Malgré une «vulnérabilité élevée»
Nouveau renvoi choquant d'une famille vers la Croatie depuis Vaud

Un couple et leur bébé ont été renvoyés par la police depuis Sainte-Croix (VD). Des photos et des avis médicaux attestent du fait que la famille souffre de séquelles après avoir été torturée par la police croate. Le corps médico-social a tenté de se mobiliser, en vain.
Publié: 17:02 heures
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Dernière mise à jour: 17:59 heures
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La famille aurait été violentée en Croatie, avec des séquelles physiques et psychologiques documentées. La maman explique avoir pris cette photo après leur arrivée en Suisse, à Boudry.
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Camille KrafftJournaliste Blick RP

Le 7 octobre, une fillette de 16 mois et ses parents ont été renvoyés depuis le canton de Vaud vers la Croatie. La police est venue chercher la famille durant la nuit au foyer pour requérants d'asile de Sainte-Croix. Selon le témoignage de la maman, avec qui nous avons pu échanger, une trentaine de personnes seraient intervenues pour assurer le renvoi. 

Blick a pu consulter un courrier datant du 3 octobre et destiné au Secrétariat d'Etat aux Migrations (SEM). L'Unité de Soin aux Migrants d'Unisanté, à Yverdon-les-bains, y atteste de la «vulnérabilité élevée» de la famille. Souffrant d'un «sévère trouble du stress post-traumatique (PTSD) avec nécessité de mise à l’abri», le père avait notamment été hospitalisé au Centre de psychiatrie du Nord vaudois entre le 27 août et le 1er octobre. 

Violences en Croatie: les autorités cantonales et fédérales ont été directement renseignées en 2023

Des coups. Divers types d'abus sexuels, dont des viols d’adultes et de mineurs, ou des viols des parents en présence des enfants. Des menaces, des insultes et des enfermements sans explications. Telle est la sinistre liste des abus répertoriés par la Coordination cantonale vaudoise pour la santé mentale des migrant.e.s en situation de précarité en 2023. Durant trois mois, en collaboration étroite avec les institutions psychiatriques du canton de Vaud, cette instance a procédé à un monitorage des violences subies par des requérants d'asile en Croatie de la part des forces de police et des gardes-frontières. 

Au total, 90 cas ont été recensés, dont 21 mineurs et 9 jeunes de 18 à 24 ans. Les personnes concernées étaient originaires du Burundi, de Turquie-Kurdistan, d'Afghanistan, de la Somalie et de la République démocratique du Congo.«Il est important de préciser que ce répertoire n’est pas exhaustif, n’ayant pas les données de tous les services psychiatriques du canton», explique Javier Sanchis, psychiatre et coordinateur cantonal pour la santé mentale des migrants. Par ailleurs, «il est probable que d’autres personnes n’aient pas été repérées par les services sanitaires», ajoute le psychiatre.

A la suite de ce monitorage, un rapport a été envoyé au médecin cantonal, qui l’a fait suivre aux autorités cantonales. Ces dernières «ont ensuite alerté les autorités fédérales, qui décident des renvois», précise Javier Sanchis. 

Un risque de séquelles psychiques irréversibles

Les problèmes psychiques constatés par les services étaient surtout des symptômes compatibles avec un traumatisme psychologique en lien avec les agressions subies en Croatie, ainsi que des états d’angoisses sévères accompagnés d’idées suicidaires par moments, liés à la peur d’être renvoyé à nouveau dans ce pays. «Nous tenons à préciser que les témoignages recueillis nous permettent de dire que les traumas psychiques sont survenus en Croatie à la suite des violences subies et qu’ils ne sont pas systématiquement cumulés à d’autres traumas préexistants», relève Javier Sanchis.

Dans ce contexte, le médecin estime que les risques pour les adultes et les enfants sont majeurs en cas de renvoi: «Les enfants sont particulièrement exposés. Ils peuvent avoir subi eux-mêmes des agressions ou avoir été témoins de l’agression ou du viol de leurs parents. Dans certains cas, les effets sont collatéraux, car les parents souffrant d’un état de stress post-traumatique sont impactés dans leur capacité à veiller aux besoins de leurs enfants, et ne peuvent pas prendre soin d’eux de manière adéquate. Il est donc urgent de pouvoir repérer ces troubles et d'apporter un soutien aux enfants ainsi qu’aux parents pour les aider à récupérer leurs fonctions parentales.» 

Javier Sanchis avertit: «Sans ce soutien, le bon développement psychologique des enfants est sévèrement atteint, avec un risque de séquelles irréversibles au niveau psychique, dans leurs apprentissages et sur leurs aptitudes sociales. Par ailleurs, dans l’hypothèse que la Croatie puisse fournir des soins psychiatriques de qualité, retourner dans le pays où elle s’est fait agresser rendra pour la personne très difficile le fait qu’elle puisse parler de son vécu traumatique. Le sentiment d’insécurité et de danger imminent peut lui faire craindre que les professionnels de la santé soient en lien avec les autorités et qu’elles seront dénoncées.»

Le SEM établit une stricte distinction entre les retours Dublin par avion et les entrées de réfugiés via les frontières. Selon lui, il n'y a pas de faiblesse systémique dans le système d'asile et d'accueil croate, et les renvois vers ce pays peuvent donc continuer. 

Des coups. Divers types d'abus sexuels, dont des viols d’adultes et de mineurs, ou des viols des parents en présence des enfants. Des menaces, des insultes et des enfermements sans explications. Telle est la sinistre liste des abus répertoriés par la Coordination cantonale vaudoise pour la santé mentale des migrant.e.s en situation de précarité en 2023. Durant trois mois, en collaboration étroite avec les institutions psychiatriques du canton de Vaud, cette instance a procédé à un monitorage des violences subies par des requérants d'asile en Croatie de la part des forces de police et des gardes-frontières. 

Au total, 90 cas ont été recensés, dont 21 mineurs et 9 jeunes de 18 à 24 ans. Les personnes concernées étaient originaires du Burundi, de Turquie-Kurdistan, d'Afghanistan, de la Somalie et de la République démocratique du Congo.«Il est important de préciser que ce répertoire n’est pas exhaustif, n’ayant pas les données de tous les services psychiatriques du canton», explique Javier Sanchis, psychiatre et coordinateur cantonal pour la santé mentale des migrants. Par ailleurs, «il est probable que d’autres personnes n’aient pas été repérées par les services sanitaires», ajoute le psychiatre.

A la suite de ce monitorage, un rapport a été envoyé au médecin cantonal, qui l’a fait suivre aux autorités cantonales. Ces dernières «ont ensuite alerté les autorités fédérales, qui décident des renvois», précise Javier Sanchis. 

Un risque de séquelles psychiques irréversibles

Les problèmes psychiques constatés par les services étaient surtout des symptômes compatibles avec un traumatisme psychologique en lien avec les agressions subies en Croatie, ainsi que des états d’angoisses sévères accompagnés d’idées suicidaires par moments, liés à la peur d’être renvoyé à nouveau dans ce pays. «Nous tenons à préciser que les témoignages recueillis nous permettent de dire que les traumas psychiques sont survenus en Croatie à la suite des violences subies et qu’ils ne sont pas systématiquement cumulés à d’autres traumas préexistants», relève Javier Sanchis.

Dans ce contexte, le médecin estime que les risques pour les adultes et les enfants sont majeurs en cas de renvoi: «Les enfants sont particulièrement exposés. Ils peuvent avoir subi eux-mêmes des agressions ou avoir été témoins de l’agression ou du viol de leurs parents. Dans certains cas, les effets sont collatéraux, car les parents souffrant d’un état de stress post-traumatique sont impactés dans leur capacité à veiller aux besoins de leurs enfants, et ne peuvent pas prendre soin d’eux de manière adéquate. Il est donc urgent de pouvoir repérer ces troubles et d'apporter un soutien aux enfants ainsi qu’aux parents pour les aider à récupérer leurs fonctions parentales.» 

Javier Sanchis avertit: «Sans ce soutien, le bon développement psychologique des enfants est sévèrement atteint, avec un risque de séquelles irréversibles au niveau psychique, dans leurs apprentissages et sur leurs aptitudes sociales. Par ailleurs, dans l’hypothèse que la Croatie puisse fournir des soins psychiatriques de qualité, retourner dans le pays où elle s’est fait agresser rendra pour la personne très difficile le fait qu’elle puisse parler de son vécu traumatique. Le sentiment d’insécurité et de danger imminent peut lui faire craindre que les professionnels de la santé soient en lien avec les autorités et qu’elles seront dénoncées.»

Le SEM établit une stricte distinction entre les retours Dublin par avion et les entrées de réfugiés via les frontières. Selon lui, il n'y a pas de faiblesse systémique dans le système d'asile et d'accueil croate, et les renvois vers ce pays peuvent donc continuer. 

Originaire de Turquie, la famille avait été enregistrée en Croatie durant son périple migratoire, en avril dernier. Comme de nombreux migrants, elle aurait été violentée et torturée par la police croate lors du passage de la frontière, avant de continuer sa route vers la Suisse. Cela aurait provoqué «des séquelles physiques et psychologiques documentées (photos, consultations médicales et psychiatriques)», relève une médecin cheffe de clinique dans le courrier au SEM le 3 octobre. 

Risque de troubles du développement

Elle écrit également qu'il «me semble qu’un renvoi en Croatie exposerait cette famille à un risque réel pour leur intégrité avec un risque particulier pour leur santé mentale sans compter le risque de troubles du développement de l’enfant.»

Lire notre dossier complet sur les renvois d'enfants malades

D'après un rapport médical du CHUV, le père aurait «subi des violences physiques pendant trois heures à coup de matraque et de pieds». Son épouse et sa fille auraient assisté à la scène et également subi des violences. Après cela, «sa femme aurait arrêté sa production de lait et aurait développé une masse au niveau des seins».

«
La torture subie par Monsieur pendant son parcours migratoire constitue l'événement stressant à l'origine de cette détresse importante.
Rapport médical du CHUV du 1er octobre 2025
»

Au sortir de l'hôpital, le père avait une ordonnance pour cinq antidépresseurs, antipsychotiques et anxiolytiques différents. Le document stipulait qu'il devait aller chercher ces médicaments chaque jour à la pharmacie, sans doute pour ne pas avoir accès à des doses trop élevées d'un coup. Selon les documents médicaux, l'homme aurait en effet des idées suicidaires. Le renvoi aurait stoppé le traitement. 

Renvois vers la Croatie critiqués

Un rapport du CHUV postule que «la torture subie par Monsieur pendant son parcours migratoire constitue l'événement stressant à l'origine de cette détresse importante. La présence, lors de ces actes, de sa femme et de sa fille a renforcé la gravité de cet événement avec un sentiment de culpabilité profond.» 

Différentes personnes du corps médico-social, préoccupées par la situation de cette famille, ont tenté de se mobiliser pour éviter ce renvoi, en vain. 

Les deux parents et leur fillette ont été expulsés dans le cadre du règlement Dublin, qui stipule qu'un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales.

Mais les renvois vers la Croatie sont fortement critiqués, notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. 

L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, expliquait ainsi à Blick il y a quelques mois que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précisait que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires.»

La Suisse n'a pas l'obligation d'exécuter les renvois «Dublin»

Selon le règlement Dublin, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».

L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023. 

Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024. 

Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»

Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. 



Selon le règlement Dublin, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».

L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023. 

Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024. 

Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»

Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. 



Contacté, le Secrétariat d'Etat aux Migrations ne se prononce pas sur les cas particuliers. Il relève que les renvois ne sont exécutés «que lorsque la décision est entrée en force, c'est-à-dire uniquement lorsque le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision du SEM, dans la mesure où celle-ci a été contestée.»

«
La situation médicale est examinée de manière approfondie par le SEM avant que l'exécution du renvoi ne soit ordonnée. Toutes les informations médicales disponibles sont prises en compte dans cette évaluation.
Le Secrétariat d'Etat aux Migrations
»

Au sujet de la situation médicale, le SEM précise qu'elle est «examinée de manière approfondie par le SEM avant que l'exécution du renvoi ne soit ordonnée. Toutes les informations médicales disponibles sont prises en compte dans cette évaluation. Si nécessaire, un accompagnement médical est organisé.»

La famille explique avoir été renvoyée dans un avion avec une seule autre famille. Le vol a fait une escale à Bucarest. Les parents et leur fillette se trouvent actuellement dans un centre pour requérants d'asile en Croatie. 

D'après la police cantonale vaudoise, la procédure de renvoi «s’est déroulée dans le dialogue et la négociation et personne n’a été menotté. Nous précisons qu’une représentante de la Commission nationale de prévention de la torture était présente durant toute l’opération.»

«
La procédure s’est déroulée dans le dialogue et la négociation et personne n’a été menotté.
La police cantonale vaudoise
»

Comme Blick l'a révélé récemment, le nombre de vols planifiés avec accompagnement de la police a nettement augmenté en trois ans, et le nombre de renvois par vol spécial planifiés pour des familles a triplé entre 2023 et 2024 dans le canton de Vaud. La charge de cette mission est lourde pour les policiers vaudois. 

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