Des mamans témoignent des émeutes à Lausanne
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Mort de Marvin:Des mamans témoignent des émeutes à Lausanne

Emeutes à Lausanne
«J’ai dit à ma fille: 'On est tous révoltés ici. Mais aller tout casser, ce n’est pas la solution'»

Vitres brisées, poubelles en feu, tirs de mortiers: pour la deuxième nuit consécutive, le quartier de Prélaz s’est embrasé après la mort d’un adolescent lors d’une course-poursuite avec la police. Au cœur du chaos, des mères racontent leur peur et appellent au calme.
Publié: 17:04 heures
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Dernière mise à jour: il y a 55 minutes
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Des émeutes ont secoué le quartier de Prélaz deux soirées consécutives.
Photo: keystone-sda.ch
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Ce mardi matin, tout est calme à Prélaz. Pourtant, la nuit a laissé des traces dans ce quartier lausannois qui s’est embrasé pour la deuxième nuit consécutive. À l’arrêt de bus ceinturé de rubalises, les vitres de l’abri ont volé en éclats. Des employés s’affairent à ramasser méthodiquement tous les débris de verre sous l’œil des journalistes venus en nombre interroger les habitants du quartier.

Une maman épuisée par la peur

Un peu à l’écart, assises sur un muret d’une petite place de jeux, deux femmes devisent à l’ombre. Forcément, les événements de la veille monopolisent la conversation. Maria* est à bout de nerfs. Elle n’a pas dormi de la nuit: le bruit, les feux d’artifice, les poubelles en feu et les gaz lacrymogènes qui rendent l’air irrespirable. Cette femme d’origine portugaise ne veut pas montrer son visage aux médias. «Je suis connue dans le quartier. J’habite ici depuis une vingtaine d’années, mais vous pouvez écrire que comme toutes les mamans du quartier, je suis très angoissée et qu’on appelle au calme.» 

Sa fille de 17 ans était «très copine avec Marvin», l’adolescent décédé après une course-poursuite avec la police dans la nuit de samedi à dimanche. «Elle le pleure. C’était le garçon qui la défendait à l’école.» L’adolescente vit à mi-temps chez sa mère et le reste du temps dans un foyer encadré par le Service de protection de la jeunesse (SPJ). «Elle a eu des problèmes il y a quelques années, elle a commencé à faire la galère», soupire la maman.

«
Si tu sors, j’appelle la police. Tu sais que j’en suis capable
Maria* à l'adresse de sa fille adolescente
»

Hier soir, l’adolescente a passé le début de soirée chez sa mère avant d’annoncer son intention de regagner son foyer. Maria a un mauvais pressentiment. «Je lui ai dit: 'On est tous révoltés ici, mais aller tout casser, ce n'est pas la solution. Marvin ne reviendra pas. S’il vous regarde depuis là-haut, il ne serait pas d’accord avec ce que vous faites.'» Maria tente même la menace: «Si tu sors, j’appelle la police. Tu sais que j’en suis capable.» Sa fille passe outre les avertissements maternels.

«Mon cœur de maman n’a fait qu’un bond», confie Maria. Elle raconte avoir enfilé des vêtements à la hâte et «trois masques pour se protéger des gaz lacrymogènes». Et être partie à la recherche de son ado. «J’ai fini par la trouver en train de discuter avec des copines. Elle ne faisait rien de mal.»

La conversation s’interrompt. Une femme s’approche: «Je viens d’emménager dans le quartier. Je suis très inquiète. C’est toujours comme ça?», interroge-t-elle. Maria la rassure: «Non, pas vraiment, mais ça peut être agité, oui.»

La violence, pas une solution

À quelques pas de là, Prudence Kone attend son bus en prenant soin de ne pas marcher sur des débris de verre. La nuit a été agitée pour cette habitante du quartier et maman de deux enfants de 10 et 14 ans. «On a eu très peur. On a vu des poubelles en feu, des pneus brûlés, des tirs de feux d’artifice. On a compris que c’était en lien avec ce qui était arrivé à ce jeune homme décédé en scooter», dit-elle. 

Prudence Kone, maman de deux enfants, dont un adolescent, a évoqué le décès tragique de Marvin avec eux.
Photo: Gabrielle Savoy

Si, à l’école, un professeur a évoqué avec les enfants les événements tragiques, la maman a aussi pris le soin d’en parler avec ses deux fils. Surtout avec le plus grand, déjà adolescent. «J’ai voulu clarifier la situation avec lui. S’il commet une infraction, il faut assumer. Et on le soutiendra. On sera là en tant que parents. Mais le délit de fuite, avec les conséquences que l’on connaît, ce n’est pas une option.»

La maman l’assure. Son fils n’a pas participé aux émeutes. «Il est trop trouillard», sourit-elle. Et d’ajouter: «La violence, on est contre. Je comprends leur colère, mais se faire justice soi-même, ce n’est pas la solution. Pire, ça engendre d’autres problèmes. Le mieux, c’est d’en discuter avec les autorités.» 

A-t-elle eu vent de la récente affaire de racisme qui secoue la police lausannoise? «Je n’ai jamais été victime de racisme, répond-elle. Je n’ai pas envie de mettre la police en porte-à-faux. Mais nous avons tous une expérience et des vies très différentes.» 

Peur pour l'avenir des enfants

Devant un jardin d’enfant, deux mamans viennent récupérer leurs bambins. L’une, d’origine guinéenne, s’est installée dans le quartier il y a quelques mois. Elle avoue être choquée par les échauffourées de deux nuits précédentes. «Mon petit dernier, qui n’a que quatre mois, s’est mis à trembler. Les deux autres de 3 et 5 ans ont eu très peur.» Et de confier sa peur pour le futur de ses enfants. «Franchement, c’est une mauvaise influence. Je n’ai pas envie qu’ils grandissent avec ce type d’exemples. Ces gosses qui mettent le feu, ils feraient mieux de se concentrer à trouver un bon métier, une carrière.»

D'origine guinéenne, cette maman a eu très peur pour ses enfants. Son petit dernier de quatre mois a tremblé toute la nuit.
Photo: Gabrielle Savoy

A proximité de la Coop, une mère et son fils David*, âgé de 21 ans, marchent d’un pas pressé. «Il a des rendez-vous pour chercher du travail», se justifie-t-elle. Lui a assez envie de parler et de dénoncer les violences qui ont éclaté dans le quartier: «Ce n’est pas la bonne manière de faire. Mes amis et moi, nous sommes tous restés à la maison.» «On a bien éduqué nos enfants, évidemment qu’ils ne sont pas allés dans la rue», ajoute la mère de famille. Et de filer, en s’assurant que son anonymat et celui de son fils soient respectés. «Ce n’est pas qu’on ne veut pas aider. Mais on ne veut pas de problèmes. Ou qu’on vienne casser la maison.»

*prénoms d'emprunt

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