«Bébé tout calme, père et mère crient»
Menottes, doudous et Kägi Fret: des rapports de police inédits dévoilent la réalité des renvois forcés

Blick s'est plongé dans des rapports de police faisant suite à des expulsions de familles vers la Croatie depuis Vaud. Ces documents, qui n'ont jamais été rendus publics, jettent une lumière crue sur la réalité des renvois et questionnent le rôle des policiers.
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Camille KrafftJournaliste Blick RP
Publié: 04.06.2025 à 05:52 heures
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Dernière mise à jour: 05.06.2025 à 21:08 heures

Il est 5h13, ce mardi 28 janvier 2025, lorsque les policiers entrent dans la chambre d’une famille afghane au centre fédéral pour requérants d’asile de Vallorbe. Les parents et leurs quatre filles, dont un bébé d’une année, sont surpris dans leur lit. En cette fin de nuit maussade, les agents sont chargés d’interpeller la famille et de la transférer jusqu’en Croatie, en recourant au besoin par la force, peut-on lire en gras dans la réquisition que le Service de la population vaudois a fait parvenir à la Police cantonale. La république des Balkans étant responsable de la demande d’asile de ces migrants en vertu du règlement Dublin, un vol spécial les attend à l’aéroport de Zurich.

Le «rapport de refoulement» rédigé par la Brigade migration réseaux illicites contient des «logs» ou chroniques qui décrivent, minute après minute, le déroulement du transfert pour chacune des personnes concernées. En se basant sur la Loi vaudoise sur l’information, Blick a obtenu l’accès sous conditions aux cinq derniers rapports faisant suite à des renvois forcés de personnes avec enfants mineurs depuis le canton de Vaud vers la Croatie. Un pays membre de l'Union européenne critiqué pour sa gestion de l’asile, sa brutalité envers les migrants et les lacunes de son système de santé. Ce début d'année, plusieurs renvois d'enfants malades depuis la Suisse vers Zagreb, documentés par Blick, ont ainsi suscité des réactions politiques et citoyennes.

Départs de Zurich et Genève

Quatre de ces vols spéciaux, affrétés pour la plupart par la compagnie Helvetic Airways entre juillet 2024 et janvier 2025, sont partis de Zurich, et de Genève. Aucune des personnes transférées de force n’avait commis de délit: ces familles ont été renvoyées en raison de la non-entrée en matière des autorités suisses sur leur demande d’asile.

Tous les transferts ont eu lieu tôt le matin. En fonction de l'heure de départ des charters spéciaux depuis l'aéroport de Zurich, les policiers vaudois doivent régulièrement aller chercher les migrants concernés de nuit, ce qui nécessite une dérogation du Conseil d’Etat. 

Le nombre de personnes participant aux missions est souvent élevé – quinze ou vingt suivant les situations. Selon la police, cela permet de garantir que les transferts se déroulent de manière la plus calme possible. Mais les familles renvoyées sont souvent choquées par le nombre d'intervenants mobilisés pour les renvois. 

Rivella, anxiolytiques et Kägi Fret

Les cinq rapports auxquels nous avons eu accès étaient entièrement anonymisés. Grâce aux informations déjà en notre possession, nous avons pu faire le lien avec des situations déjà connues. 

Cris. Pleurs – des parents et des enfants. Peluche «canard». Sac à dos «renard» ou «Dora l’exploratrice». Compote. Père menotté devant sa famille. Policier donnant le biberon au bébé. Petite madeleine. Rivella. Anxiolytiques. Kägi Fret. Mère qui menace de se jeter par la fenêtre. Crème pour l'acné. Capri Sun. Serre-tête rose. Enfant consolant son petit frère. Sandwich au fromage. Kägi Fret, encore. 

Mélanges de scènes ordinaires, de détails triviaux et de drames absolus, ces documents offrent une plongée inédite dans la matérialité crue des renvois, vue par les policiers qui les rédigent. Ils attestent de l’extrême vulnérabilité des familles expulsées de force, qui sont pour beaucoup déjà traumatisées psychiquement et souffrent parfois de problèmes de santé. 

En filigrane, ces chroniques interrogent également sur l’impact des transferts forcés d'enfants sur les policiers et gendarmes chargés d’exécuter les renvois, qui n’ont – du moins pour certains – pas choisi d’être là. Récit en cinq actes. 

1

Cris d'adultes et rot de bébé

Extraits choisis des logs des deux parents et de la plus jeune fille de la famille afghane renvoyée en janvier:

5h13: Entrée dans la chambre. La mère crie dans les bras de son mari. 

5h15: Bébé dans le lit. Pris par la police. Bébé tout calme. Père et mère crient. Bébé sorti de la chambre et mis à l’abri du bruit. 

5h18: Mère déchire son t-shirt. Crie. S’est arraché des cheveux. Collègue intervient (...). Lui tient t-shirt déchiré pour qu’on ne voie pas sa poitrine. Met un nouveau t-shirt. Commence à se calmer. 

5h19: Retombe par terre. On la met sur le duvet et lui mettent un coussin sous la tête. 

5h30: Couche du bébé changée + bébé habillé (pantalon brun, chaussettes rouges, chaussures blanches, t-shirt blanc, pull bleu). 

5h42: Le père a des vomissements, médecin à proximité. Mis à proximité de la douche. 

5h44: La traductrice lui explique une nouvelle fois qu’il n’a pas le choix de partir. 

5h50: Fouille/détecteur de métal. 

5h50: Fin biberon (reste un petit fond). 

5h51: Rot du bébé. 

Comme c’est le cas habituellement, les policiers venus chercher la famille ce jour-là sont accompagnés d’un représentant du Service de la population (SPOP) cantonal ainsi que d’un médecin d’une société privée mandatée par le Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) fédéral. C’est le SEM qui prend les décisions de non-entrée en matière. Il délègue ensuite l’exécution des renvois aux cantons, lesquels peuvent être sanctionnés financièrement en cas de non-accomplissement du transfert.

Une interprète en farsi

En sus de cette troupe, il y a également une interprète en farsi, ainsi qu’une personne de la Commission nationale contre la torture, présente sur tous les vols spéciaux. Dans son dernier rapport, publié en juillet 2024, cet organisme pointait du doigt un non-respect des intérêts supérieurs de l’enfant lors des renvois sous la contrainte par voie aérienne depuis la Suisse. 

A 6h05, la maman se «remet à pleurer» en sortant du bâtiment. Et elle n’est pas la seule à être bouleversée, selon les éléments que nous avons pu recouper: le 30 janvier, nous avions échangé avec un autre résident du centre de Vallorbe, qui nous avait raconté à quel point les cris et l’agitation de ce renvoi avait impacté les voisins de la famille. Le matin même, des enfants étaient partis en pleurs à l’école. 

Via cet autre résident, nous avions également pu joindre la famille afghane, deux jours après son arrivée en Croatie. Le père nous avait expliqué qu’il avait quitté l’Aghanistan pour la Suisse car il voulait que ses quatre filles puissent aller à l’école. Il avait ajouté que toutes leurs affaires avaient été mélangées dans la confusion du renvoi, et qu'ils étaient partis avec des effets appartenant à leurs colocataires. 

Achats de croissants

Quant à la mère, elle nous avait raconté à quel point elle avait été choquée de ne pas pouvoir s’asseoir à côté de son bébé dans le véhicule qui la menait à l’aéroport. Interrogé au sujet de cette pratique par Blick, la police cantonale vaudoise nous a expliqué que les enfants étaient séparés des parents lors des trajets «pour des raisons de sécurité». Dans le rapport, la police précise que la maman a pu finalement s'asseoir à côté de son bébé dans le bus.

A 6h53, le convoi s’arrête à la station service pour acheter des croissants à la famille. Puis c’est l’attente à Zurich et enfin la montée dans l’avion, où les enfants mangent du chocolat et boivent du jus de pomme. Désigné par l'abréviation DEPA (réservée aux personnes renvoyées avec un accompagnement policier durant le vol), le bébé est d’abord «remis à la P2» (agents d’escorte par voie aérienne). A 10h52, le log indique: «DEPA pleure fort. Sur ordre du chef, le bébé est remis à sa maman un siège devant.»

La Suisse n'a pas l'obligation d'exécuter les renvois «Dublin»

Selon le règlement Dublin, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».

L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023. 

Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024. 

Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»

Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. 



Selon le règlement Dublin, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».

L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023. 

Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024. 

Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»

MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»

Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. 



Le transfert mouvementé de cette famille est le dernier en date depuis le canton de Vaud. Dans son rapport, la police relève que si les deux parents étaient agités et opposés verbalement à leur départ dès le début de l’intervention, elle n’a pas eu besoin de les entraver physiquement. Ce n’est pas toujours le cas. 

2

Un père menotté devant sa fille

Kerberos ou Cerbère, le chien aux multiples têtes gardant l’entrée des enfers. Tel est le nom de la ceinture utilisée pour entraver un père de famille turcophone lors de son renvoi par avion vers Zagreb, en juillet 2024. Conçue initialement pour le Service de la population et de la migration du canton de Berne, cette invention est officiellement utilisée pour toutes les expulsions de Suisse depuis 2022, peut-on lire sur le site internet du fabricant. La ceinture comprend des menottes ainsi que des entraves aux pieds, et le dispositif se resserre lorsque la personne tente de forcer le mécanisme. 

La famille est ici composée des deux parents et de leur fille, qui est suffisamment jeune pour être transportée dans une poussette. Selon le rapport de police, le père se montre «fébrile et tremble beaucoup» ce matin-là. Il évoque un rendez-vous médical prévu, demande à repousser le transfert d’une semaine, sans succès. La mère, elle, menace directement de se suicider en cas de renvoi en Croatie. Les médicaments listés par les médecins de la compagnie OSEARA, mandatée par le SEM pour accompagner le transfert, comprennent un anxiolytique ainsi qu’un antidépresseur. 

Aux policiers, la mère explique qu’elle et sa famille «n’ont rien fait», qu’ils «ne sont pas des criminels» et mentionne une «tumeur au cerveau». Les personnes encadrant le renvoi se montrent circonspectes, «aucun document médical» ne confirmant ses dires.

Crise d'angoisse

L'interpellation est compliquée (extraits choisis des logs des trois membres de la famille):

06h15. (le père) s’agite de plus en plus et doit être menotté. Il est conduit à l’extérieur puis placé dans le bus. Il est pieds nus. Arrive à marcher (4 personnes nécessaires, avons pris l’ascenseur pour descendre). 

6h21: (La mère) est allongée sur le lit et ne se sent pas bien (elle a froid). 

6h29: OSEARA déclare que (la mère) fait une crise d’angoisse et que sa santé n’est pas en danger. 

6h25: Père entravé, la fille placée dans le bus, a regardé des dessins animés en turc. 

06h30: Il s’est calmé. Il appuie sa tête contre le siège devant lui. 

06h36: Une paire de chaussettes, des sandales, un t-shirt supplémentaire sont apportés (au père) Les chaussettes et sandales lui sont mises. 

6h45: On lui propose à boire. Elle refuse et demande sa maman en pleurant. 

6h47: (La mère) ne veut pas être entravée, sinon elle se fout en l’air selon ses dires. 

6h57: (...) Monsieur est menotté sur l’avant (ceinture menottes). 

7h03: Déclare qu’elle souhaite être avec sa fille pour le trajet sinon elle allait se faire du mal. 

9h15: Le DEPA pleure. 

10h50: Embarquement, le DEPA s’oppose physiquement. Le DEPA retourne dans le bâtiment pour être entravé par l’équipe au sol ZH (à l’aide du système Kerberos, ndlr). 

11h00: Pleure en voyant son père entravé. 

11h10: Son mari arrive dans l’avion entravé et en criant. Elle a de la peine à respirer. Un médecin vient et confirme qu’elle va bien. 

11h49: Elle touche le visage de sa fille affectueusement et pleure. Elle console sa fille qui pleure aussi. 

11h50: Kerberos, du mou pour boire. 

12h11: Un Käggi au chocolat lui est proposé. Elle mange un bout et en propose à sa fille. 

Durant le vol, toute la famille reste calme et le père est désentravé, précise le résumé du rapport. A l'arrivée, parents et fillette sont «remis» aux autorités croates. 

3

Le renvoi de Bezma*

Au moment où les policiers entrent dans sa chambre, ce jeudi 12 décembre à 4h21 du matin, Bezma est endormie dans le même lit que son petit frère et sa maman. Réveillée par l’irruption soudaine de plusieurs personnes dans son intimité, la fillette de 7 ans s’assied au bord du lit, selon le rapport de police. Deux minutes après, la voici debout dans la chambre, en pleurs. Après avoir été «rassurée» par l’interprète qui lui parle en turc, elle finit par s’habiller: pantalon en velours côtelé rose, chaussures blanches, pull noir, veste rose. 

A 4h57, Bezma refuse de prendre ses doudous, que lui propose un policier. Un membre de l’équipe encadrant le renvoi embarque le sac à dos «renard» de la fillette. Il est orange et contient des jouets, une brosse à cheveux, des barrettes. Ensuite, c’est le passage au détecteur de métaux. RAS (Rien à signaler). Le médecin de la compagnie OSEARA, présent sur place, déclare l’enfant «apte au transfert». La fillette enfile sa veste, donne la main à sa maman, et se dirige avec elle vers le fourgon qui les mènera du Centre fédéral pour requérants d’asile de Vallorbe à l’aéroport de Zurich.

Le petit frère de Bezma, âgé de 4 ans, n’a, lui, pas pu être fouillé correctement: réveillé en même temps que sa soeur, il est «fatigué» et «pas coopératif», selon les indications manuscrites figurant dans le log de police. Le renvoi de Bezma, que Blick est allé retrouver en Croatie en janvier, a suscité des réactions outrées, notamment de médecins. En effet, la fillette a été expulsée avec sa mère et son petit frère quelques jours après sa sortie du CHUV, où elle avait été admise en raison d’une maladie auto-immune de Kawasaki, compliquée d’un anévrisme coronarien. 

Flux des données médicales dans le canton de Vaud: où cela pêche-t-il?

Interrogé au sujet des renvois d'enfants malades, le Service de la population vaudois (SPOP) précise que «seul le médecin mandaté par le SEM est habilité à décider si une personne est médicalement apte à être transportée dans le cadre de l’exécution d’un renvoi, d’un transfert ou d’une expulsion.» Son chargé de communication, Frédéric Rouyard, ajoute que «le canton de Vaud applique depuis octobre 2023 le nouveau processus de flux de données médicales. Celui-ci prévoit la transmission des données médicales directement du médecin traitant au médecin mandaté par le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) pour évaluer l'aptitude au transport de la personne. Ce nouveau processus découle d’un groupe de travail du SEM, en accord également avec les organisations médicales concernées», dont la FMH.

Le SPOP assure que dans ce cadre, il «veille systématiquement à clarifier l’état de santé des personnes avant d’organiser leur départ. Le Service s’assure de la bonne transmission des données médicales du médecin traitant ou du service médical compétent au médecin évaluateur mandaté par le SEM», soit l’organisme médical OSEARA. 

Le Service vaudois de la population reçoit ensuite du médecin mandaté par le SEM «uniquement les informations utiles et nécessaires à l'organisation du départ et applique les recommandations de cet organisme sanitaire dans le cadre de l’exécution du renvoi. Le SPOP n’a en effet aucune compétence médicale ou légale pour évaluer si les personnes sont aptes à voyager et n’est pas habilité au secret médical.» Frédéric Rouyard précise encore qu'«il appartient au SEM d’informer le pays de destination des éventuels besoins médicaux des personnes.»

Interrogé au sujet des renvois d'enfants malades, le Service de la population vaudois (SPOP) précise que «seul le médecin mandaté par le SEM est habilité à décider si une personne est médicalement apte à être transportée dans le cadre de l’exécution d’un renvoi, d’un transfert ou d’une expulsion.» Son chargé de communication, Frédéric Rouyard, ajoute que «le canton de Vaud applique depuis octobre 2023 le nouveau processus de flux de données médicales. Celui-ci prévoit la transmission des données médicales directement du médecin traitant au médecin mandaté par le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) pour évaluer l'aptitude au transport de la personne. Ce nouveau processus découle d’un groupe de travail du SEM, en accord également avec les organisations médicales concernées», dont la FMH.

Le SPOP assure que dans ce cadre, il «veille systématiquement à clarifier l’état de santé des personnes avant d’organiser leur départ. Le Service s’assure de la bonne transmission des données médicales du médecin traitant ou du service médical compétent au médecin évaluateur mandaté par le SEM», soit l’organisme médical OSEARA. 

Le Service vaudois de la population reçoit ensuite du médecin mandaté par le SEM «uniquement les informations utiles et nécessaires à l'organisation du départ et applique les recommandations de cet organisme sanitaire dans le cadre de l’exécution du renvoi. Le SPOP n’a en effet aucune compétence médicale ou légale pour évaluer si les personnes sont aptes à voyager et n’est pas habilité au secret médical.» Frédéric Rouyard précise encore qu'«il appartient au SEM d’informer le pays de destination des éventuels besoins médicaux des personnes.»

Ces éléments ne sont pas mentionnés dans le rapport de police, qui n'a pas accès au dossier médical des personnes renvoyées. A Blick, la maman de Bezma avait expliqué qu'elle avait tenté d'alerter les policiers sur les problèmes de santé de la fillette, en vain. Le 5 décembre 2024, soit trois jours après la sortie de Bezma de l'hôpital, son état avait été réévalué par un expert d’OSEARA, d’après le dossier. Ce dernier avait estimé qu’il n’y avait pas de problème de santé déclaré susceptible de différer le renvoi. 

4

Une mère seule «prête à se tuer»

Le 3 juillet 2024, une femme seule est expulsée de force avec ses deux enfants, un garçon et une fille, depuis un foyer vaudois. Comme dans les autres cas, une ordonnance rendue par le tribunal de mesures de contrainte autorise la perquisition avant renvoi.

Dans la liste des médicaments qu’elle embarque avec elle, la mère a de la Sertraline, un antidépresseur, ainsi que du Tranxilium, un anxiolytique. 

(Extraits choisis tirés des logs): 

4h55: DEPA (enfant) pris en charge à l’entrée de la chambre. Il était dans son lit. Notre entrée l’a réveillé. 

4h58: Pleure dans son lit. 

4h59: Refuse de se lever, de se préparer pour partir. Mme… précise qu’elle est prête à se tuer. 

05h00: La situation est calme et le DEPA ne pleure plus, toujours dans son lit et joue avec une peluche. 

05h09: (La mère) se tape la tête contre le mur, retenue par…., sans contrainte, arrête de se taper la tête. 

05H11: Médecin parle avec….(toujours dans son lit). Médecin la déclare «fit to transfer» + «fit to fly» (apte à être transférée et apte à voler, ndlr) 

05H12: Depuis son lit,...tente d’ouvrir la fenêtre (état hystérique), empêchée, sans contrainte 

05h18: …Refuse de sortir de son lit. Elle est avisée que les deux enfants sont prêts.  

10h38: La DEPA demande à avoir un médicament, sans pouvoir dire lequel. Le médecin est appelé. Le médecin lui donne 100 mg de sertraline avec un verre d’eau. Elle a pris le médicament. Elle mange un mini Biberli.  

10h48: La DEPA pleure alors nous l’avons changée de place pour être entre sa mère et son frère 

11h20: Le DEPA accepte de dessiner 

5

Stress post-traumatique et coloriages

Le 3 septembre, une famille turcophone composée de deux parents et deux enfants, dont un de deux mois et demi, est interpellée pour être emmenée vers Zagreb. En juillet, le Service de la population s’est entretenu avec la famille, qui a refusé un retour volontaire. Fait plutôt rare, ces migrants sont conduits non pas à Zurich mais à l’aéroport de Genève, où ils seront placés dans un vol spécial en compagnie de deux autres requérants célibataires renvoyés depuis le canton de Vaud. 

La mère souffre de stress post-traumatique. A la police, elle fait part d’agressions sexuelles et physiques qu’elle a subies en Croatie. Elle explique en avoir déjà parlé au SEM. Au moment de l’interpellation, elle pleure et demande à ce que le nombre de personnes présentes dans la pièce soit réduit. Seules cinq policières restent. 

Comme dans les autres cas, le rapport de police liste les objets en dépôt, que les personnes retrouvent à l’arrivée: téléphone portable, argent, permis de conduire, carte bancaire ou carnet de vaccination. Il détaille également les vêtements portés par la personne, ses bagages ainsi que les médicaments qui lui ont été prescrits. 

Durant le trajet, qui se passe sans heurts, la maman peut allaiter le bébé et lui donner le biberon. Le fait que le renvoi ait lieu un peu plus tard dans la matinée donne une autre coloration à l’ensemble. Au moment de l’arrivée de la police, le père et déjà réveillé et c’est lui qui conduit les forces de l’ordre jusque dans la chambre où se trouve sa famille. 

(Extraits des logs):

6h15: Demandé à la fille si elle voulait boire ou manger, elle a refusé. 

6h30: L'interprète a discuté avec la fille pour la rassurer car elle pleure. 

6h32: La maman intervient dans la discussion pour dire son inquiétude sur un retour en Croatie. 

6h55: Demandé si la maman et sa fille veulent se laver les dents. A dit oui.  

6h56: Test maxi cosi personnel dans notre véhicule 

7h19: (La fille) va au réfectoire. Dit au revoir à des amis.  

10h36: On lui donne un croissant et un verre d’eau. Elle mange et boit. 

11h22: Elle a fait tomber qqch (un petit jouet) sous le siège de l’avion. Malgré les recherches, on ne le retrouve pas. 

11h27: Elle lit un petit livre et fait des coloriages. 

11h53: On lui propose de l’eau, banane et reçoit un sandwich de l’hôtesse de l’air. Elle boit un peu de jus d’orange. 

Comme les autres, la famille sera débarquée à Zagreb. Après avoir accompli leur mission, les policiers vaudois présents sur le vol reprendront l'avion en sens inverse. Avant, pour certains, de retrouver leurs propres enfants à la maison. 

Quels policiers pour exécuter les renvois?

Plongée dans les acronymes. Dans le canton de Vaud, les renvois forcés de migrants sont exécutés par la Division étrangers et mesures administratives (DEMA) de la Brigade migrations réseaux illicites (BMRI), elle-même rattachée à la police de sûreté (judiciaire). Les missions sont assurées par des membres de la brigade, mais également de la gendarmerie et de la police de sûreté, notamment des inspecteurs. 

Selon une note interne datant de 2019, que Blick a obtenue en vertu de la Loi sur l'information, les missions de renvoi par voie aérienne incluent des agents d'escorte spécialisés, qui ont suivi une formation de base d’une semaine validée par l’institut suisse de police. La police de sûreté fournit les deux tiers des effectifs requis pour cette mission spécifique, et la gendarmerie un tiers. 

L'acheminement des personnes concernées depuis le lieu où elles sont hébergées jusqu'à l'aéroport constitue une autre mission, assurée très souvent par des policiers généralistes. Ici, la police de sûreté et la gendarmerie fournissent chacune 50% des effectifs. 


Plongée dans les acronymes. Dans le canton de Vaud, les renvois forcés de migrants sont exécutés par la Division étrangers et mesures administratives (DEMA) de la Brigade migrations réseaux illicites (BMRI), elle-même rattachée à la police de sûreté (judiciaire). Les missions sont assurées par des membres de la brigade, mais également de la gendarmerie et de la police de sûreté, notamment des inspecteurs. 

Selon une note interne datant de 2019, que Blick a obtenue en vertu de la Loi sur l'information, les missions de renvoi par voie aérienne incluent des agents d'escorte spécialisés, qui ont suivi une formation de base d’une semaine validée par l’institut suisse de police. La police de sûreté fournit les deux tiers des effectifs requis pour cette mission spécifique, et la gendarmerie un tiers. 

L'acheminement des personnes concernées depuis le lieu où elles sont hébergées jusqu'à l'aéroport constitue une autre mission, assurée très souvent par des policiers généralistes. Ici, la police de sûreté et la gendarmerie fournissent chacune 50% des effectifs. 


*Prénom d'emprunt 

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