Dans un contexte lausannois fortement chahuté par les révélations d'un «racisme systémique» au sein de la police lausannoise, selon les mots employés par la Municipalité, Blick a voulu explorer les racines de cette crise.
On le sait, Lausanne est un vrai melting pot, fait de mixité sociale et de multiculturalisme. Les résidents étrangers représentent 42,5% de la population totale, sans compter les 20% nés à l'étranger parmi ceux de nationalité suisse.
De l’autre côté, la police municipale de Lausanne, elle, affiche une forte homogénéité sociale et ethnique. Elle compte près de 100% de policiers(ères) de couleur blanche qui, en grande majorité, ne vivent pas dans cette ville dirigée par la gauche, n’y ont pas grandi, et n’y votent pas. A travers 6 questions, Blick expose des faits qui illustrent la fracture entre la police municipale et son terrain d’action.
Combien de Noirs à la police de Lausanne?
Sur un corps de police municipale qui compte environ 600 personnes, le nombre d’afrodescendants est infime, voire inexistant, selon les volées. Les photos des dernières volées de recrues et de policiers assermentés montrent la prédominance à quasi 100% de personnes de couleur blanche. Un contraste saisissant avec la population à laquelle ce corps de police a affaire, composée à 62,5% de personnes étrangères ou d’origine étrangère.
«Trop peu de policiers de couleur travaillent au sein du Corps de police, admet le lieutenant Michel Gandillon, remplaçant chef à la division communication. Nous cherchons à renforcer la diversité afin que notre Corps de police soit à l’image de la population.»
«Avoir une police plus métissée, cela aide bien sûr, mais il faut faire attention à ne pas faire porter aux personnes racisées le poids de faire changer l’institution», estime David Pichonnaz, sociologue à la HES-SO Valais-Wallis, et auteur de l’ouvrage «Devenirs policiers» paru en 2017.
Le recrutement vise-t-il une ethno-diversité?
Les vidéos des campagnes de recrutement de la police de Lausanne montrent que les personnes de couleur ne sont pas explicitement ciblées. Les dernières en date s’adressent largement aux femmes, encouragées à postuler. Aucune campagne ne cible des femmes ou hommes racisés en général, même si au travers des visuels, on voit apparaître différents profils, dont un homme de couleur.
Après le scandale des messages racistes dévoilé cette semaine, la Municipalité a toutefois annoncé vouloir lancer des réformes en s'ouvrant plus à la diversité. «Nous nous réjouissons de pouvoir recruter des profils différents, tant par l’origine, la couleur de peau, etc, souligne Michel Gandillon. Cette diversité est une richesse que nous comptons continuer de développer.»
Des policiers vivent-ils à Lausanne?
Combien de policiers habitent encore en ville de Lausanne, y votent, y ont grandi? Nous avons contacté la police municipale à ce sujet. Elle nous répond que «le Corps de police compte 7% de policières et policiers domiciliés sur le territoire communal lausannois». Typiquement, les agents de la police municipale ont grandi ailleurs, à la campagne, dans un autre canton, ou dans des villages éloignés de Lausanne, dans un tout autre écosystème politico-culturel. Parfois, ils ont d’abord fait des apprentissages dans d’autres domaines, par exemple de bûcheron ou de pâtissier, avant d’entrer dans la police. Les policiers sont donc très peu à voter à Lausanne, ville à coloration de gauche depuis 1997. Si la possibilité de résider hors de la commune arrange bien des agents de police, elle pose des problèmes en termes de lien social avec leur terrain.
En outre, les recrues choisissent rarement d’être affectées à Lausanne: durant les tests, on leur demande de cocher quelles villes auraient leur préférence pour une affectation. «Aucun ne coche Lausanne comme premier choix», témoigne un ancien de la police.
Comment votent les policiers?
«Ce n’est pas un cliché. Au vu des idées que mes collègues de la police exprimaient quand j’y étais, ils votent plutôt UDC, nous répond l'ancien fonctionnaire de police. Les plus à gauche sont PLR». Et il est vrai que les élus romands qui sont issus de la police ont presque toujours fait partie de l’UDC ou du MCG, à l’instar du député vaudois UDC Nicolas di Giulio (décédé en 2024), ancien de la police municipale de Lausanne, ou de l’UDC Yvan Perrin, Neuchâtelois quant à lui et ancien inspecteur de police, ou de l’UDC Fribourgeois Nicolas Gallay, policier.
D'où un grand écart idéologique entre police municipale et Municipalité: depuis 1997, cette dernière affiche une majorité de gauche (Socialistes et Verts), dans laquelle extrêmement peu de policiers se sentiraient représentés. Et depuis 2006, cette majorité est devenue écrasante, comptant jusqu’à six élus sur sept, comme c’est le cas aujourd’hui.
Pour David Pichonnaz, le racisme dans la police n’est pas consubstantiel. Il peut aussi être amplifié par une insatisfaction professionnelle. «Quand on chasse tous les jours des dealers de rue en vain, on peut associer l’expérience à un sentiment d’hostilité envers cette population. En résumé, il peut y avoir un fond de racisme, mais il peut être largement renforcé par des insatisfactions professionnelles.»
Que devient le poste de délégué à l’éthique?
La police de Lausanne dispose d’un Comité d’éthique depuis des années. Quelle influence a-t-il sur le corps de police? Une influence déclinante, depuis l’arrivée, en 2019, du commandant Olivier Botteron, de l’avis de témoins interrogés. Jusqu’en 2017, le délégué à l’éthique, Patrice Boillat, était un officier éthicien. En 2020, le titre de déléguée à l’éthique est dévolu à la secrétaire générale du Comité, Aurélie Favre, qui est docteure en sciences politiques. Le comité inclut un officier de police, mais uniquement à titre de membre, et ce dernier n’est pas éthicien. «La fonction d’éthicien au sein de la police a été supprimée», nous confirme Michel Gandillon.
Combien de postes de quartier ont fermé?
«Quatre postes de police ont été effectivement fermés (Pontaise, Chailly, Cour, Chauderon), dans le but de renforcer la présence policière uniformée, visible dans l’espace public», indique Michel Gandillon. «La stratégie appliquée est de pouvoir compter sur des policières et policiers accessibles directement en rue. Des postes de police mobiles se rendent régulièrement dans les quartiers.»
«Depuis la création, en 2024, des postes de police mobiles, il n’existe plus un agent de police de référence, spécialisé dans un quartier donné, comme Prélaz, observe notre ancien employé. La police mobile de Prélaz n’est ainsi pas spécifiquement dédiée à ce quartier, puisqu’elle se déplace aussi ailleurs.»
«Rapprocher la police de la population, c’est quelque chose que d’autres pays ont réussi mieux que la Suisse, estime David Pichonnaz. Cela consiste à utiliser les préceptes de la police de proximité, à être présent dans les quartiers, non pas uniquement pour chasser des délinquants, mais pour être en dialogue, ne pas concevoir le rôle de policier comme uniquement répressif. Quand la police est à l’écoute des problèmes qui dérangent le plus la population, elle devient plus efficace qu’une police distante, qui va manquer de renseignements et de capacité à détecter les risques d'infractions en amont.»