Bruxelles à court de plan B
L'UE dans l'impasse pour sauver une Ukraine bientôt à sec

L’Union européenne (UE) doit financer plus de 130 milliards d’euros pour l’Ukraine qui arrive à court de liquidités. Mais les options discutées à Bruxelles semblent toutes mener vers une impasse politique ou financière
Publié: 05:04 heures
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Dernière mise à jour: 05:18 heures
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L'Ukraine aura besoin de 70 milliards d'euros en 2026.
Photo: EPA/SERGEY KOZLOV

L’Ukraine aura besoin l’an prochain de plus de 70 milliards d’euros pour financer sa guerre contre Moscou, que les Vingt-Sept devront assumer pour l’essentiel, selon un document de la Commission européenne détaillant trois options pour boucler ce financement.

«L’ampleur du déficit de financement de l’Ukraine est significative», avertit la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans une lettre accompagnant ce document, consultée par plusieurs médias, dont l’AFP et le «New York Times». Dans ce courrier, elle prévient qu’il n’existe «aucune solution parfaite ni simple» et que les alternatives au plan principal seraient plus coûteuses politiquement et financièrement.

L’Union européenne s’est engagée lors d’un sommet d’octobre à couvrir les besoins de Kiev pour la période 2026-2027. Selon les estimations du FMI reprises par la Commission, ces besoins atteignent environ 135,7 milliards d’euros sur deux ans, dont quelque 51,6 milliards pour le seul soutien militaire en 2026. Sans accord rapide, l’Ukraine se retrouverait à court de liquidités dès la fin du premier trimestre 2026, prévient Bruxelles.

Une solution inédite

Face à l’urgence, la Commission met formellement sur la table trois scénarios. L'option privilégiée consiste en un prêt garanti par les avoirs russes gelés, soutenue par plusieurs grandes capitales. Mais cette solution totalement inédite se voit bloquée par la Belgique, qui réclame des garanties explicites de partage des risques en cas de procès ou de demande de remboursement russe. 

Environ 210 milliards d’euros d’avoirs russes sont immobilisés dans l’Union, dont la majeure partie chez Euroclear, à Bruxelles. La Commission propose de s’appuyer sur 140 milliards pour garantir un prêt du même montant, que l’Ukraine ne commencerait à rembourser que si la Russie verse des réparations de guerre.

La Belgique craint d’être la seule exposée, puisque la plupart des avoirs – et donc la juridiction – se trouvent sur son territoire. Pour tenter de lever ce veto, la Commission promet désormais, dans sa lettre, que la solidarité des 27 sera juridiquement garantie: les Etats membres devraient assumer ensemble d’éventuels recours russes ou une évolution du statut des avoirs gelés. Elle suggère aussi d’inclure d’autres poches d’actifs russes détenus en France ou au Luxembourg, afin de diluer davantage le risque pour la Belgique, selon le «Financial Times».

Des scénarios compliqués

Deux autres scénarios sont détaillés dans la lettre de la Commission, en guise de plans de secours. Ces autres solutions consisteraient à émettre une dette commune ou fournir dons directs des Etats membres.

Dans l’hypothèse de dons nationaux, la Commission estime qu’il faudrait au minimum 90 milliards d’euros de subventions d’ici 2027, à condition que la guerre se termine en 2026 et que les autres alliés de Kiev financent le reste. Une somme politiquement délicate dans des pays déjà très endettés et confrontés à la montée des partis souverainistes.

L’option d’un nouvel emprunt commun, sur le modèle de l’instrument post-Covid, aurait l’avantage de lisser l’effort dans le temps, mais ses intérêts seraient assumés par les Etats membres, qui devraient en outre fournir des garanties «inconditionnelles et irrévocables» au cas où l’Ukraine ne pourrait pas rembourser. Plusieurs pays du Nord ont déjà exprimé leur hostilité à toute nouvelle mutualisation de dette, ce qui rend cette voie politiquement très incertaine.

Malgré les risques du plan adossé aux avoirs russes, «ne pas aider financièrement l’Ukraine n’est pas une option», assurent des responsables européens cités par le «New York Times», lundi 17 novembre. Les alternatives seraient plus douloureuses encore, tout en envoyant au Kremlin le signal que «le temps joue en sa faveur».

L'UE prend le relais des Etats-Unis

Depuis 2024, l’Europe a progressivement pris le relais des Etats-Unis comme principal bailleur de fonds de l’armée ukrainienne, tout en restant très dépendante de l’industrie d’armement américaine. Selon des informations du «Monde» publiées le lundi 17 novembre, les Vingt-Sept ont déjà financé environ 50 milliards d’euros d’aide militaire à Kiev début 2025, et de nouveaux instruments – comme le programme SAFE (jusqu’à 150 milliards d’euros pour la défense européenne et l’Ukraine) ou le programme EDIP pour soutenir l’industrie de défense – doivent monter en puissance.

Malgré le discours sur «l’autonomie stratégique», une part substantielle de ces montants pourrait, in fine, servir à acheter des armes américaines, notamment via les achats groupés pilotés par l’OTAN (PURL) et les multiples dérogations permettant d’intégrer des composants non européens. Autrement dit, même si l’UE parvient à financer les 135,7 milliards d’euros de besoins identifiés par la Commission, le bénéficiaire industriel ne sera pas exclusivement européen.

Soutien de l'Allemagne et de la France

L’Allemagne prévoit d’engager, à elle seule, jusqu’à 11,5 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine en 2026, tandis que la France n’a budgété qu’un peu plus de 120 millions d’euros à ce stade, misant largement sur les dividendes des avoirs russes gelés. Cette «ambivalence» française illustre combien le succès ou l’échec du prêt garanti par les actifs russes pèsera différemment sur les capitales, et explique la nervosité des négociations à l’approche du sommet européen des 18-19 décembre.

Un compromis pourrait alors consister à mélanger les différentes solutions, au moins à court terme, en ayant recours à des dons directs et à un emprunt limité, indique encore ce document.

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