L’ancien élu socialiste a quitté le Conseil national le 20 mars 2025. Le 6 mai 2025, il créait une société de conseil, «Approche Nordmann». Mi-juillet 2025, il recevait un mandat de conseil externe de l’Office fédéral de la santé (OFSP), qui porte sur le dossier électronique du patient (DEP), dans le cadre de la révision de la loi (LDEP) décidée il y a un an par le Conseil fédéral.
Le mandat s’étend de mi-juillet 2025 à la fin de l'année, renouvelable en 2026. Mais deux éléments suscitent des réactions. D’une part, Roger Nordmann n’a pas d’expertise connue dans le domaine de la santé. Ses spécialités sont les énergies renouvelables et la finance. Il a essentiellement siégé à la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie.
D'autre part, l’OFSP relève du Département fédéral de l’intérieur, dirigé par une socialiste comme Roger Nordmann, Elisabeth Baume-Schneider. Copinage, complaisance? Sur Facebook, Frédéric Lehner s’en est courroucé dans un post du 24 août. «Roger Nordmann n'a aucune expertise en santé et n’a jamais siégé à la Commission de la Santé du Parlement, dénonce-t-il. Quand je vois cela, je me dis que des personnes comme moi ou d’autres, qui sommes complètement intégrés dans le système de la santé, et avons suivi de A à Z le dossier électronique du patient, nous ne pouvons pas nous battre à armes égales.»
«Quelle crédibilité?»
Ce Fribourgeois se définit comme un lobbyiste du monde de la santé. Entrepreneur individuel depuis des années, il a fondé en 2023 Imedic, une Sàrl dédiée au conseil en sciences informatiques médicales, à la biomédecine et à la bio-informatique. Elle affiche un site internet en maintenance. L’intéressé, lui, est très actif sur les réseaux sociaux.
Pour Frédéric Lehner, l’ex-élu socialiste ne dispose pas de réseaux dans ce domaine. «En tant qu’expert de la santé, je suis souvent invité à des événements sur la santé ou sur le DE. Je n’y ai jamais vu Roger Nordmann. Ce mercredi 3 septembre, Swisscom organisait un symposium sur 'Le patient au cœur de l’innovation digitale' à Lausanne. Cela m'étonnerait qu'il y soit. Quelle crédibilité a un mandat dans la santé, accordé à un spécialiste des énergies? Choquant, le mot est faible.»
Contacté par Blick, Roger Nordmann se défend: «Je n’ai pas la prétention d’être un spécialiste de la santé, il y en a déjà beaucoup. Ce n’est pas ce pourquoi j’ai été engagé. Mon job est d’avoir une vue d’ensemble, un regard neuf et indépendant, et de fournir un conseil sur le processus législatif et politico-économique.»
Le Conseil d'Etat en ligne de mire?
Le politicien redevenu consultant rappelle que le DEP n’a pas bien fonctionné en Suisse. «Il y eu des blocages, des tabous, un faible taux de réussite (moins de 200’000 dossiers électroniques à ce jour). On a fait appel à moi pour ma capacité à poser des questions. A présent, l’option d’une infrastructure centralisée est prise, et il s’agit de préparer les détails du message, le passage au Parlement et les explications là autour. L’OFSP souhaitait un appui à ce niveau du travail politique», précise-t-il. «S’il y a eu échec, il est uniquement politique, répond Frédéric Lehner. Ce qu’il faut, c’est de passer de la stratégie à l’opérationnel, avant de légiférer.»
Au-delà du mandat controversé, Frédéric Lehner estime que Roger Nordmann pourra s’en servir comme tremplin pour se propulser au Conseil d’Etat vaudois en 2027: «Il pourra reprendre le Département de la santé de Rebecca Ruiz avec un début de connaissances et de réseau dans le secteur. Si tel était le cas, la question d'une pré-campagne aux frais du contribuable serait problématique.»
A la question d'une candidature, Roger Nordmann répond: «Ni vrai ni faux, comme vous pouvez le lire dans mes interviews de sortie. Je n’ai rien décidé.»
L'OFSP répète son communiqué
Le conseiller national UDC Yvan Pahud dit également avoir été surpris en apprenant que la conseillère fédérale socialiste «s’était adjoint les services de son camarade Roger Nordmann». En sa qualité de rapporteur de la Commission des finances en charge de l'OFSP, il a interrogé celui-ci sur son choix. «Ils m’ont donné une réponse très politique, celle qui figurait déjà dans leur communiqué d’août, regrette-t-il. A savoir qu’il était nécessaire d’avoir l’appui d’un ancien parlementaire, avec un réseau, qui permettrait d’avoir les contacts utiles pour la mise en place du DEP.»
Contactés par Blick, le Département de l’intérieur et l’OFSP puisent également la réponse dans ce communiqué d'août, à savoir que Roger Nordmann a été mandaté, «car il connaît parfaitement les processus politiques de la Confédération et des cantons ainsi que les différents acteurs dans les structures fédérales de notre pays. Enfin, il possède une grande expérience dans la gestion des processus législatifs complexes.»
L’ancien député «aura notamment pour tâche de mener des discussions avec des associations, des organisations et d'autres parties prenantes afin de contribuer à ce que la révision s’inscrive le mieux possible dans l'ensemble de la société».
Un tarif de 125'000 francs
A la question de savoir s’il aurait fallu procéder à un appel d’offres, la réponse est négative: Roger Nordmann percevra des honoraires «d'un montant habituel pour les consultants indépendants», qui se limitera à 125'000 francs au maximum sur une période de 17 mois et demi, et sera «rémunéré en fonction du temps effectivement consacré à cette mission». Ce montant étant inférieur à 150'000 francs, le mandat n’a pas requis d’appel d’offres.
«J’étais déjà consultant avant d’être conseiller national, rappelle Roger Nordmann. Je reprends donc mon activité. Je n’ai pas de rente, il faut bien que je gagne ma vie. Mes tarifs sont dans la fourchette basse des tarifs de consultants.»
«Un mandat sur le DEP ne doit pas être politique, estime Frédéric Lehner, mais stratégique, avec des acteurs qui représentent chaque responsabilité, qui ont chacun une vue sur le parcours du patient, dont un représentant des patients, des médecins, des pharmaciens, de la santé publique, de l’informatique médicale et des assureurs. Confier ce mandat à un pool d’experts aurait été plus fédérateur», regrette le Fribourgeois.