Une Municipalité de gauche peu à l’écoute, laxiste, un centre-ville devenu infernal pour les clients et les livreurs: les partis de la droite lausannoise ont voulu joindre leurs combats à celui des commerçants. Leur espoir: mobiliser, en prévision des élections du 8 mars 2026, ces entrepreneurs délaissés par la Municipalité rouge-rose-verte, et gagner du terrain à l'exécutif.
Une initiative du PLR
Ce jeudi matin, ils étaient 5 candidats du PLR, du Centre, de l’UDC et des Vert’Libéraux, venus partager des constats alarmants avec les commerçants et entrepreneurs du centre-ville, qu'ils ont invités au Montana's Bar. Une cinquantaine d’entre eux ont répondu présents.
Des ballons blancs et bleus, aux couleurs du PLR, ont accueilli les arrivants, avec l’inscription «Changeons Lausanne», slogan de campagne du parti. Présidente du PLR Lausanne, Mathilde Maillard, candidate à la Municipalité, a souligné que cette fois, 3 candidats PLR seront présentés à l’exécutif de la Ville.
«Avec une gauche sourde aux revendications des commerçants de Lausanne, nous voulons mieux tenir compte des enjeux d’accessibilité et d’attractivité de Lausanne. Cela nous paraît fondamental», ont souligné Mathilde Maillard et l'organisatrice de cette rencontre, la PLR Kristina Babina Deburaux, candidate au Conseil communal et fondatrice d'un groupe de crèches privées.
Agressé par «deux Suédois»
Alors que l'essentiel des préoccupations des commerçants présents s'est centré sur les problèmes d'accessibilité du centre-ville en voiture, ce rendez-vous a pris une tournure étrange au moment de s'attaquer aux thèmes des incivilités, du deal de rue, et des manifestations pro-palestiniennes. Ces thèmes, qui ne semblaient pas préoccuper une majorité des commerçants présents, ont reçu une grande attention des organisateurs, certains propos ciblant les étrangers.
Au chapitre des incivilités croissantes, Claudio Boccha, consultant en communication digitale et patron de la chaîne de beauté pour hommes Masculin Center, sonde la salle sur les comportements agressifs, les dégradations de l’espace public, les nuisances et les vols impunis, et un certain nombre acquiesce. S’ensuit une séquence de témoignage préparée pour ce volet. A l’invitation de Claudio Boccha, vient sur scène un chasseur de têtes d’origine bretonne, Christophe Gouriou, pour raconter qu’il se promenait dans un parc en soirée, et s’est fait agresser par «deux… Suédois».
Euphémisme fréquent à l’ultra-droite, ces «Suédois» semblent ici désigner des Maghrébins. L’un d’eux lui aurait tendu un couteau et l’aurait pris en chasse. Ils auraient croisé une «dame aveugle», et les «Suédois» seraient partis, non sans menacer de «violer» la dame âgée la prochaine fois. Désormais, estimant que l’insécurité à Lausanne ne vaut pas mieux qu’à Paris, Christophe Gouriou affirme quitter Lausanne pour Riga, en Lettonie, où règnerait un ordre plus strict.
«Avec les Arabes c'est la merde»
Le sujet portant sur la présence de toxicomanes à la Riponne a, lui aussi, tiré sur la corde identitaire, du côté des organisateurs. Claudio Boccha a lancé une longue vidéo sur La Riponne et son espace de consommation ouvert il y a un an. Il nous explique qu'il s'agit d'une vidéo amateur, sans prétention journalistique, «réalisée par un commerçant du quartier» et publiée sur sa chaîne Youtube «On en a marre stop».
La vidéo donne la parole à des personnes toxico-dépendantes, au visage flouté et à la voix modifiée. Elles décrivent d'abord le problème du local qui ferme à 21h30. Mais assez vite, les propos de ces témoins anonymes s'attardent sur comment les immigrés arrivés ici détériorent l’ambiance et la salubrité des lieux. Ils singularisent les toxicos «arabes». L’un d'eux déclare: «Je ne suis pas raciste, mais depuis qu’il y a les Arabes c’est la merde, c’est eux-mêmes qui le disent, c'est souvent eux qui s'engueulent, qui cassent des bouteilles, qui volent.. Ils veulent prendre le pouvoir, ils font comme si c'était chez eux». Durant la projection, Claudio Boccha attire l’attention de la salle: «Regardez sur la gauche de l’écran, le pauvre touriste qui passe par là en courant...».
Si la singularisation d'une communauté peut étonner, le problème plus général est réel. Il y a quelques jours, le collectif Ma Riponne va craquer avait écrit une lettre ouverte au syndic socialiste Grégoire Junod pour se plaindre de l’insalubrité qui règne autour du local de consommation. Une démarche initiée par Fabien Gehrig, l'un des patrons du club «Le Folklor», séparé du local par une palissade métallique.
Manifs: entre gêne pratique et idéologique
«Ce quartier est à l’abandon», estime la PLR Mathilde Maillard, venue s'exprimer après la vidéo. Pour cette dernière, il s’agit de réserver aux Lausannois ces structures. «A personne d’autre, les autres doivent être redirigés vers leur commune, canton, ou pays d’origine».
«Il y a un problème de salubrité majeure, surenchérit la conseillère communale UDC Patrizia Mori, présidente de l'UDC Lausanne. Des seringues ont été trouvées aux abords des parcs où jouent les enfants, assure-t-elle. Nous demandons une tolérance zéro face au deal de rue, et une fermeture pure et simple du local de consommation.»
Le thème des manifestations a offert, lui aussi, quelques propos tendus. Le constat unanime est que leur fréquence perturbe les affaires. «Au mois de juin, c’était infernal tous les week-ends, a dénoncé Anne-Lise Noz. On aimerait qu’une place soit dédiée aux manifestations pour que cela ne bloque plus le centre-ville, avec des parcours pour défiler. Ce serait aussi plus simple à gérer au niveau sécuritaire». Une proposition qui a été faite dans ce sens par le PLR au Conseil communal, et n’a été soutenue que par l’UDC.
Mais pour l'avocat David Abizker, frère de l’actuel président de l’Association Lausannoise du Cœur de Ville Cédric Abizker, ce sont les choix de la Municipalité qui interrogent. «Fin septembre, une marche pour Israël a été déplacée à Ouchy, et la contre manif pro-palestinienne a pu avoir lieu alors qu'elle était illégale». En réalité, cette dernière n'était ni autorisée, ni interdite, car la liberté de réunion est garantie en Suisse. L'Association Suisse-Israël avait enjoint la Ville à l'interdire. Et surtout, le rapport avec les problèmes des commerçants n'apparaît pas évident.
Pas que la faute d'internet
En effet, les véritables préoccupations des commerçants se situent bien davantage au plan de l'accessibilité du centre-ville, des places de parking, et des travaux. «Auprès des politiciens, nous avons un dialogue, mais peu d’écoute, nous confie Claude Jutzi, ancien président de l’Association lausannoise du Cœur de Ville, qui était auparavant l’Association Rue de Bourg-St François. Aujourd’hui retraité, il a dirigé la boutique Bucherer Lausanne pendant 17 ans. «On a de plus en plus d’encoubles. Le syndic de Lausanne, M. Junod, nous dit que c’est la faute d’internet. Le commerce en ligne nous a certes pris des parts de marché, mais on cumule les contrariétés avec les limitations de vitesse et les plus de 2000 places de parking supprimées en 4 ans». Il ne dit pas pour quel parti il va voter. «Les élections arrivent. Je ne voterai en tout cas ni Vert, ni socialiste».
Lausanne se comparerait mal
Parmi les commerçants, les plus mécontents étaient présents. A commencer par Claudio Boccha, qui co-animait l’événement. C’est lui qui avait mené campagne contre la Municipalité actuelle, sous la bannière «Commerçants en Action», en créant le site «Stop, on en a marre, Mon commerce ne soutient pas les autorités communales actuelles pour les élections de 2026». Ayant l'expérience de ses boutiques dans d'autres villes de Suisse romande, il assure que Lausanne se compare très mal. «Des clients préfèrent aller au Masculin Center de Morges plutôt que de tenter le centre-ville de Lausanne».
Mauvaise accessibilité, faible mobilité, généralisation du 30km/h, travaux sans fin, Claudio Boccha consulte l’audience sur ce sujet: une large majorité de l’assistance lève la main pour répondre que oui, c’est le gros problème. De même pour les chantiers successifs, parfois simultanés, qui paralysent les rues.
«Les travaux, c’est 30% de chiffre d’affaires en moins», résume Anne-lise Noz, patronne de la chocolaterie Noz à la rue Marterey, et présidente de la Société Coopérative des Commerçants Lausannois. «La seule possibilité est de licencier pour réduire les charges. Et après la fin des travaux, il faut en général 6 à 8 mois pour que la situation se stabilise». Elle déplore l’absence de mesures d’accompagnement avec les chantiers.
Centre-ville inhospitalier
Un franchisé Mc Donald’s, responsable des restaurants proches de la gare et de celui du Flon, témoigne du même problème d’accessibilité. En discutant avec ses collègues franchisés, il est arrivé à la conclusion qu’avec la multiplication des travaux, «Lausanne est clairement le marché qui marche le moins bien au niveau du chiffre d'affaires».
Cédric Abikzer, quant à lui directeur de la boutique de luxe Allure, située en face du Lausanne Palace, témoigne de l’inhospitalité du centre-ville: «Mes clients ont des difficultés à y rentrer, on a des zones de travaux dans de nombreuses rues. Le 30 km/h est aussi un problème, on se fait coller à 31 km/h, on ne trouve pas de place de parking, on est amendé si l’on reste 3 minutes de trop. Les clients sont découragés. Nous sommes parfois obligés d’aller chez eux.»
Inadaptation à certains types de clients
David Abikzer, dont l'étude d'avocat est à Lausanne, témoigne à son tour: «Peu de clients vont se garer dans un parking-relais et prendre les transports pour venir au centre-ville me voir. On a bien compris que la voiture était l’ennemi pour la gauche, mais pour certains types de services, comme le mien, statistiquement, les clients n’utilisent pas les parkings-relais.»
Pour Claude Jutzi, «on arrive dans une certaine forme de dictature où on a 10% de la population qui utilise le vélo, et on pénalise 90% des citoyens, pour créer des pistes cyclables et ôter des places de parking».
Qu’aurait fait de mieux une Municipalité de droite? A cette question, Claude Jutzi n’a pas de réponse toute faite. «On espère qu’ils auraient pris davantage en compte le poids de l’économie au lieu d’avoir des visions euphoriques d’un monde meilleur avec des abeilles et des renards en ville; ce n’est pas un lieu de villégiature, une ville, c’est une agora d’échanges».
Problèmes de représentativité
En Ville de Lausanne, 70% de la population ne vote pas, ont déploré les participants. Dès lors, la droite aimerait mobiliser ce vivier d'abstentionnistes, et notamment les jeunes. Autre problème: la plupart des commerçants concernés n’ont eux-mêmes pas le droit de vote sur Lausanne, car ils habitent à l’extérieur. Pour Cédric Abikzer, président de l’association hôte, la seule solution est d'oeuvrer ensemble avec les commerçants pour effectuer un travail sur le terrain. «Il en va de la survie du commerce, rien de moins», conclut-il.
Pour Claudio Boccha, «peu importe que la prochaine couleur de la Municipalité soit verte, bleue, jaune, à petits pois. On veut que ça change. Et la Muni actuelle est complètement sourde, elle ne nous entend pas. On veut que la prochaine nous prenne en considération. Il faut renverser la table et avoir une autre vision qui soit mise en place. C’est l’écoute, que nous voulons, de la prochaine Municipalité.»