Dix-sept groupes pharmaceutiques du monde entier ont soixante jours pour revoir à la baisse les prix de leurs médicaments sur le marché américain. C’est en tout cas ce qu'exige Donald Trump. Les géants suisses Roche et Novartis sont également dans le viseur du président américain.
A Berne, la Confédération cherche déjà une solution de dernière minute pour éviter une escalade dans le conflit douanier qui l’oppose à Washington. Et Trump ne semble pas prêt à faire de cadeau à la petite, mais prospère Suisse. L’industrie pharmaceutique helvétique pourrait-elle prendre les devants et ouvrir la voie à un compromis en baissant ses prix outre-Atlantique d’ici à jeudi?
Le marché américain est une véritable mine d'or pour les groupes pharmaceutiques, qui ne peuvent pratiquer des prix aussi élevés nulle part ailleurs. Ce sont ainsi les ménages américains qui financent une part importante de la recherche pharmaceutique, dont profitent aussi les patients des autres pays.
La Suisse, l'exemple idéal?
Depuis plusieurs mois, Donald Trump promet à la population américaine de réduire les coûts de la santé après avoir coupé dans l’assurance maladie. Jeudi dernier, il s’est directement adressé aux dirigeants de l'industrie pharmaceutique, leur demandant dans une lettre de «ramener les prix au niveau d’autres pays comparables». Parmi les destinataires, Vasant Narasimhan, CEO de Novartis, et Thomas Schinecker, le bosse de Genentech, filiale américaine de Roche.
Responsable de près de 60% des exportations suisses vers les Etats-Unis, l’industrie pharmaceutique contribue largement à ce déséquilibre commercial qui agace tant Washington. La Suisse devient ainsi une cible idéale pour faire pression sur le secteur, estime Fredy Hasenmaile, économiste en chef chez Raiffeisen.
Roche et Novartis font profil bas
Pour Barbara Gysi, la conseillère nationale socialiste (PS), les groupes pharmaceutiques ont une responsabilité à assumer. «Il est justifié d’imposer aujourd’hui des exigences à cette industrie», estime celle qui préside la commission de la santé du Conseil national. «Elle (ndrl: la pharma) doit réagir face aux prix excessifs pratiqués aux Etats-Unis.» Elle insiste toutefois pour que cela ne se fasse pas au détriment des patientes et patients suisses.
Réduire les prix semble inévitable, Trump brandissant la menace de sanctions en cas de refus. Pourtant, Roche et Novartis gardent le silence. Interrogés, ils n’ont pas souhaité communiquer s’ils étaient prêts à soutenir la position du Conseil fédéral.
La pharma et la Confédération en discussion
Les associations Interpharma et Scienceindustries confirment être en discussion avec les autorités. Un échange a eu lieu lundi matin avec Helene Budliger Artieda, directrice du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). «Nous soutenons pleinement le Conseil fédéral», écrit Interpharma, sans toutefois préciser si la question des prix figurait à l’agenda. Scienceindustries rappelle que les groupes suisses ont déjà massivement investi aux Etats-Unis, notamment pour renforcer la position de la Suisse dans les négociations en cours.
Damian Müller (PLR), président de la commission de la santé du Conseil des Etats, appelle à la retenue. «Nous devons faire extrêmement attention pour éviter de tirer des conclusions hâtives qui pourraient nuire à notre industrie pharmaceutique», avertit-il. Selon lui, il ne faut pas mélanger les négociations douanières et les prix des médicaments. La régulation des prix sur américain, dit-il, est une responsabilité américaine, pas suisse.
L'inaction n'est pas une option
La conseillère nationale centriste Elisabeth Schneider-Schneiter défend, elle aussi, les intérêts de la branche: «Nous ne pouvons pas forcer nos entreprises pharmaceutiques à baisser leurs prix de manière préventive aux Etats-Unis. Si les concurrentes étrangères ne suivent pas, elles perdront en compétitivité.» Députée de Bâle-Campagne, elle met en garde: «Avec un tel accord, nous nous mettons le doigt dans l'œil. Ce sont des milliers d’emplois, l’innovation et la prospérité qui sont en jeu.» A noter que Damian Müller et Elisabeth Schneider-Schneiter occupent tous deux des mandats dans le secteur.
Un accord défavorable à la pharma pourrait se révéler plus nuisible qu’utile. Mais ignorer les menaces américaines pourrait aussi coûter cher. Si Trump appliquait un droit de douane de 39% à l’ensemble du secteur pharmaceutique, les conséquences seraient lourdes. Selon les calculs du Centre de recherches conjoncturelles de l’EPFZ, la performance économique suisse baisserait d'au moins 0,7%. Ce serait un choc bien plus important que celui causé par des droits de douane sur toutes les autres branches. En somme, l’inaction n’est pas une option.