Institutions vaudoises en crise
Les 5 enjeux de la démission surprise de Rebecca Ruiz

Démissionnaire pour raisons de santé, Rebecca Ruiz n'aura pas droit à une rente. Mais les enjeux vont au-delà du personnel: le Conseil d'Etat est en pleine crise, les fonctionnaires sont en colère, des tensions émergent dans son parti socialiste et l'UDC se profile.
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Malgré sa santé, Rebecca Ruiz aura fort à faire dans les mois à venir.
Photo: keystone-sda.ch
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Léo MichoudJournaliste Blick

La politique vaudoise n'avait pas besoin de ça, mais Rebecca Ruiz, oui. La conseillère d'Etat socialiste a annoncé sa démission pour raisons de santé, ce mercredi 26 novembre. A la tête du Département de la santé et de l'action sociale, elle quittera un Exécutif en pleine crise, à majorité de droite, qui aura plusieurs dossiers à traiter, avec ou sans elle.

L'avenir personnel de la femme politique n'est pas le seul enjeu de cette démission. Le gouvernement vaudois, déjà fragilisé par l'affaire Dittli dont la quasi-totalité de son département lui a été retiré en mars dernier, s'expose à un nouveau rebrassage des cartes. L'UDC espère faire son grand retour à l'Exécutif cantonal et a déjà choisi son favori: Jean-François Thuillard. Le parti socialiste, bien décidé à conserver son siège, n'a pas encore lancé son poulain. Sans oublier que dans la rue, la colère des fonctionnaires n'en finit pas de gronder. Résumé des cinq enjeux essentiels dans ce nouveau rebondissement au Château.

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Une affaire personnelle avant tout

L'affaire est d'abord personnelle, Rebecca Ruiz ayant fait le choix de sa santé. Après un mois d'arrêt maladie l'été dernier, l'élue a fait savoir qu'elle est atteinte de dysautonomie, un dérèglement du système nerveux autonome. Entre variations de pression artérielle et pertes de connaissance, la fatigue l'empêche de faire face au «niveau d'intensité extrême» inhérent à sa fonction politique.

Son état de santé l'empêche «d'assumer l'enchaînement de semaines à plus de 60 heures», a-t-elle affirmé. Rebecca Ruiz restera à son poste jusqu'en mai 2026. Mère de deux filles, elle aura passé 7 ans au Conseil d'Etat – elle avait remplacé Pierre-Yves Maillard après sa démission en 2019.

C'est donc, «a priori et pour l'heure», selon ses propres termes, la fin de sa carrière politique. «Comme tout un chacun, je devrai trouver un travail pour payer mes factures, mon loyer et nourrir mes enfants», a-t-elle précisé.

Notons aussi que la Lausannoise ne percevra pas de rente, puisqu'elle démissionne et qu'elle n'a pas passé au moins 10 ans au Conseil d'Etat. Elle ne bénéficiera pas d'une «cessation de la charge pour cause de maladie» prévue dans la loi – contrairement à un autre socialiste: Pierre Chiffelle, conseiller d'Etat en 2004.

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Un Conseil d'Etat en crise

Les «derniers mois» que Rebecca qualifie de «particulièrement intenses du point de vue politique dans notre canton» sont ceux d'une crise intense au Conseil d'Etat vaudois. Il y a eu l'affaire Dittli, les révélations sur le bouclier fiscal, des frictions internes à l'Exécutif. Conséquences? La colère s'exprime de tous côtés, et notamment dans la rue.

Le Conseil d'Etat a sorti sa plus belle plume pour prendre acte du départ de Rebecca Ruiz, évoquant de «profonds regrets» et une «vive émotion». Mais la socialiste, dans son message personnel, a évoqué des tensions qui dépassent les désaccords politiques. Le Conseil d'Etat est au bord de l'implosion, et cela fait des mois que cela dure. Un exemple? En mars dernier, l'Exécutif n'avait pas pu finaliser la réorganisation des départements – Valérie Dittli aurait claqué la porte de la séance hebdomadaire après une discussion houleuse.

Un acteur pourrait toutefois échapper à ce marasme: l'Union démocratique du centre (UDC), qui avait pourtant échoué à entrer au gouvernement en 2022. En tout cas, l'Alliance de droite – UDC, PLR, Le Centre – se tient prête (voir ci-dessous).

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Des administrés en colère dans la rue

Le timing de cette annonce a interrogé, à l'heure où les fonctionnaires et les travailleurs du secteur parapublic sont dans la rue contre les coupes budgétaires. Beaucoup attendent une réponse de Rebecca Ruiz, et le font savoir.

Tout au long de son mandat, elle a eu la charge de la Santé et de l'Action sociale (DSAS). Elle-même l'a rappelé, son département compte pour 40% du budget du Canton de Vaud et a la charge d'énormément d'employés et de personnes qui dépendent de l'argent de l'Etat.

Ce mercredi 26 novembre, on aurait pu croire que Rebecca Ruiz allait s'adresser à celles et ceux qui contestent ces coupes, mais la ministre a surpris son public en annonçant sa démission. Evoquant cette synchronisation, la socialiste parle de «hasard malheureux». Dans les rues de Lausanne, le soir de son annonce, entre 20'000 et 28'000 manifestants et syndicats avaient du grain à moudre. Une bonne partie d'entre eux sont, d'ailleurs, des électeurs du Parti socialiste.

Interrogés par Blick, beaucoup lui reprochent – à elle et aux deux autres élus de gauche – de ne pas avoir brisé la collégialité d'un Conseil d'Etat à majorité de droite. Impensable pour celle qui dit avoir le plus grand respect des institutions. Mais la pression populaire, si la grève continue, aura-t-elle raison de sa volonté?

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PS en attente, UDC dans les starting-blocks

En juillet, dans une interview au «24 heures», Rebecca Ruiz justifiait les coupes budgétaires dans la santé – en particulier dans les Pôles santé excentrés. Cette prise de parole lui a été reprochée par des socialistes, élus et influents membres de la base, que le président cantonal du parti Romain Pilloud nomme «vilains petits canards anonymes».

Ces dissensions internes ont pesé sur Rebecca Ruiz, selon ses propres termes: «La direction de mon parti m'a toujours soutenue. J'ai pu observer quelques réserves de la part de membres de mon parti». Là encore, c'est son «respect pour la fonction» qui l'a empêchée de s'aligner sur les positions du parti socialiste, critique des coupes budgétaires annoncées.

Dans la presse, plusieurs noms de socialistes sont supposément «papables» pour le poste. Aucun n'a confirmé être candidat. Mais des profils comme Jessica Jaccoud, conseillère nationale et avocate, ou Roger Nordmann, ponte du parti qui a récemment quitté ses fonctions à Berne, semblent correspondre aux attentes. Car il faudra une figure de proue au Parti socialiste pour maintenir ses deux sièges.

En face, l'UDC est déjà entrée en campagne. Réunis en assemblée générale le jour de l'annonce, ils ont désigné leur candidat. Président du groupe UDC au Grand Conseil et syndic de Froideville, Jean-François Thuillard sera-t-il l'homme de la situation? Agriculteur, adepte du dialogue, dur sur l'écologie: c'est sur lui que compte l'UDC pour retrouver un siège au Conseil d'Etat et faire pencher la balance à droite.

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Une fin de mandat, et après?

Reste une grande question: comment Rebecca Ruiz tiendra-t-elle le coup d'ici à son départ effectif? Une complémentaire aura lieu au printemps, le même jour que les élections communales.

Elle sera toujours en poste au moment du vote sur le budget 2026, si contesté. L'élue socialiste l'a dit, elle ralentira le rythme si nécessaire.

Mais est-ce vraiment possible, dans un gouvernement attaqué de toutes parts, et avec un Département si prenant? Une situation à la Valérie Dittli, à laquelle les fonctions de grande argentière ont été retirées à la suite de son affaire, n'a en tout cas pas été évoquée. 

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