Jeudi soir, Lausanne a servi de théâtre à l'affrontement de deux mouvements idéologiques militants. Une «silent walk» pro-Israël, prévue à la Place du 14-Juin (anciennement Saint-Laurent) puis délocalisée à Ouchy, a réuni une centaine de personnes venues soutenir Israël. Tandis qu'à la Riponne, une contre-manifestation pro-Palestine, organisée à la dernière minute, a rassemblé mille soutiens en faveur de Gaza.
Inévitablement, le camp pro-palestinien a voulu croiser le chemin de ses opposants, jugeant «honteux» que le Ville de Lausanne autorise ce rassemblement – alors que l'ONU accuse désormais Israël de génocide à Gaza. Résultat? Une quinzaine de militants, keffieh autour du cou, ont crié des «Free Palestine!» à l'entrée du métro d'Ouchy. Trois ou quatre manifestants ont tenté d'approcher le groupe israélien, scandant notamment «Bande d'assassins», mais se sont fait sèchement refouler par les forces de l'ordre.
Une marche préparée au pire
L'Association Suisse-Israël (ASI), organisatrice de la «silent walk», était pourtant préparée au pire. D'abord sur leur affiche, qui précise que «l'événement est protégé par la police». Puis, les intervenants prenant la parole l'ont fait masqués, conseillant aux participants de suivre leur exemple.
Autre détail frappant: la marche était encadrée par un service de sécurité privé. Habituellement, deux personnes protègent les intervenants. Mais, après avoir appris l’existence de la contre-manifestation, l’ASI a recruté entre six et huit vigiles pour encadrer le rassemblement, explique à Blick son secrétaire central, Walter Blum.
Vigiles privés «indispensables»
La police collabore-t-elle avec ces agents privés? «Elle est en contact avec l’organisateur, avec lequel les modalités de la manifestation sont fixées. L’organisateur reste libre de s’entourer d’un service de sécurité privé, qui agit sous sa responsabilité», indique Samuel Nanchen, chargé de communication de la police lausannoise. Si la pratique n’est pas courante, elle reste possible.
Pour Walter Blum, le recours à ces vigiles est désormais incontournable. «La militance au sein de ces manifestations est de plus en plus grave. C'est absolument nécessaire d'engager une sécurité privée, toujours en stricte coopération avec les fonctionnaires de police, assure-t-il. C'est désormais la règle, nous ne voulons pas que les personnes soient attaquées ou blessées durant les silent walk.»
Manifester masqué, c'est légal?
Il était impossible de voir le visage de certains de ces vigiles, cachés derrière des lunettes de soleil et des masques chirurgicaux. Or, depuis le 1er janvier de cette année, il est interdit de se couvrir le visage dans les lieux publics en Suisse, sous peine d’amende.
Exception? Les raisons reconnues de santé, de sécurité ou de conditions professionnelles, liste Samuel Nanchen. Il ajoute qu’aucune interpellation n’a eu lieu lors de cette manifestation. La question se pose: les masques chirurgicaux sont-ils une zone grise de cette nouvelle directive?
La Ville «invitée» à interdire la contre-manifestation
Walter Blum justifie néanmoins l’usage de masques. «Si l'autre côté filme votre visage, c'est une situation très dangereuse. C'est une protection. Il y a eu des attaques verbales à Saint-Laurent, avant que la manifestation ne soit déplacée à Ouchy», regrette-t-il. Pour l’ASI, «la situation à Lausanne est absolument claire. L'autre côté s'est mobilisé, notamment sur les réseaux sociaux, poursuit le secrétaire central. On a invité la Ville à interdire cette contre-manifestation, dont le but était de détruire».
Passants photographiés
La marche, suivie en direct par Blick, a intrigué de nombreux passants. Certains se sont arrêtés pour observer les participants, drapeaux israéliens sur les épaules, tourner en rond dans le parc face au débarcadère de la CGN. Trois jeunes hommes racisés disent avoir été pris en photo par le service de sécurité.
«Vous imaginez l’inverse? Un manifestant pro-palestinien qui aurait photographié un Israélien?, questionne l’un d’eux. Il se serait fait arrêter immédiatement.» Nous avons également constaté que deux vigiles tentaient de lire nos notes, prises alors que nous couvrions la marche. Walter Blum, absent jeudi, ne peut pas apporter de précisions sur ces méthodes.
Samuel Nanchen nuance: «La prise de vue dans l’espace public n’est pas interdite en soi.» Mais il ajoute: «Toutefois, l’utilisation et la diffusion des images sont encadrées par le droit à la protection de la personnalité. En cas d’abus, la personne concernée peut faire valoir ses droits dans un cadre civil ou pénal.»
Un climat jugé plus tendu en Romandie
Une interrogation centrale demeure. A quoi répond cet accroissement sécuritaire? Des participants aux «silent walk» ont-ils déjà été attaqués par des militants du camp adverse? Le secrétaire central de l'ASI s'agace. «Pourquoi vous ne vous intéressez pas à la militance qui augmente chaque jour en Suisse?», demande-t-il. Walter Blum note un climat qui change en Suisse-alémanique, notamment à Zurich. «Nous y organisons des silent walk depuis deux ans. Mercredi dernier, pour la première fois, c'était comme à Lausanne. Mais sans les affrontements avec la police, les canons à eau et les gaz lacrymogènes. Nous ne sommes pas du tout étonnés qu'en Suisse romande, la situation soit complètement différente...»
Des soutiens pro-Israël ont-ils donc déjà été attaqués lors de marches silencieuses? La réponse peine à venir. Finalement, le secrétaire central admet que non. «Mais dans d'autres situations, oui.»
Espace public «privatisé»
L’accès au parc a enfin soulevé des critiques. Un manifestant pro-palestinien, venu seul pour écouter les discours de ses adversaires, s’est vu refuser l’entrée par un agent lui affirmant que «l’espace était privé». Une formulation trompeuse, estime-t-il. «Un espace public peut être temporairement réservé aux participants d’une manifestation autorisée, afin d’en garantir le bon déroulement et la sécurité, rectifie Samuel Nanchen. Cela ne signifie pas qu’il devienne un espace 'privé', mais l’accès peut être restreint par mesure d’organisation.»
Quant aux heurts survenus côté pro-palestinien – gaz lacrymogène et canon à eau –, le porte-parole les replace dans leur contexte. «Le dispositif policier mis en place est le résultat d’une analyse de risque préalable. Il visait à garantir la sécurité de la population et des nombreux manifestants pacifiques. Il a été proportionné et a permis d’éviter des débordements plus graves.»