Au deuxième étage de l’hôpital Pourtalès, à Neuchâtel, il y a un long, très long couloir qui mène jusqu’à la chambre d’un garçon de 11 ans au regard doux et grave. Gildas*, c’est le prénom d’emprunt que nous lui avons donné, est assis sous un duvet recouvert de fleurs, avec l’air groggy de celui qui vient d’atterrir à nouveau dans l'inconnu. Dehors, le soleil brille et des cris d’enfants entrent par la fenêtre ouverte.
Encore un hôpital, encore une chambre, encore un édredon. Depuis des années, le quotidien de ce garçon d’origine congolaise est rythmé par les douleurs, les examens médicaux, les perfusions. Avec cette double peine: atteint d’une maladie génétique très sévère, Gildas est aussi un enfant de l’exil, passé notamment par la Serbie, la Croatie et la Suisse.
Une démarche exceptionnelle
La semaine dernière, un événement exceptionnel s’est produit dans cette succession de drames que représente la quête de l’asile, comme l'a appris Blick. Renvoyés de force à Zagreb en novembre dernier, Gildas, ses parents et son petit frère de 3 ans ont été re-transférés par la Croatie vers la Suisse cinq mois plus tard. La famille avait été expulsée dans la république des Balkans car c’est le premier pays signataire de l'accord Dublin où elle avait été enregistrée. Le règlement Dublin détermine en effet quel Etat est responsable d’une demande d’asile déposée dans l’un des pays signataires, qui comprennent la Suisse ainsi que les Etats membres de l'Union européenne, dont la Croatie.
La famille a été expulsée vers la Croatie sur la base du règlement Dublin, entré en vigueur en 2008 pour la Suisse. Selon ce système, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».
L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023.
Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024.
Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»
MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»
Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion.
La famille a été expulsée vers la Croatie sur la base du règlement Dublin, entré en vigueur en 2008 pour la Suisse. Selon ce système, un demandeur d'asile doit être transféré dans le premier pays européen où les autorités ont pris ses empreintes digitales, qui est responsable de sa demande de protection. Les Balkans étant situés sur la route de l’exil, ce pays est bien souvent la Croatie. Selon de nombreuses ONG, la république balkanique se rend pourtant régulièrement coupable de violations des droits des réfugiés. Depuis 2022, ces organisations dénoncent donc les renvois à travers la campagne «stop Dublin Croatie».
L’an dernier, la Suisse a renvoyé au moins 325 personnes vers cet Etat de l’ex-Yougoslavie, contre 206 seulement en 2023, et dix fois moins les années précédentes en chiffres absolus. Membre de l’Union européenne depuis 2013, la Croatie a rejoint l’espace Schengen en 2023.
Les renvois vers Zagreb se font essentiellement par charter depuis Zurich, et sous escorte policière - une exigence de la compagnie aérienne, selon un rapport du Comité national de prévention contre la torture datant de juillet 2024.
Les renvois vers la Croatie sont critiqués notamment au niveau de l'accès aux soins des personnes migrantes, alors que le pays fait face à de nombreux défis concernant son système de santé. L'association Médecins du Monde (MdM), active dans les centres pour requérants d'asile en Croatie, estime ainsi que «la Suisse porte une responsabilité dans l’aggravation de l’état de santé des personnes en appliquant ces renvois vers un Etat qui ne dispose manifestement pas des ressources nécessaires pour un accueil digne.»
MdM précise également que «les dossiers médicaux des Dublinés avec problèmes de santé sont le plus souvent incomplets ou très sommaires (quelques lignes sur le diagnostic et la thérapie). Cela vaut pour la Suisse mais aussi globalement pour l’ensemble des pays qui renvoient des Dublinés vers la Croatie. Ce qui nous oblige à recommencer dès le début certains examens médicaux et donc complique/retarde la continuité du traitement pour certaines personnes.»
Le règlement Dublin inclut une clause de discrétionnaire ou de souveraineté, qui permet à un État de renoncer au transfert d'une requérante ou d'un requérant d'asile vers le pays responsable et de traiter lui-même une demande, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion.
A Zagreb, les médecins avaient fait part de leur impuissance à soigner l’enfant, faute notamment de sang d'un sous-groupe compatible pour des transfusions. Une enquête en plusieurs épisodes de Blick, qui s’est rendu dans la république de l'ex-Yougoslavie en janvier, avait révélé la situation catastrophique du garçon et la responsabilité de la Suisse dans cette affaire. Après avoir maintenu qu'il n'avait pas commis d'erreur, le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) avait réexaminé le dossier de l'enfant.
Des personnalités ont fait pression
Répondant à un appel de l’association Solidarité sans frontières, plusieurs citoyens dont des personnalités comme l’humoriste Thomas Wiesel ou l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg Charles Morerod, avaient écrit au Secrétaire d'Etat aux Migrations, Vincenzo Mascioli, pour demander le rapatriement de Gildas.
Contactée par Blick à son retour, la famille du garçon, qui est sorti depuis de l'hôpital, se dit reconnaissante pour le soutien qu'elle a reçu. Elle ne souhaite cependant pas s'exprimer dans les médias sur les conditions de son retour, ni être prise en photo à ce stade.
Selon nos informations, la Suisse a accepté de reprendre Gildas et sa famille à la demande de la Croatie, sur la base d’une clause discrétionnaire figurant dans le règlement Dublin. L’accord stipule en effet qu’un Etat membre peut demander à un autre de prendre un demandeur d'asile en charge pour des raisons humanitaires. Cette clause est cependant davantage axée sur le regroupement des familles.
Des complications mortelles
Gildas est atteint de drépanocytose, une maladie génétique touchant les globules rouges à laquelle de nombreux enfants ne survivent pas, faute de soins adaptés dans leur pays. Il est régulièrement en proie à des crises très douloureuses, lorsque sa circulation sanguine est obstruée en raison de la maladie. Les complications de la drépanocytose peuvent être mortelles: infections à pneumocoques, syndrome thoracique aigu, AVC.
La drépanocytose est une maladie génétique très répandue, particulièrement dans les populations originaires d'Afrique subsaharienne, des Antilles, d'Inde, du Proche-Orient et de certaines régions méditerranéennes. Cette maladie déforme les globules rouges, qui deviennent fragiles et rigides, ce qui abîme à long terme les vaisseaux et les organes des personnes atteintes. Lorsqu’elle est symptomatique, la drépanocytose se manifeste notamment par une anémie, des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et un risque accru d’infections.
Pour développer la maladie, il faut avoir hérité de deux copies du gêne muté. De nombreuses personnes sont donc porteuses saines de la drépanocytose.
«En Afrique, où les parents d'enfants malades sont stigmatisés, cette maladie n'a pas eu de nom jusqu'à récemment», explique la professeure Mariane de Montalembert, membre du centre de référence sur la drépanocytose à l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. «Les gens l'appellent notamment «la maladie qui empêche les enfants de vivre». Dans certaines régions, la plupart des enfants atteints de drépanocytose ne dépassent pas l'âge de cinq ans. L'hydroxyurée, un médicament qui améliore certains des problèmes cliniques de la drépanocytose en augmentant l'hémoglobine fœtale, protectrice, est «inabordable financièrement dans certains pays d'Afrique», relève Mariane de Montalembert.
En France par contre, où se trouve la plus importante population drépanocytaire d'Europe, 98% des jeunes vivent au moins jusqu'à 18 ans, selon la spécialiste. «Il y a un dépistage systématique à la naissance. Un réseau de soins a été mis en place et nous formons les parents pour qu'ils puissent s'occuper au mieux de leur enfant malade.»
Ailleurs, en Europe, la prise en charge est très inégale. «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins pour les personnes drépanocytaires», assure David-Zacharie Issom, co-président de l'association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. «C’est un problème connu.» Quant à la Suisse, «mieux vaut y être traité dans un hôpital universitaire, précise David-Zacharie Issom. Ailleurs, je ne recommanderais pas.»
La drépanocytose est une maladie génétique très répandue, particulièrement dans les populations originaires d'Afrique subsaharienne, des Antilles, d'Inde, du Proche-Orient et de certaines régions méditerranéennes. Cette maladie déforme les globules rouges, qui deviennent fragiles et rigides, ce qui abîme à long terme les vaisseaux et les organes des personnes atteintes. Lorsqu’elle est symptomatique, la drépanocytose se manifeste notamment par une anémie, des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et un risque accru d’infections.
Pour développer la maladie, il faut avoir hérité de deux copies du gêne muté. De nombreuses personnes sont donc porteuses saines de la drépanocytose.
«En Afrique, où les parents d'enfants malades sont stigmatisés, cette maladie n'a pas eu de nom jusqu'à récemment», explique la professeure Mariane de Montalembert, membre du centre de référence sur la drépanocytose à l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris. «Les gens l'appellent notamment «la maladie qui empêche les enfants de vivre». Dans certaines régions, la plupart des enfants atteints de drépanocytose ne dépassent pas l'âge de cinq ans. L'hydroxyurée, un médicament qui améliore certains des problèmes cliniques de la drépanocytose en augmentant l'hémoglobine fœtale, protectrice, est «inabordable financièrement dans certains pays d'Afrique», relève Mariane de Montalembert.
En France par contre, où se trouve la plus importante population drépanocytaire d'Europe, 98% des jeunes vivent au moins jusqu'à 18 ans, selon la spécialiste. «Il y a un dépistage systématique à la naissance. Un réseau de soins a été mis en place et nous formons les parents pour qu'ils puissent s'occuper au mieux de leur enfant malade.»
Ailleurs, en Europe, la prise en charge est très inégale. «Dans les pays de l’Est et du Nord de l’Europe, il est très compliqué de trouver les bons produits sanguins pour les personnes drépanocytaires», assure David-Zacharie Issom, co-président de l'association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. «C’est un problème connu.» Quant à la Suisse, «mieux vaut y être traité dans un hôpital universitaire, précise David-Zacharie Issom. Ailleurs, je ne recommanderais pas.»
Au moment du renvoi de la famille, Gildas était suivi à l’hôpital pour enfants de Saint-Gall, où il venait de séjourner deux fois à quelques semaines d’intervalle. Deux mois avant son expulsion, une radiographie avait révélé une hypertrophie du cœur. Les médecins lui avaient alors diagnostiqué un syndrome coronarien aigu ainsi qu’un syndrome thoracique aigu. L’onco-hématologue qui suivait l'enfant à Saint-Gall n’avait pas été informé de l’expulsion de la famille.
La question de savoir pourquoi le SEM n'a pas tenu compte de l'état de santé de Gildas avant son renvoi reste en suspens. Les crises récentes en cas de drépanocytose font en effet partie des contre-indications médicales aux rapatriements sous contrainte par voie aérienne listées par le SEM lui-même. Interpellé par Blick, le Secrétariat d'Etat aux migrations n'a jamais voulu répondre, arguant qu'il ne s'exprime pas sur des cas particuliers pour des raisons de protection des données.
*Prénom d'emprunt