Invoquer sans cesse la menace russe qui pèse sur l’Europe n’est, de loin, pas la potion magique pour une solide défense européenne. Alors que la garantie de l’OTAN, l’Alliance atlantique, est aujourd’hui jugée chancelante par les 31 pays membres de l’organisation, alliés des Etats-Unis, l’important est de faire émerger à la fois une véritable industrie de l’armement à l’échelle continentale, mais aussi de faire en sorte que les armées des différents pays européens puissent se secourir en cas d’attaque.
C’est le projet que vient de présenter, ce mercredi 19 novembre, la Commission européenne à Bruxelles. Il pourrait à terme inclure la Suisse, conformément à la volonté du Conseil fédéral de conclure un partenariat de sécurité et de défense avec l’UE, sans remettre en cause la neutralité de la Confédération. C’est ce que le chef du Département fédéral des Affaires étrangères Ignazio Cassis était venu proposer dans la capitale belge le 25 juin. Une condition sine qua non pour que les industriels suisses de l’armement puissent, à l’avenir, bénéficier des commandes communautaires.
Mobilité militaire européenne
Le programme présenté à Bruxelles porte un nom: la «mobilité militaire européenne». Il s’agit en fait de constituer, ni plus ni moins, une forme d’espace Schengen de libre circulation pour les armées, et surtout pour leur matériel lourd: tanks, artillerie, convois de ravitaillement routiers ou ferroviaires. «Quatre corridors multimodaux prioritaires pour la mobilité militaire — destinés à des mouvements militaires de grande ampleur et à court préavis — ainsi que des exigences communes en matière d’infrastructures militaires seront constitués. Ils permettront de renforcer la coopération et une planification cohérente des investissements entre les États membres, par-delà les frontières» peut-on lire dans le document présenté par la Haute représentante pour les Affaires étrangères, l’Estonienne Kaja Kallas.
Premier objectif: la réalisation d’un réseau transeuropéen de transport répondant aux besoins civils et militaires. 95 projets à double usage sélectionnés ont déjà été sélectionnés dans 21 États membres. Il s’agit, par exemple, de renforcer les routes, les ponts ou de modifier l’écartement des rails pour assurer la fluidité du transport en cas de guerre ou de déplacement rapide de troupes par voie terrestre.
Moyens de transport
Deuxième objectif: Améliorer la connaissance au niveau de l’UE des moyens de transport disponibles, optimiser l’utilisation de ces capacités et combler les lacunes capacitaires au sein de l’Union. Deux priorités sont affichées par Bruxelles, auxquelles la Suisse, pays associé, pourrait contribuer: des systèmes numériques d’échange d’informations, et une mutualisation des moyens de transport aérien de fret hors gabarit, c’est-à-dire l’achat d’avions-cargos dont les capacités dépassent celles du A400 d’Airbus.
«Les forces des États membres de l’UE doivent être en mesure d’assurer le transport militaire de matériel, de marchandises et de passagers au sein de l’Union et au-delà de ses frontières extérieures, tout en minimisant et en atténuant l’impact de ces transports sur le trafic civil, et de répondre rapidement et à une échelle suffisante aux crises qui éclatent aux frontières extérieures de l’UE et au-delà. En outre, l’agression russe contre l’Ukraine montre chaque jour à quel point il est important d’acheminer l’aide et les fournitures militaires aussi rapidement et sans accroc que possible» poursuit le texte présenté à Bruxelles. Avant de lister des «obstacles significatifs»: règles nationales divergentes, procédures fragmentées, absence d’une coordination claire…
Double usage
«L’infrastructure de transport de l’UE n’est pas suffisamment adaptée aux besoins à double usage et reste vulnérable aux perturbations. L’accès aux carburants pour les opérations de transport militaire demeure un défi. Les capacités de transport à double usage, essentielles pour les opérations de transport militaire, restent limitées» poursuit le texte.
Ce «Schengen militaire» désigne une zone dans laquelle les armes et les troupes pourraient circuler aussi librement que les citoyens ordinaires dans la zone de libre circulation dont la Suisse est membre à part entière depuis 2008. Les règles normales de transport pourraient être suspendues en cas d’urgence, donnant aux armées un accès prioritaire aux infrastructures et aux services essentiels. Il faut environ 45 jours pour transporter des troupes depuis les ports stratégiques occidentaux vers les pays limitrophes de la Russie ou de l’Ukraine. L’ambition de ce plan sur la mobilité militaire est de réduire ce délai à cinq, voire trois jours. L’un des projets phares est celui de la liaison ferroviaire Rail Baltica, ligne à grande vitesse reliant l’Estonie à la Pologne, via la Lettonie et la Lituanie.
En 2023, la France avait dû renoncer à envoyer par voie terrestre des chars en Roumanie après l’invasion russe de l’Ukraine, les douanes allemandes les jugeant trop lourds pour les routes locales. Ils avaient dû transiter par bateau via la Méditerranée.