Cette semaine, une lettre ouverte au conseiller fédéral en charge de l'asile Beat Jans et au Secrétaire d'Etat aux migrations Vincenzo Mascioli a été publiée, notamment par notre confrère «Le Temps». Rédigé par l’ex-conseillère aux Etats Liliane Maury Pasquier (PS/GE) et la présidente des Vert-e-s suisses Lisa Mazzone, ce texte a été signé par de nombreuses personnalités, parmi lesquelles le président de l'Union syndicale suisse Pierre-Yves Maillard, le metteur en scène Omar Porras et l'humoriste Yann Marguet.
La missive demande aux autorités de tenir compte de la vulnérabilité des personnes menacées de renvoi dans le cadre de l'accord Dublin et d'appliquer la clause de souveraineté prévue par le règlement. Cet article permet à un Etat de renoncer au transfert d’un requérant d’asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion. La démarche s'appuie notamment à une série d'enquêtes publiées par Blick, qui s'est rendu en Croatie en janvier.
Figure de la lutte contre le cancer et présidente de l'association Oncosuisse, la professeure Solange Peters fait partie des signataires de la lettre. Active politiquement au sein du Parti socialiste, elle dirige le service d'oncologie médicale du CHUV, à Lausanne. Elle s'exprime ici en son nom propre.
Selon le règlement Dublin, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».
L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023.
Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024.
Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»
MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»
Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion.
Selon le règlement Dublin, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».
L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023.
Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024.
Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»
MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»
Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion.
Solange Peters, avez-vous été directement confrontée à des renvois de patients?
Oui, nous avons des cas en oncologie qui correspondent à ce qui est décrit dans l’Appel que je viens de signer. Il y a notamment une personne qui va être renvoyée alors que son traitement est en cours. Son cancer est des plus agressifs. Ce renvoi va donc clairement péjorer sa survie, parce qu’il imposera une pause dans sa thérapie. Par ailleurs, aucune option thérapeutique moderne n’est efficace là-bas pour la suite incontournable de son traitement. Nous avons argumenté à plusieurs reprises avec l’aide d’un juriste, mais nous avons échoué à contrer cette décision. Heureusement, ces situations sont rares. Mais elles existent.
Il y a donc des renvois Dublin qui mettent la vie des personnes en danger?
Quand on parle d’oncologie, la question n’est pas de savoir s’il y a une différence sensible de toxicité ou de coût dans le traitement. On parle de vie et de mort. Ces décisions de renvoi radicales sont d’autant plus choquantes que le nombre de personnes concernées est marginal. Parce que l’impact sur la vie des patients est, lui, immense.
Cela signifie qu’il y a d’importantes disparités dans la disponibilité des traitements contre le cancer entre les différents pays signataires de l’accord Dublin?
Il y a d’énormes différences. Des études ont été faites sur la disponibilité et l’accessibilité des traitements. La disponibilité signifie que le médicament est dans le pays. L’accessibilité qu’il est remboursé, ce qui est encore un autre problème. Les discrépances sont déjà immenses entre tous les pays d’Europe de l’Ouest comme la France, la Suisse, l'Allemagne, l’Italie, ou l'Espagne. Avec les pays de l’Est comme la Croatie, la Slovénie ou la Roumanie, elles sont incommensurables..
Le Secrétariat aux migrations assure pourtant que les soins sont garantis aux personnes renvoyées dans le cadre du règlement Dublin.
En oncologie, il y a cancer et cancer. Par exemple, si une femme a souffert d’un cancer limité du sein, elle aura besoin d'une hormonothérapie, soit une pilule qu'elle devra prendre tous les jours pendant cinq ou dix ans. C'est un traitement qui est disponible un peu partout en Europe et au-delà. Par contre, si une personne a besoin d'une de ces nouvelles immunothérapies ou traitement ciblé dont on parle tant, et que presque tous nos patients reçoivent, elle ne pourra probablement pas en bénéficier dans le pays de retour.
Vous avez l’impression que les médecins ne sont pas écoutés?
Je suis convaincue qu’il faut faire confiance aux médecins. Nous n’avons aucune raison de mentir. Les médecins ont prononcé le serment d’Hippocrate, qui place le bien-être du patient, l’équité et la bienveillance avant tout. S’ils estiment que la personne doit rester en Suisse, il faut absolument qu’elle puisse rester.
Les questions gênantes que posent les renvois d'enfants migrants
Outre le fait que les médecins ne sont pas entendus, qu’y a-t-il d’intolérable pour vous dans ces renvois?
Migrer d'un pays à l'autre contre sa volonté représente déjà une situation de crise humaine terrible. Quand un diagnostic de cancer s'impose en plus, la nécessité d’un traitement lourd s'ajoute, toujours en urgence. Les conséquences financières concernant ces patients en situation d’accueil sont minimes au regard de l’ensemble des coûts de la santé. Ce qui me choque, c’est le manque d’humanité derrière ces décisions. Condamner quelqu’un à mort quand on bénéficie du meilleur système de santé au monde, c’est un aveu d'égoïsme qui ne correspond pas à mes valeurs. Et qui ne devrait pas être dans celles de la Suisse, terre d’accueil.
Garder ces personnes ici pour les soigner ne provoque pas un appel d’air favorisant une forme de tourisme médical?
Je pense que le tourisme médical n'existe pas. Ou s'il existe, il est minuscule. Quand vous venez en Suisse depuis un pays de l’espace Schengen, vous devrez payer de votre poche parce que vous n’avez pas d’assurance. Quant aux migrants extra-européens qui ont besoin d’un traitement, on parle de quelques patients par mois ou par année en Suisse. Les gens viennent d’abord ici pour des motifs d’asile, et il se trouve que certains souffrent dans leur santé. Crier au péril et susciter la panique en décrivant un phénomène de masse, c’est non seulement mensonger, mais c’est aussi sournois et, à mes yeux, répugnant.
Est-ce que la FMH (Fédération des médecins suisses) ne devrait pas prendre position sur les renvois de personnes atteintes dans leur santé ?
La FMH a un positionnement politique sans doute moins inclusif que moi, et elle peut avoir quelques retenues à se prononcer sur la problématique de l’asile. Mais je pense qu’elle pourrait assumer un discours bien construit qui évoquerait la nécessité de soigner ce tout petit nombre de personnes. Et elle pourrait au moins demander à ce que ces cas fassent l'objet d’une expertise pointue et d’un consensus avant une décision de renvoi. Un groupe d’experts indépendants devrait pouvoir se prononcer sur les risques, y compris le risque que la personne meure ou souffre durant le transfert, ou peu après.
Il y a déjà des médecins, mandatés par le SEM, qui évaluent l’aptitude au transport.
On le voit pour les médecins-conseils des assurances: il est extrêmement difficile de se prononcer une fois sur une insuffisance cardiaque, une fois sur une jambe cassée, une fois sur un cancer. La compétence médicale atteint très vite la limite d'une analyse fine, juste et équitable. Il ne serait vraiment pas compliqué d’avoir quelques médecins référents dans les différentes régions linguistiques qui représenteraient tout le spectre de la médecine et sa complexité, et dont le seul mandat serait d'essayer de respecter leur serment d'Hippocrate.
Vous êtes active politiquement au sein du PS. Vous avez signé cette lettre à Beat Jans. Qu'attendez-vous de votre ministre?
J'attends déjà une réponse aux questions qui se posent, pour que tout le monde sache de quoi on parle. Ces réfugiés qui bénéficient de soins, combien de personnes est-ce que cela représente? D’où viennent-elles? De quelles maladies souffrent-elles? Et combien ça coûte au total? Ensuite, il faudra mettre cela en regard d’une humanité nécessaire en médecine et des dépenses globales de la santé. Et vous verrez que la conclusion s'imposera d'elle-même. S’il y a une exception possible dans l’accord de Dublin, c'est bien parce que l'hypothèse de base reposait sur l’exception de ces situations. Or, on n’applique pas la clause de souveraineté. C’est affreusement questionnant.
En ces temps aussi troublés, est-ce que cela a encore du sens d’être élu minoritaire au sein d'un collège qui ne partage pas vos idées?
Il est vrai que le Conseil fédéral a une structure politique qui muselle partiellement les voix minoritaires. Nos deux conseillers fédéraux socialistes peuvent difficilement faire passer la nuance des messages à la satisfaction de leur base, en raison de ce système. Il y a toujours un jeu d’influence dans les coulisses qui permet d’arrondir les angles. Mais le vrai changement doit venir de nos élus dans les législatifs, des citoyens qui font signer des initiatives, des partis cantonaux et communaux.
Pensez-vous vraiment que l’opinion publique peut être sensible à cette problématique des renvois Dublin?
Il faut raconter aux gens les vraies histoires, celles de Gildas, de Bezma, de ces personnes fragiles dans leur vie et leur santé. L'histoire d'une personne qui vient, au désespoir de sa vie, dans un pays dont elle ne parle pas la langue, à qui on diagnostique une maladie mortelle, et qu’on renvoie chez elle pour mourir. Dans mon domaine, le cancer, chacun sait en tout cas ce que cela signifie pour quelqu’un. Je pense fondamentalement que les gens peuvent comprendre cela, qu’ils ont cette humanité.
Une initiative UDC visant à autoriser la sédation pour faciliter les renvois forcés a été acceptée fin mars par la commission des institutions politiques du National. Comment cela vous fait réagir?
C’est une honte. Je n’ai pas d’autres mots. Mon père est né en 1920 en Allemagne avec des origines juives et il était communiste. Il a vécu cette époque où on ne traitait plus les gens comme des êtres humains. Avec la montée de l’extrême droite aujourd’hui, certains s'arrogent le droit de parler de personnes de cette manière. On envisage de les exclure du dialogue, de les sédater – tout comme des vaches. C’est sans commune mesure avec ce que j’aurais pu imaginer il y a encore quinze ans. Mon père me disait toujours: “Tu verras, quand tes enfants seront adultes, tout le monde aura oublié ce que nous avons vécu”. Mes enfants n’ont pas oublié, parce que je le leur rappelle en permanence. Mais mon père avait raison. La société a oublié les souffrances que certains ont subies. Cela me fait grand souci.
Si c’est appliqué un jour, pensez-vous qu’il sera possible de trouver des médecins pour réaliser ces sédations?
Je n’espère pas. Parce que si je devais penser que c’est possible, je ne pourrais plus croire dans ce pays.