. «Pour de nombreux motifs, le candidat du parti socialiste est le favori de cette élection, répond l'UDC Kevin Grangier, président de l’Alliance vaudoise, qui inclut l’UDC, le PLR et Le Centre. Mais comme au foot ou au hockey, le match se gagne sur le terrain et je préfère être dans le rôle de l’outsider que du favori.»
Toutefois, pour l’UDC, la candidature Nordmann est jugée plus avantageuse qu’un scénario où Sébastien Cala, jeune socialiste des périphéries, aurait été choisi. N’étant pas un «bobo lausannois», issu de la Vallée de Joux, région traditionnellement ouvrière, sa candidature aurait «délausannisé» le PS, et aurait pu leur râfler des voix plus aisément qu’un Roger Nordmann, qui «irrite assez rapidement en dehors de son propre parti», nous confie un membre de l’UDC sous couvert d’anonymat.
«En préférant le 'dinosaure' Nordmann, le PS donne un signal moins positif à l'électorat populaire qui nous est acquis», ajoute notre observateur UDC, qui reste néanmoins conscient que son parti a très peu de chances dans cette élection, surtout en raison des votes PS écrasants de Lausanne.
Quant aux Vert'libéraux, ils ont décidé, lors de leur assemblée générale du samedi 13 décembre, de ne pas présenter de candidat(e). A priori, le parti ne donnera aucune consigne de vote.
Une affaire qui pourrait arranger l’UDC. En effet, le Centre Vaud n'a, dès lors, pas d’alternative au candidat UDC. Il faut dire que l’Alliance vaudoise est fragile. A ce jour, l’UDC Jean-François Thuillard peut compter sur le soutien du PLR, mais le Centre semblait encore indécis ce week-end, avant son assemblée générale qui aura lieu mardi 16 décembre. Celle-ci devra trancher en faveur d’un soutien formel ou non au candidat UDC. Si c’est oui, Thuillard devient le candidat de l’Alliance. Sinon, il sera le candidat UDC soutenu par le PLR. Selon nos informations, l'issue risque de pencher pour un soutien, quoique réticent.
Il faut dire que la survie même de l’Alliance de cette droite élargie est en jeu: «Si la mobilisation des partis de l’Alliance n’est pas à la hauteur, cela sera fatal à l’Alliance, met en garde Kevin Grangier, et cela compromettra la campagne de 2027, et condamnera le canton à retrouver probablement une majorité de gauche au Conseil d’Etat.»
Non loin de là, à Genève, s’est joué un scénario similaire, quand le Centre a refusé de soutenir l’UDC Lionel Dugerdil au Conseil d’Etat, appelant ses membres à voter librement. Le 19 octobre, le Vert Nicolas Walder (qui était de toute façon favori) remportait l’élection complémentaire. Cela a signé la fin de l’Alliance de droite, sur fond d’échanges courroucés entre ses membres. L’Alliance avait en réalité la faiblesse de reposer sur de multiples compromissions et contradictions.
Le Centre Vaud se retrouve donc avec deux options d’ici mardi, celle de miser sur l’UDC, qui a peu de chances, ou d’être le fossoyeur de l’Alliance. Au sein du parti, on conteste cette analyse. «Est-ce que l’Alliance prendra fin si Le Centre ne soutient pas l’UDC? Pas forcément, objecte Michele Mossi, président ad interim du Centre Vaud. Le fait de ne pas soutenir le remplacement d’une Socialiste qui démissionne pour raisons de santé, ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de perception ou de politique commune ou de volonté du Centre de prendre des distances par rapport à l’UDC.» Il est vrai que l’Alliance vaudoise, contrairement à celle genevoise, se veut plus qu’une simple alliance électorale, et que son président est aujourd'hui un UDC.
Au-delà des tiraillements au sein de la droite, c’est bien le Socialiste Roger Nordmann qui peut aujourd’hui compter avec les plus grandes chances de victoire pour le siège laissé vacant par Rebecca Ruiz.
Certes, il convient de rappeler que le candidat PS, qui pourrait briguer le département de la Santé, n’a pas vraiment d’expérience dans ce domaine, étant avant tout un spécialiste reconnu des énergies vertes. Blick avait d’ailleurs relayé les critiques au sujet du mandat de conseil externe sur le Dossier électronique du patient, que lui a confié la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, de juillet à décembre 2025, à sa sortie du Conseil national. Ses détracteurs y voyaient davantage un tremplin pour candidater sur Vaud et reprendre le département Rebecca Ruiz, qu’un choix objectif de l'administration bernoise.
Mais Roger Nordmann a des ambitions plus grandes pour le Conseil d’Etat vaudois, dont celle de s’inscrire dans la continuité de l’action sociale de Pierre-Yves Maillard. Face à «la redistribution des richesses à l'envers» qu’il constate dans le canton, il a plaidé, dans son discours du 13 décembre, pour «une politique pour l'intérêt général».
Interrogé sur les manières de corriger cette «redistribution à l’envers», Roger Nordmann nous répond: «D’abord il faut maintenir le système Maillard, selon lequel personne ne paie plus de 10% de son revenu pour l’assurance maladie». Pour cela, ajoute-t-il, «il faut des ressources fiscales suffisantes, qu’il faudra aller chercher là où se trouve l’argent, et notamment à travers l’imposition sur les gains immobiliers.»
Une vision qui sera polarisante durant la campagne, face à un Jean-François Thuillard qui juge important de prendre soin des gros contribuables (lire son interview sur le site de Blick ce dimanche 14 décembre).
Mais qui tombe à point nommé, dans un canton où six manifestations ont eu lieu entre le 2 octobre et le 9 décembre, avec des fonctionnaires de l’Etat plus remontés que jamais, défilant en nombres historiques contre le projet de budget 2026, qui envisageait 305 millions de francs d’économies. Situation créée en bonne partie par des baisses fiscales répétées et une sous-taxation de plus de 10 ans des ultra-riches.
Pour Roger Nordmann, il s’agira en effet de retravailler le bouclier fiscal, mais aussi le système d'imposition d’après la dépense (forfaits fiscaux), où il observe un certain laxisme dans le canton de Vaud. Son objectif premier est de préserver le pouvoir d’achat de la classe moyenne, et de faire barrage à une poursuite du renchérissement des primes d’assurance-maladie. «Elles ne peuvent continuer de monter de 4,5% par an, c’est inacceptable», estime Roger Nordmann.
Certes, le thème de l’insécurité, défendu par Jean-François Thuillard, tient à cœur une partie grandissante de la population, y compris à Lausanne, où les commerçants ont exprimé leur ras-le-bol face à l'étendue du deal de rue, d'accès aux commerce ou d'autres manifestations de laxisme de la Municipalité.
L'UDC pourrait donc gagner des voix auprès de cet électorat clairement mécontent. Mais cela suffira-t-il? Le parti part de très loin à Lausanne où des dizaines de milliers de voix lui font défaut. Avant Jean-François Thuillard, les candidatures des UDC Michael Buffat en 2022, Pascal Dessauges en 2019, et Jacques Nicolet en 2017 ont échoué.
A l'inverse, l’UDC fait le plein dans les campagnes et de bons scores dans les petites villes. Pour cette élection du 8 mars 2026 comme pour de précédentes, le réservoir de voix du Centre, mais aussi celles des Vert'libéraux, pourrait une fois de plus faire la différence.
Comme dans le cas genevois, la réciprocité peine à se concrétiser pour l'UDC au sein d'une Alliance où Le Centre veut préserver sa base modérée. Le Centre avait lui-même été porté par l’Alliance vaudoise lors des élections de 2022, quand celle-ci a permis de faire élire cinq candidats centristes et PLR, sous l’étiquette Alliance vaudoise, avec le concours de l’électorat UDC.
Reste que pour cette candidature UDC, même si Le Centre officialise son soutien ce 13 décembre, il ne fera probablement pas de campagne très active auprès de ses électeurs. Dès lors, si le PS est pratiquement assuré de gagner le 8 mars, la droite tremble un peu. Car si l’Alliance éclate et que la droite est désunie, les partis bourgeois craindront que la gauche obtienne 5 mandats sur 2 lors des élections générales de 2027.
Ceci, d’autant plus que le bilan des quatre conseillers d’Etat de l’Alliance vaudoise est aujourd’hui largement critiqué. Que ce soit sur le dossier fiscal, ou sur l’incapacité de rendre l’Etat efficient, ou d’améliorer les tronçons d’autoroute autour de Lausanne, ou sur les blocages de la loi sur l’énergie. Au final, il y a peu de résultats positifs à mettre au bilan du Conseil d’Etat à majorité de droite, auquel on reproche, – même à droite –, d’avoir manqué de conduite et de leadership. Et qui doit aujourd'hui faire marche arrière face à la vive contestation du budget 2026.