240 millions de francs. Voilà ce qu’aurait coûté une large étude nationale dédiée à l’impact de divers polluants, comme les redoutables PFAS, dont on préfèrerait franchement ignorer l’existence. Début septembre, l’OFSP se disait contrainte de renoncer à cette recherche, faute de moyens financiers, provoquant la colère des Vert-e-s et de plusieurs élus romands. Le président du gouvernement valaisan Mathias Reynard qualifiait cette décision d'«insensée», révélait «Le Temps».
Pour rappel, 100’000 personnes réparties dans toute la Suisse devaient être observées et suivies durant vingt ans, afin d’analyser l’impact du «cocktail» de molécules accumulées dans leurs corps lors de cette période. «Ce type d’étude, réalisée sur le long terme avec un grand nombre de participants, basée sur des échantillons sanguins et urinaires, aurait permis de détecter d’éventuels liens entre l’exposition à certaines substances et le développement de certaines maladies», précise le Dr. Florian Breider, chef d’unité au laboratoire central de l’environnement de l’EPFL.
C’est quoi, déjà, les PFAS?
Au sommet de la liste noire des substances à risque, on trouve évidemment les fameuses PFAS, soit les alkyls perfluorés et polyfluorés, des molécules surnommées forever chemicals et constituant une très large catégorie de composants chimiques présents un peu partout. Une récente étude citée par «24 Heures» a effectivement démontré que 57% des personnes testées en Suisse ont actuellement accumulé des taux de PFAS supérieurs au seuil d’innocuité, tandis que ces molécules sont probablement transmises aux nourrissons via le lait maternel.
Pourquoi cette omniprésence, dans nos corps et autour de nous? Les propriétés hydrophobes des PFAS, soit leur capacité à repousser l’eau, les rendent plutôt utiles dans la production d’un grand nombre d’objets, dont les poêles anti-adhésives et les imperméables. Et les alternatives ne sont pas toujours simples à identifier, selon les secteurs industriels, qui lâchent alors des quantités folles de substances dans l’environnement. Or, on sait désormais que l’accumulation de PFAS dans l’organisme peut augmenter le risque de développer certaines maladies.
Un effet probable sur l’augmentation des cancers
«Pour le moment, certains effets sur la santé, comme les problèmes thyroïdiens ou le cancer des testicules, sont bien connus, pointe le Dr. Breider. Les degrés varient selon les maladies, mais la science a pu démontrer le rôle des PFAS dans ces maladies-là. On suspecte aussi de nombreuses autres conséquences, même si les études réalisées jusqu’à présent n’ont pas encore été suffisamment répétées pour s’en assurer. Je pense qu’il n’est pas anodin que certains types de cancers ou de maladies aient tendance à augmenter ces dernières années, mais on a besoin d’avoir une vision plus claire de la situation.»
Et l’étude en question, celle qui ne sera jamais menée, aurait pu apporter ce précieux éclairage: «Au quotidien, nous sommes exposés à un véritable cocktail chimique, dont d’autres composants persistants, des métaux lourds, des pesticides, liste notre expert. Certaines substances peuvent, lorsqu’elles se rencontrent, avoir un effet de synergie: le polluant A peut augmenter l’effet négatif du polluant B, par exemple. L’inverse est également vrai, avec des effets antagonistes. Pour cette raison, il est difficile de saisir les conséquences précises de l’exposome et ce type d’étude permet justement de prendre en compte un contexte réaliste, en observant des tendances chez une population exposée à ce cocktail, sur le long terme.»
Qu’aurait pu nous apporter l’étude?
Notre intervenant admet toutefois qu’il est difficile de prédire les résultats qu’on aurait obtenus en réalisant la recherche: «Mais il est fort probable qu’on aurait pu en tirer des liens statistiques entre l’augmentation de certains types de pathologies et l’exposition à telle classe de substance, d’observer des tendances ou des effets distincts sur la santé des volontaires.» Par ailleurs, l’obtention d’une idée plus précise du risque couru par la population suisse aurait pu mener à des prises de conscience au sein de la classe politique, pour enfin mieux réglementer l’abondance et l’utilisation des PFAS.
Parmi les mesures préventives essentielles, le Dr. Breider évoque notamment l’assainissement des sites les plus contaminés, bien qu’il soit illusoire de penser qu’on pourrait en traiter la totalité: «Les coûts en termes de financement et de logistique seraient monstrueux, déplore-t-il. Puis, il serait essentiel de mieux réglementer les PFAS dans certains secteurs. On sait notamment que l’alimentation, particulièrement le poisson et la viande, représente l’un des vecteurs majeurs de notre exposition. Or, sans une action à l’échelle mondiale, les taux ne risquent pas de diminuer de sitôt.»
En parallèle, l’objectif serait évidemment de mieux réglementer l’utilisation de ces substances dans les produits industriels, en indiquant par exemple des labels scientifiques, ou en précisant la composition exacte: «Rappelons que, dans certains domaines, il n’existe pas toujours d’alternatives aux PFAS, tempère le Dr. Breider. Cela impliquerait, pour les industries, de faire des choix, de se demander à quel point telle ou telle substance problématique est indispensable ou si une alternative existe, même plus coûteuse.»
L’étude était-elle si chère que cela?
On sait désormais ce qu’on aurait pu gagner, si la recherche avait été validée: des réponses et, à terme, des ébauches de mesures concrètes. Il faudra toutefois prendre son mal en patience, puisque L’OFSP invoque des raisons budgétaires. Bien que 240 millions de francs (entre 10 et 12 millions annuels, sur vingt ans d’étude) représentent une somme importante, le Dr. Breider ne la juge pas excessive pour ce type de projet:
«Sachant que l’étude en question incluait de nombreux participants, qu’elle aurait duré plusieurs années et que les analyses sont relativement chères, le prix annoncé me semble proportionnel à l’étendue de la recherche, analyse-t-il. Mais il s’agit d’une question de société. Les coûts des assurances maladie augmentent face à la hausse des problèmes de santé, alors que ces coûts-là pourraient sans doute être réduits si l’État mettait en place davantage d’actions préventives.»
D’autres pays peuvent-ils faire le travail à notre place?
Autre hypothèse pouvant expliquer cette décision: plusieurs pays voisins mènent déjà des études du même type, dont nous pourrions «emprunter» les réponses.
Or, ce n’est pas aussi simple. D’après notre expert, des travaux semblables sont effectivement en cours dans le monde, dont une nouvelle étude épidémiologique qui s’apprête à démarrer en France. «Mais l’étude Suisse était d’assez grande ampleur et aurait permis d’avoir une meilleure idée de notre exposition aux PFAS, leur concentration, leur type et leurs conséquences, déplore-t-il. Même si des études sont réalisées dans d’autres pays, il reste pertinent d’étudier la situation en Suisse, car il est possible d’observer des différences parfois importantes d’une région géographique à une autre.»
Loin de nous l’envie de conclure par un défaitiste «on ne saura jamais». Osons espérer qu’on connaîtra un jour l’impact des PFAS en Suisse, ainsi que les solutions. Mais en tout cas, ce ne sera pas pour demain. Ni, hélas, pour dans vingt ans.