Léonore Porchet ne décolère pas. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national dans laquelle siège l’élue verte vaudoise a annoncé, le vendredi 29 août, plusieurs décisions importantes concernant l’AVS sans que cela fasse grand bruit. Parmi elles, la fin de la rente à vie des veuves. Une direction donnée par le Conseil fédéral qui doit encore être confirmée aux Chambres.
Alors que la session d’automne du parlement a débuté ce lundi 8 septembre à Berne, la conseillère nationale et figure féministe romande de 36 ans a donné rendez-vous à L’illustré dans son quartier populaire de la Bourdonnette. Celle qui est en outre vice-présidente de Travail.Suisse, la principale organisation faîtière indépendante des travailleurs et travailleuses du pays, dénonce une attaque en règle de la majorité de droite contre les plus précaires et agite la menace d’un référendum. Interview coup-de-poing.
Léonore Porchet, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national dans laquelle vous siégez a décidé de voter la suppression des rentes de veuve à vie, comme le voulait le Conseil fédéral. Cela vous choque-t-il?
Oui, beaucoup! Selon les votes du parlement, les syndicats étudieront la possibilité de lancer un référendum. Car c’est à nouveau un système dans lequel on tend à l’égalité par le bas. Je m’explique: il y a quelques années, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Suisse pour inégalité entre les hommes et les femmes parce que les veufs touchaient une moins bonne rente que les veuves. La Suisse avait très rapidement rectifié le tir en décidant d’augmenter les rentes de veuf. Mais, finalement, on décide de raboter le tout. C’est d’autant plus déplorable que cette mesure, si elle se confirme aux Chambres, viendra encore davantage précariser des gens déjà très souvent concernés par la pauvreté.
Aujourd’hui, qui sont les personnes qui touchent ces rentes?
En 2024, 200'000 personnes ont touché la rente de veuve ou de veuf. Sur ce nombre, toutes les personnes de moins de 55 ans vont perdre cette rente dans deux ans ou à la majorité de leurs enfants. De plus, aujourd’hui, plus de 400'000 personnes déjà à l’AVS ont besoin du supplément de rente pour veuve ou veuf, qui va aussi être supprimé pour les nouveaux rentiers. Et si on ajoute les rentes pour enfant que la commission veut aussi sucrer, ce sont 25'000 familles supplémentaires qui seront concernées par ces mesures antisociales.
Un espoir irréaliste?
Si on entre dans le spécifique, quel est le profil type des bénéficiaires?
Ce sont fréquemment des femmes qui ont travaillé pour des petits salaires ou sans salaire et qui se sont gratuitement consacrées à prendre soin de leur famille ou de leur conjoint malade. En agissant de la sorte, elles ont fait économiser des sommes immenses à la société. Mais, en contrepartie, elles touchent de petites rentes qui leur permettent de subvenir à peine à leurs besoins. Les enlever est une aberration. Economiser sur le dos des veuves, c’est économiser sur le dos des plus faibles.
Combien la Confédération espère-t-elle économiser grâce aux veuves?
Les estimations, sans prendre en compte la rente pour enfant qui serait aussi abandonnée, se montent à 1,5 milliard de francs en 2040. On se retrouve vraiment dans une situation où les autorités veulent aller chercher de l’argent chez des gens qui n’en ont pas.
Ne noircissez-vous pas un peu le tableau? La commission a prévu des compensations. Les veuves avec enfants pourront toucher une rente jusqu’à ce que le dernier atteigne l’âge de 25 ans, celles avec un enfant handicapé pourront prétendre à davantage et celles qui n’ont pas de descendance bénéficieront de mesures transitoires. Personne ne semble avoir été laissé sur le côté de la route...
C’est un espoir qui ne correspond pas à la réalité. Nous avons fait des calculs et, même pour les personnes les plus défavorisées, ces décisions induisent une perte de revenu. J’aimerais aussi insister sur le fait qu’elles ne perdront pas qu’un revenu. Elles verront simultanément leurs charges doubler.
Comment cela?
Avec le décès de leur conjoint – c’est le cas le plus courant – les veuves se retrouvent à devoir payer les mêmes charges, mais en étant toutes seules. Cela signifie par exemple un loyer complet à sortir toute seule et donc probablement un déménagement forcé. C’est un changement énorme! Un bouleversement qu’il faudrait par ailleurs surmonter au pire des moments puisqu’il interviendrait lorsque l’on perd la personne aimée avec qui on pensait faire sa vie. Ce sont ces personnes que la majorité de droite veut encore fragiliser.
L'Etat social fragilisé
La majorité propose également de ne plus plafonner les nouvelles rentes AVS pour les couples. Ainsi, un couple marié touchera enfin deux rentes entières. C’est une excellente chose, non?
Absolument. C’est positif, mais cela ne touche pas du tout les mêmes personnes! Ce sont surtout les couples aisés au bénéfice de rentes maximales qui recevront beaucoup plus d’argent, tandis que l’augmentation sera peu importante, voire inexistante, pour les autres. Il ne faut pas mélanger les deux. C’est un calcul assez cynique de demander aux veuves de financer la hausse des rentes de couples en vie.
Prenons un peu de hauteur et essayons de comprendre. Pourquoi économiser sur le dos des veuves maintenant?
La Confédération fait des économies partout. S’attaquer aux veuves est facile puisqu’elles n’ont pas les moyens de se défendre et ne sont que peu représentées. Globalement, la majorité de droite veut réduire les aides sociales et casser les mécanismes de solidarité. Elle agit par idéologie et non par nécessité. Il faut rappeler que nous ne nous trouvons pas dans une situation financière qui nous contraindrait à faire des choix douloureux.
A vos yeux, ces choix sont donc les prémices d’un démantèlement de notre Etat social?
Ce ne sont pas les prémices, mais la continuité! Parallèlement à ce qui nous occupe, nous avons déjà augmenté l’âge de la retraite des femmes alors que l’AVS va très bien. La majorité de la commission propose que la 13e rente soit financée de manière transitoire et par une hausse de la TVA. Nous avions pourtant proposé d’augmenter les cotisations salariales, plus justes, ce qui permettrait de renforcer l’AVS. Le but de cette solution à court terme? Pouvoir présenter dans quelques années la hausse de l’âge de la retraite comme unique solution.
Un changement en profondeur
Restons sur les faits. Même si l’AVS va mieux qu’imaginé il y a quelques années, les baby-boomers qui approchent de la retraite promettent des jours difficiles. Il faudra bien encaisser ce choc! Comment faire sans assainir les finances de l’AVS?
Une fois encore, les finances de l’AVS n’ont pas besoin d’être assainies! Il suffit de trouver un financement pour la 13e rente. Sinon, elles se portent très bien, même en prenant en compte les baby-boomers, ce qu’a d’ailleurs confirmé le Conseil fédéral en août.
Il n’empêche qu’on rediscute tous les cinq ans du financement de l’AVS. N’avez-vous pas l’impression de sauter d’une mesurette à l’autre et de vous contenter d’un cataplasme sur une jambe de bois?
Certains prédisent la mort de l’AVS depuis sa création. L’AVS va très bien parce que les gens travaillent davantage et que nous avons une précieuse immigration qui remplit les caisses des assurances sociales. C’est cela, la réalité.
Assez parlé de la session parlementaire qui s’est ouverte lundi et venons-en à vous. Beaucoup vous imaginaient candidate à la municipalité de Lausanne lors des prochaines élections communales de mars 2026. Mais seuls les sortants Natacha Litzistorf et Xavier Company se lancent chez les Vert-e-s. Siéger dans l’exécutif de votre ville, cela ne vous intéresse pas?
Beaucoup de gens m’ont sollicitée à ce propos, cela m’a touchée. J’adore ma ville, donc il est probable qu’un jour, je sois intéressée par cette fonction. Mais cela ne se planifie pas en politique. Je suis présente localement, je participe notamment à l’écriture du programme des Vert-e-s lausannois. Et le bilan de Natacha Litzistorf et de Xavier Company est excellent, mon rôle est maintenant de faire campagne pour ce beau duo. Aujourd’hui, je tiens énormément à mon action au parlement. Que cela soit concernant les assurances sociales ou tout le reste. J’ai été élue par des gens que je m’efforce de représenter de tout mon cœur et avec toute mon énergie. Dont les veuves.
Cet article a été publié initialement dans le n°37 de «L'illustré», paru en kiosque le 10 septembre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°37 de «L'illustré», paru en kiosque le 10 septembre 2025.