Tous les prétextes sont bons. A Paris, la ministre de l’Agriculture affirme ne rien connaître des détails de l’accord. A Berlin, le chancelier Friedrich Merz laisse certains cadres du Parti social-démocrate, partenaire de sa coalition, fulminer contre le «traité inégal» infligé par Donald Trump à l’Union européenne.
En Espagne, le président du conseil Pedro Sánchez, seul à avoir tenu tête au chef de l’Etat américain lors du sommet de l’OTAN fin juin, déplore la domination de Washington. Toutes ces paroles officielles, reprises et amplifiées dans les médias, laissent croire que le «deal» scellé le 27 juillet en Ecosse peut être renégocié. Erreur. Ou plutôt mensonges, car tous les gouvernements savent que ce n’est pas possible.
La parole donnée
La première raison sur laquelle butent tous ces rebelles commerciaux de la dernière heure est la parole donnée, au clubhouse du golf de Turnberry, par Ursula von der Leyen. La présidente de la Commission européenne – qui irrite régulièrement les pays membres parce qu’elle s’arroge des pouvoirs qu’elle n’a pas – a elle-même prononcé en anglais devant Donald Trump la fameuse phrase «We have a deal» (Nous avons un accord).
Elle s’est ensuite félicitée, devant les caméras, du fait que les futurs tarifs douaniers américains à 15% vont permettre de rééquilibrer les inégalités commerciales transatlantiques. Plus qu’une parole, une promesse publique. Impossible, affirment ceux qui connaissent bien Trump, que ce dernier accepte de voir piétiné ce futur accord qu’il a aussitôt présenté comme une victoire sur les réseaux sociaux.
Règles européennes
La deuxième raison tient aux règles européennes. Les mesures commerciales de rétorsion préparées par la Commission pour un montant estimé de 93 milliards d’euros, avaient pour but d’être une riposte, en cas de non-accord. Le fameux instrument de coercition de l’UE, son «arme secrète» a été conçu comme une arme à utiliser en cas de conflit avec un partenaire. Or là, il n’y a plus de conflit! Du moins officiellement.
Le problème ne vient pas du désaccord avec les Etats-Unis, mais du refus d’accepter l’accord tel quel dans certaines capitales, comme Paris. Impossible, dès lors, d’espérer obtenir un vote à la majorité qualifiée des 27 pays membres pour activer ce bazooka. Le déclencher avant, pour faire pression sur Trump, aurait eu du sens. Maintenant, c’est trop tard.
Le secteur privé dit oui
La troisième raison pour laquelle les Européens doivent maintenant avaler cet accord, aussi désagréable soit-il, est que le secteur privé le veut. L’obsession des exportateurs était d’obtenir une stabilité dans les futurs échanges transatlantiques. Même une filière très vulnérable, comme celle des vins, préfère un accord à un conflit commercial. La raison? Aucun marché ne peut remplacer pour le moment le marché américain. Alors que les 15% de taxes supplémentaires à l’entrée aux Etats-Unis peuvent être absorbées à parité entre les fournisseurs et leurs clients.
Taxation du numérique
Quatrième raison enfin: imaginer déclencher maintenant une bataille sur la taxation des géants du numérique, comme le réclame la France, est une illusion. Pour l’administration Trump, il est hors de question de laisser taxer les services. Toute tentative de le faire déclenchera un tir de barrage.
Or la dépendance européenne vis-à-vis des GAFAM, les géants de l’Internet, en particulier pour le stockage des données et l’intelligence artificielle, fait que ces derniers sont en position de force. D’autant que plusieurs pays, dont l’Irlande (où ces compagnies sont souvent basées) ne veulent surtout pas s’en prendre à leurs «poules aux œufs d’or».
Renégocier le «deal» passé avec Trump est une illusion. L’affaire est entendue, y compris pour les marchés financiers qui avaient anticipé une capitulation de l’UE. La vérité est que le locataire de la Maison Blanche a gagné son bras de fer. Il peut, en plus, compter sur les divergences entre pays de l’UE si le «deal» de Turnberry était remis en cause. Les 15% de tarifs, et l’ouverture accrue du grand marché européen aux produits «Made in USA» sont acquis. Les 750 milliards d’euros d’achats énergétiques aussi.
Investir aux Etats-Unis?
Reste une interrogation sur les 600 milliards d’euros d’investissements privés promis aux Etats-Unis. Sauf que chaque entreprise européenne exportatrice se pose aujourd’hui une seule question: ne vaut-il pas mieux, pour sécuriser clients et profits américains, produire demain de l’autre côté de l’Atlantique?