Les entreprises suisses ont-elles tiré les leçons du «Liberation Day»? Lorsque le président américain Donald Trump a annoncé ses droits à la quasi-totalité des pays du monde le 2 avril dernier, le monde des affaires helvétique avait mis plusieurs jours à encaisser les 31% de surtaxes imposées à la Suisse. Les entreprises suisses avaient d'ailleurs peu communiqué sur les conséquences de ces annonces pour leurs activités.
Quatre mois plus tard, l'atmosphère semble bien différente, et ce alors que les droits de douane ont été relevés à 39%. «Nos produits ne sont pas concernés par les droits de douane américains», «nous sommes confiants quant aux droits de douane américains» ou «aucun impact direct des droits de douane». Ce lundi 6 août, les réactions d'entreprises se sont enchaînées dans la presse. Ces déclarations rassurantes n'expliquent toutefois pas pourquoi l'indice SMI n'a perdu que 0,15% lundi à l'ouverture de la Bourse.
«Nous nous attendons à ce que les négociations se poursuivent jusqu'au 7 août, voir au-delà», écrivent par exemple plusieurs experts travaillant sous la direction de Nannette Hechler-Fayd'herbe, responsable de la stratégie d'investissement chez Lombard Odier. «Selon nous, les Etats-Unis et la Suisse pourraient s'entendre sur un taux de droits de douane plus proche des 15% convenus avec l'UE et le Japon, ce qui pourrait s'accompagner de concessions difficiles».
Le boss de Swatch et le Conseil fédéral y croient
Le patron de Swatch, Nick Hayek, est aussi convaincu qu'un accord peut être trouvé avant que les droits de douane n'entrent en vigueur jeudi 7 août. Mais d'autres personnes ne sont pas de cet avis: selon le représentant américain au commerce, Jamieson Greer, les droits de douane – y compris ceux de la Suisse – sont «presque définitifs».
Le responsable américain assure que les négociations sur une réduction de ces surtaxes douanières n'auront pas lieu «dans les prochains jours». Insuffisant toutefois pour décourager la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le ministre de l'Economie Guy Parmelin qui se sont envolés mardi pour Washington afin de négocier.
Et pour cause. La situation du marché boursier suisse demeure fragile. Les experts de Lombard Odier partagent cet avis: «Les actions suisses devraient baisser dans cette phase d'incertitude.» Le secteur de la santé représentant environ 37% des valeurs du SMI, le traitement des exportations pharmaceutiques est crucial pour la bonne santé des actions suisses.
Novartis et Roche, les piliers
L'incertitude autour du SMI pèse lourdement sur les deux géants pharmaceutiques bâlois, Novartis et Roche. Mais il y a pire encore: bien que l'industrie pharmaceutique soit actuellement exemptée des droits de douane américains, Trump a adressé des lettres aux plus grandes sociétés pharmaceutiques pour exiger une baisse des prix des médicaments.
Aux Etats-Unis, les patients paient leurs médicaments trois fois plus cher qu'en Europe. Pour le moment, nul ne sait ce que le Conseil fédéral va exiger des dirigeants de Novartis et Roche. Cependant, un initié du secteur pharmaceutique basé à Bâle affirme que les deux entreprises devront probablement faire des concessions sur la question des prix américains. Ce n'est pas pour rien que Novartis et Roche ont récemment suggéré d'augmenter les prix des médicaments en Europe pour compenser les pertes potentielles aux Etats-Unis.
Les titres des deux groupes pourraient donc se retrouver sous pression ces prochains temps, même si Novartis (dont l'action a augmenté de 0,2% lundi après une longue baisse) pourrait s'en sortir un peu mieux. En effet, la part des activités américaines de Roche est plus élevée que celle de son rival local. Lundi, son titre participatif a baissé de 0,8% et a atteint son plus bas niveau depuis la mi-avril.
Pas de répit dans le secteur des produits de luxe
L'ambiance doit également être tendue du côté de Logitech. Le fabricant d'accessoires informatiques a été le grand perdant de la journée lundi, avec une baisse 1,9%. Un phénomène semblable s'était produit au lendemain «LiberationDay». Dans l'espoir de contourner les droits de douane, Logitech mise désormais sur la délocalisation de ses chaînes de production de la Chine vers des pays comme la Malaisie, le Mexique, Taïwan, la Thaïlande ou encore le Vietnam.
Les actionnaires de Richemont (moins 1,3% lundi) et de Swatch (moins 2,3%) ne sont eux non plus pas près de pousser de voir le bout du tunnel. Les Etats-Unis sont de loin le marché le plus important pour la branche horlogère. En 2025, la Suisse devrait vendre envion 5 milliards de francs de montres aux Etats-Unis. Selon les estimations du groupe financier ODDO BHF, les droits de douane américains pèseront à hauteur de 5 à 10% sur le bénéfice annuel de Swatch avant intérêts et impôts, contre moins de 5% pour Richemont.
Les actions des high flyers boursiers sous pression
Les actions, surtout dans le domaine des petites et moyennes capitalisations ont également accusé le coup lundi, après plusieurs semaines de progression. Basilea (moins 4% lundi), Idorsia (moins 7%), Kardex (moins 4%) ou Kuros (moins 8%) ne sont certes pas directement concernées par les droits de douane américains. Mais lorsque les marchés paniquent, les valeurs vedettes sont généralement les premières touchées.
A ce titre, les actions de semi-conducteurs comme Comet (moins 8% lundi), AMS Osram (moins 3%) ou VAT (moins 0,4%) demeurent vulnérables. Les entreprises suisses défensives et axées sur le marché intérieur pourraient en revanche être relativement épargnées par la panique ambiante. C'est ce qu'illustre parfaitement le cas de Swisscom, dont l'action a grimpé lundi à son plus haut niveau depuis mai 2023 après un gain de 3%. Si l'on excepte les activités de sa filiale Fastweb en Italie, le géant télécommunications opère exclusivement en Suisse.
Les assurances cotées au SMI pourraient, elles aussi, être davantage demandées en cas de nouvelles incertitudes boursières. Lundi, Swiss Life, Swiss Re et Zurich ont toutes trois clôturé en hausse d'environ 1%.
Les banques cantonales, un refuge bien suisse
Le fabricant de parfums Givaudan pourrait aussi retrouver prochainement la faveur d'investisseurs inquiets, malgré des résultats semestriels décevants. Les actions immobilières suisses comme Allreal, Intershop, Mobimo, SPS ou PSP ont également augmenté lundi. Toutes tirent la grande majorité de leurs revenus de Suisse.
Les actions des banques cantonales sont, elles aussi, une «valeur refuge» traditionnelle. Les établissements des cantons de Genève, Zoug Saint-Gall et Thurgovie ont ainsi tous grimpé de plus de 1% lundi. Les investisseurs en quête de stabilité trouveront aussi leur bonheur parmi les actions du spécialiste des soins de la peau Galderma, de la chaîne de pharmacies Galenica (toutes deux en hausse d'environ 1% lundi) et surtout de l'opérateur de télécommunications Sunrise (plus 3%).