Ancien président de «Médecins sans frontières», universitaire spécialiste du droit international humanitaire, Rony Brauman suit au jour le jour la tragédie qui se déroule à Gaza. Très critique de l’actuel pouvoir israélien, il évalue pour Blick les maigres chances de succès du plan de paix présenté par Donald Trump.
Rony Brauman sera présent ce vendredi 3 octobre pour une conversation sur Israël-Palestine à la librairie de l’Olivier à Genève, puis il participera à un débat très attendu sur le même thème aux rencontres Orient-Occident de Sierre (VS) samedi 4 octobre à 14 heures.
Rony Brauman, vous avez évidemment lu les 20 points du plan de paix sur Gaza proposé par Donald Trump le 29 septembre. Un plan de paix, vraiment?
C’est toute la question. Car ce que veut ce plan, et ce qu’il propose, ne correspond ni à l’atroce réalité du terrain, ni à la situation engendrée par deux années de massacres et de souffrances, depuis l’assaut du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Les vingt points du plan Trump proposent, tout simplement, d’effacer ces deux années et ce qui a précédé. Comme s’il était possible de revenir au 6 octobre, à la veille de l’horreur dont on ne peut pas ignorer les causes profondes: les conditions de vie des Palestiniens à Gaza, le blocus israélien, la colonisation qui se poursuit toujours plus sur les terres palestiniennes. Je ne vois pas d’espoir dans ce plan, car l’essentiel n’y figure pas. Je le répète: «Où est l'espoir de paix?»
Il est pourtant fait mention de l’aspiration des Palestiniens à un Etat. L’un des éléments clefs de ce plan, rappelons-le, est par ailleurs d’éliminer le Hamas, qu’Israël considère comme une menace existentielle…
Lisez bien les vingt points du plan Trump: ils reprennent, sur le Hamas comme sur l’administration future de la bande de Gaza, les conditions impératives fixées par Israël. Alors qu’ils listent au contraire de manière hypothétique, non datée, les aspirations palestiniennes. L’asymétrie est criante. Tout ce qui concerne la population palestinienne et son avenir est aléatoire. Le retrait de l’armée israélienne n’est pas fixé. Tous les engagements israéliens sont au conditionnel. Quant au Hamas, comment croire que son idéologie et sa capacité d’action politique peuvent être rayées de la carte par un trait de plume américain?
Vous pensez donc que le Hamas, qui continue de détenir une cinquantaine d’otages, de justifier les actions terroristes et d’appeler à destruction d’Israël, va perdurer?
Je regarde les faits. Les crimes perpétrés par le Hamas sont horribles. Je combats son idéologie. Mais ouvrons les yeux: l’armée israélienne a décapité militairement le Hamas. C’est fait depuis un an. Or regardez ce qui se passe à Gaza et dans l’opinion publique mondiale: le Hamas est toujours là, avec sa même idéologie islamiste, omniprésent dans les têtes et dans les débats publics, incontournable dans les pays arabes. On peut démanteler des infrastructures terroristes. On peut neutraliser le Hamas sur le plan militaire. Et après? La neutralisation politique, elle, est illusoire. Elle n’existe pas. Et le plan Trump, avec son projet d’exfiltration des membres du mouvement hors de la bande de Gaza, ne réglera pas ce problème. Pourquoi? Parce que le désir de vengeance est désormais omniprésent dans la population palestinienne assiégée, massacrée, humiliée à Gaza. Ces deux ans de guerre ont produit, des deux côtés, en Israël comme à Gaza et en Cisjordanie, une haine démesurée que les missiles et les drones ne parviendront pas à éteindre. On n’élimine pas les idées avec les obus.
Revenons sur le plan de paix proposé par Trump. Peut-il changer la donne en Israël où une partie de la population s’oppose toujours, avec force, au gouvernement de Benjamin Netanyahu?
Vous avez raison de faire la différence entre la population Israélienne et le gouvernement Netanyahu. On voit depuis deux ans, et j’en connais beaucoup, des groupes d’Israéliens choqués par ce qui se passe à Gaza, effrayés par l’ampleur des crimes de guerre commis, conscients de l’engrenage terrible dans lequel leur pays est engagé. Ce qui me frappe en revanche, au moment où nous parlons, c’est le suivisme des forces politiques. Aucun leader de l’opposition n’a formulé une alternative crédible à la loi de la force, du sang et de la peur mise en œuvre par Netanyahu. Une partie de la population israélienne est effrayée par ce qui se passe à Gaza, mais il n’y a pas de plan B. Aucune association, aucun mouvement n’a la force d’âme de dire «non» et de défendre un futur Etat palestinien digne de ce nom. Le plan de paix présenté par Trump mise sur l’assentiment de ces Israéliens tétanisés.
La flottille qui vient d’être arraisonnée par l’armée israélienne au large de Gaza n’a pas réussi à sensibiliser l’opinion? Le message ne passe pas?
Je vais juste vous citer un fait: au moment même où la flottille était stoppée par les navires de guerre israéliens, une équipe de volontaires palestiniens de «Médecins sans frontières» était victime d’une frappe israélienne à Gaza. Bilan: un mort et quatre blessés. Ils attendaient un bus pour les amener à leur clinique, pour traiter des malades et sauver des vies! Que pèse l’émotion médiatique soulevée, en Europe, par cette flottille, face aux chiffres: 90% des victimes palestiniennes à Gaza n’ont rien à voir avec le Hamas. Ce que je veux dire par là est aussi clair qu’effrayant: l’actuel gouvernement israélien ne s’estime lié par aucune convention internationale, aucun traité, aucune obligation humanitaire.
C’est cela, le cœur du problème: l’impunité dont jouit l’Etat d’Israël?
Je ne dis pas qu’il y a impunité. Je dis que nous faisons face à un Etat qui bénéficie de la complicité et du silence de nos démocraties occidentales, de nos Etats de droit. Or cela n’était jamais arrivé face aux grandes tragédies humanitaires. Le fait qu’un pays considéré lui aussi comme une démocratie commette de tels crimes nous place devant une situation intenable. Même si l’on écarte l’incrimination de génocide à Gaza, que voit-on? Des crimes de guerre, une volonté évidente d’épuration ethnique. C’est objectif. Ce sont des faits. Je ne passe pas sous silence l’horreur des crimes commis par le Hamas. Je constate où nous en sommes, deux ans après le 7 octobre 2023. Or Israël reste l’un d’entre nous. Presque un Etat européen. Israël demeure membre de l’UEFA, de l’Eurovision, et bénéficie d’un accord commercial qui l’arrime au grand marché européen. Est-ce tenable? A mon avis non. L’Espagne a ouvert la voie de la dissidence et du refus d’en rester là. La population israélienne doit se rendre compte de l’impact des actes commis par son gouvernement.
D’autant qu’en Cisjordanie, la colonisation se poursuit…
Là aussi, regardons les faits: cette colonisation est un poison destiné à tuer toute velléité d’Etat palestinien. Tous les Palestiniens établis en Cisjordanie vivent à moins de deux kilomètres d’une colonie juive. Il s’agit de miter le territoire, d’empêcher toute continuité géographique. Soyons clairs aussi: aucun gouvernement israélien ne prendra aujourd’hui, au nom de la paix, le risque d’une guerre civile en ordonnant l’évacuation de ces colons. Cela nous ramène au plan de paix pour Gaza présenté par Trump. Où est l’espoir pour les Palestiniens de Cisjordanie? Où est la perspective d’avenir?
A ne pas manquer: «Israël-Palestine: un dialogue est-il encore possible»? Débat avec Hala Abou Hassira, cheffe de la mission de Palestine à Paris et Rony Brauman, samedi 4 octobre à 14h00 au Château Mercier à Sierre (VS)