39% de droits de douane
Pourquoi Trump a-t-il frappé aussi fort la Suisse?

La Suisse espérait un accord douanier modéré avec Donald Trump. Mais peu avant l'expiration du délai de négociation, coup de théâtre: notre pays est imposé de taxes de 39%! Les négociations ont échoué et les conséquences pourraient être massives. Blick fait le point.
Publié: 01.08.2025 à 07:00 heures
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Dernière mise à jour: 01.08.2025 à 08:29 heures
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L'espoir était grand mais la Suisse est désormais menacée par la massue douanière de Donald Trump.
Photo: IMAGO/NurPhoto
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Martin Schmidt, Tobias Bruggmann, Sven Altermatt, Sophie Reinhardt et Daniel Kestenholz

Pendant des semaines, tout semblait bien engagé: face à la menace de droits de douane américains sur les produits suisses, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter avait personnellement téléphoné au président américain Donald Trump. Les négociateurs s’étaient retrouvés autour d’un déjeuner de travail à l’ambassade américaine. Le Conseil fédéral avait validé une déclaration d’intention. Le ministre de l’Economie Guy Parmelin et la secrétaire d’Etat Helene Budliger Artieda affichaient également leur optimisme. Karin Keller-Sutter déclarait même à Blick: «D’une certaine manière, j’ai trouvé l’accès à Trump.»

Mais à quelques minutes de l’échéance, la Maison Blanche publiait une liste de «tarifs douaniers réciproques ajustés». Y figurent 61 pays et territoires – dont la Suisse, frappée d’un taux de 39%! Soit 8% de plus que les 31% initialement évoqués. En Europe, aucun autre pays ne s’en sort avec un aussi mauvais accord.

Déficit commercial

Trump justifie ces droits de douane par un déficit commercial, comme expliqué dans un décret. Il y laisse toutefois entendre qu’une marge de manœuvre était possible. Certains pays auraient déjà conclu, ou seraient sur le point de conclure, un accord commercial ou sécuritaire avec les Etats-Unis.

Impossible de savoir dans l’immédiat si la Suisse en fait partie. Pour ces pays, les droits de douane énoncés dans le décret s’appliquent jusqu’à la signature d’un accord – ou jusqu’à ce que Trump en fixe les modalités, «ou jusqu'à ce que j'émette des ordonnances ultérieures fixant les conditions de ces accords». 

Douche froide

Les nouveaux droits de douane entreront en vigueur dans sept jours. A Berne, on croyait encore début juillet que l’accord était proche: 10% de droits de douane, pas plus. Une déclaration commune était prête – seule la signature de Trump manquait. Mais elle ne viendra jamais.

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Tard dans la soirée du jeudi 31 juillet, c’est la douche froide: Karin Keller-Sutter annonce sur X l’échec des négociations. Initialement, les exportations suisses étaient menacées par des droits allant jusqu’à 31% – déjà un coup dur pour l’économie helvétique. Pourquoi ce blocage soudain? La situation reste floue. Selon Karin Keller-Sutter, c’est avant tout le déficit commercial qui préoccupe Trump. Les concessions suisses n’ont pas suffi. 

A titre de comparaison, l’Union européenne (UE) a obtenu un tarif de 15% grâce à un accord négocié avec Trump. La Suisse, de toute évidence, s’est méprise: à Berne, on pensait avoir fait preuve de souplesse. On croyait à une relation d’amitié. Aujourd’hui, on constate que le lien avec Washington était certes direct, mais peu stable.

Trump invoque le déficit commercial. A juste titre?

Non. En 2024, les Etats-Unis ont enregistré un déficit de 38,5 milliards de francs dans le commerce de marchandises avec la Suisse. Autrement dit, la Suisse exporte davantage vers les Etats-Unis qu’elle n’importe. Près de 60% de ces exportations concernent l’industrie pharmaceutique, suivie par l’or, les bijoux et les montres.

Mais Trump ignore un élément clé: les géants technologiques du secteur des services comme Meta ou Alphabet. Si l’on prend en compte les services, le déficit commercial américain avec la Suisse tombe à 18 milliards de francs.

Autre omission de taille: la différence d’échelle entre les deux marchés. Les neuf millions de Suisses dépensent, en moyenne, bien plus pour des produits américains que les quelque 340 millions d’Américains pour des produits suisses.

Quelle pourrait être la véritable raison?

Un grief semble s’être dissipé ces derniers mois: Trump accusait la Suisse de manipuler sa monnaie via la Banque nationale suisse (BNS). En affaiblissant le franc, nos entreprises exporteraient à moindre coût. Or, depuis les menaces douanières de Trump, le franc s’est renforcé de près de 10% face au dollar. Ce reproche paraît donc dépassé. Par ailleurs, la Suisse a supprimé ses droits de douane industriels depuis plusieurs années et impose peu de taxes aux produits américains, à l’exception du secteur agricole. 

La véritable explication pourrait se situer ailleurs: un accord avec la Suisse ne figure tout simplement pas parmi les priorités de Trump. Notre pays ne représente que 1,3% des importations américaines. Ce qui l’intéresse, en revanche, c’est la baisse des coûts de la santé.

Trump accuse la Suisse de pratiques commerciales déloyales – et vise directement l’industrie pharmaceutique. Selon Trump, les Américains paient les médicaments les plus chers du monde. Le président a donc envoyé un ultimatum aux PDG des plus grands groupes pharmaceutiques – dont ceux de Roche et Novartis: baissez vos prix, ou subissez les conséquences.

L’UE, de son côté, a mis de gros moyens sur la table pour décrocher son accord à 15%: elle prévoit d’acheter 750 milliards d’euros d’énergie et 600 milliards d’armes supplémentaires aux Etats-Unis. La Suisse aurait elle aussi présenté de grands projets d’investissement à Trump. En vain. Le prix des médicaments a-t-il fait pencher la balance?

Comment cela a-t-il pu se produire?

La réponse tient probablement à l’imprévisibilité de Trump. Il y a encore quelques jours, la Berne fédérale se montrait confiante. Mais chaque accord doit passer par le Bureau ovale. Si Trump dit non, même son ministre des Finances Scott Bessent – rencontré par Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin à Genève – n’y pourra rien.

Y a-t-il encore une lueur d'espoir pour la Suisse?

Un accord de dernière minute semblait peu probable. Mais une issue pourrait venir de l’extérieur: selon Thomas Cottier, professeur émérite de droit européen et de droit économique international à l’Université de Berne, ces droits de douane sont tout simplement illégaux. C’est ce qu’il a déclaré à Blick jeudi matin – avant même l’annonce de l’échec. Pour lui, les «droits de douane exorbitants» de l’administration Trump violent les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La Suisse pourrait certes porter plainte auprès de l’OMC, mais l’issue reste incertaine. «Une procédure permettrait de constater l’illégalité de cette politique», estime Thomas Cottier. Ce n’est qu’à ce moment-là que la Suisse pourrait menacer de représailles. Mais dans les faits, c’est peu réaliste: Trump a toujours réagi de manière encore plus sévère face aux contre-mesures.

De plus, la Suisse est trop petite pour faire pression seule sur les Etats-Unis. Et il semble improbable que d’autres alliés se joignent à elle.

Des critiques émergent aux Etats-Unis

Jeudi, une cour d’appel fédérale a exprimé des doutes sur la légalité des droits de douane spéciaux imposés par Trump. Cinq petites entreprises américaines, ainsi que douze Etats démocrates, ont saisi la justice.

Leur argument? Selon la Constitution, seul le Congrès – et non le président – a compétence en matière douanière. Une première instance leur a donné raison le 28 mai. L’affaire pourrait remonter jusqu’à la Cour suprême, mais une décision finale prendra du temps.

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