Sur la Méditerranée, en direction de Gaza, la «flottille de la liberté» ne sait pas ce qui l’attend. A bord de la cinquantaine d’embarcations, en ce mardi 30 septembre, se trouvent 19 citoyens et citoyennes suisses – et trois personnes qui résident dans notre pays. Comme une commission de l’ONU depuis peu, ils dénoncent un génocide commis par Israël sur les Palestiniens de Gaza.
Partie de Barcelone il y a un mois, le 1er septembre, la Global Sumud Flotilla (GSF) pourrait être interceptée durant «les prochaines heures» par les autorités israéliennes. Quand et de quelle manière? Le nombre de bateaux et de personnes à bord seront-ils suffisants pour atteindre les côtes de Gaza et décharger l’aide humanitaire promise? Que feront les soutiens internationaux de la flottille, notamment l’Espagne, l’Italie et la Turquie qui ont affrété des frégates militaires pour accompagner la GSF? Impossible de le dire.
Blick fait le point sur la situation en quatre questions. Ancien maire de Genève, situé à gauche de la gauche, Rémy Pagani (Union populaire) fait partie des navigateurs au passeport suisse et nous livre son ressenti. Depuis la terre ferme, Annie Serratì – coordinatrice de Waves of Freedom (WOWA), la délégation suisse du mouvement – détaille les discussions en cours avec le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) sur la protection des ressortissants suisses.
Où en est la flottille?
«Nous avons un joli vent arrière, qui nous pousse en direction de Gaza», explique Rémy Pagani depuis le Mango, un des bateaux de tête. Ce mardi soir, un tracker (une carte suivant chaque bateau) nous apprend que le gros de la flottille se trouve à environ 200 miles nautiques des côtes de Gaza, soit un peu moins de 400 kilomètres. En avançant à une vitesse moyenne de presque 5 nœuds (10 km/h), il reste une quarantaine d’heures de navigation avant d’atteindre l’enclave.
Du moins, si Israël l’accepte. A bord et du côté de l’organisation Waves of Freedom, on envisage plutôt la «ligne rouge» comme la prochaine grosse étape. «C’est le début de la zone où les Israéliens considèrent faire un 'blocus maritime légal', selon leur conception du droit, explique Rémy Pagani. A partir de là, on risque les attaques, l’arraisonnement, le piratage ou le kidnapping.»
Cette limite, qui se rapproche, est établie aussi bien par les décisions israéliennes que par l’expérience des bateaux envoyés «briser le blocus». En juin dernier, l’équipage du Madleen – dont faisaient partie la militante Greta Thunberg et l’eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan (LFI) – avait été intercepté juste avant d’atteindre cette «ligne rouge». Un mois plus tard, le Handala n’avait pas pu s’aventurer bien plus loin.
«Une interception est déjà possible dans les prochaines heures, commente Annie Serratì, coordinatrice de Waves of Freedom. En attendant, nous poursuivons notre travail concernant les responsabilités de nos autorités.» Après trois «attaques de drones», rapportées par la coalition les 8 et 9 septembre près de Tunis puis le 23 au sud de la Grèce, la flottille pourrait rencontrer de nouvelles difficultés dès cette nuit de mardi à mercredi.
Quelle réaction attendre d’Israël?
L’inconnu reste de mise: tout dépendra de la réaction du gouvernement de Benjamin Netanyahu, voyant approcher de la cinquantaine de navires de la bande de Gaza. Lundi 22 septembre, Israël a affirmé qu’il n’autoriserait pas à la flottille en route vers Gaza à briser son blocus du territoire palestinien. «Israël ne permettra pas à des navires d’entrer dans une zone de combat active et ne permettra pas la violation d’un blocus naval légal», a déclaré le ministère israélien des Affaires étrangères dans un communiqué.
Jeudi dernier, le DFAE a répondu sur son site aux «nombreux courriels» reçus demandant une protection des membres de la flottille. Le département indique avoir «de nouveau rappelé le 24 septembre aux autorités israéliennes à Berne qu’elles devaient respecter leurs obligations». En somme, «toute intervention contre la flottille doit être conforme aux principes de nécessité et de proportionnalité» et «la protection de la population civile doit être garantie à tout moment».
Annie Serratì relate sa récente discussion avec le DFAE survenue ce mardi 30 septembre: «Le Département fédéral des affaires étrangères nous a transmis que, selon les informations communiquées par Israël, une intervention ferme contre la flottille est envisagée. Il a également été mentionné que la période de Yom Kippour pourrait accroître les tensions, ce qui expose les participants à des risques importants pour leur sécurité et leur intégrité.» Cette fête religieuse juive, jour férié en Israël, aura lieu du 1er au 2 octobre et implique de jeûner, de prier et de ne pas travailler.
Sur les bateaux, les militants gardent espoir. «Il y a deux scénarios possibles, estime Rémy Pagani. Soit, nous sommes arraisonnés par Israël et les frégates européennes qui nous accompagnent restent les bras croisés. On passerait alors par la case prison, puis devant un juge. Soit le gouvernement israélien cède à la pression internationale et on peut accoster à Gaza et livrer nos marchandises via le Croissant-Rouge turc.»
Le DFAE protégera-t-il les ressortissants suisses de la flottille?
Waves of Freedom souhaite «établir une collaboration durable avec le DFAE, car ces missions civiles vont se poursuivre». Pour ce faire, l’organisation s’est entourée d’une équipe d’avocats suisses, pour représenter les participants suisses. «Ils assurent les relations avec le DFAE ainsi qu’avec les services consulaires des ambassades, afin de garantir leur protection, précise Annie Serratì. En cas d’interception, c’est Adalah, centre juridique indépendant basé à Haïfa et dédié à la défense des droits de la minorité arabe en Israël, qui prendra en charge les dossiers des participants à la flottille.»
Mais en cas de réponses jugées insatisfaisantes, l’organisation fondée par le médecin valaisan Hicham El Ghaoui, envisage d’entrer dans un rapport de force avec les autorités. «Nous demandons des mesures concrètes. En cas d’interception ou de blessure grave, quelle est la stratégie de coopération prévue avec le DFAE? Cela n’a pas encore été précisé. Comment réagir dans tel ou tel scénario? Si ces questions demeurent sans réponse claire, nous serons dans l’obligation de rendre cette situation publique et d’organiser une conférence de presse en présence de nos avocates et de membres de l’équipage.»
Sur son site, le DFAE déconseille sans surprise tout voyage vers Gaza et renvoie pour le moment la responsabilité aux membres suisses de la GSF: «En tentant de s’approcher par la mer, les participants à la flottille s’exposent à des dangers considérables pour leur vie et leur intégrité physique.» Le Département assure qu’en cas «de difficultés», la Confédération «apportera l’assistance consulaire prévue par la loi» et «interviendra le cas échéant auprès des autorités israéliennes afin de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes concernées». Pour les militants, cette réponse reste insuffisante.
«Par rapport à notre protection, nous voulons que la Suisse arrête de dire qu’il s’agit de notre propre responsabilité, enrage l’ex-maire de Genève devenu navigateur. Les Conventions de Genève imposent aux Etats signataires la protection des personnes et des organisations qui apportent une aide humanitaire.» Même topo du côté de la coordinatrice de WOWA: «Quand les Conventions de Genève ne sont pas respectées, elles perdent toute crédibilité. Le droit n’est pas une option mais une obligation, et la Suisse, en tant que dépositaire, doit en répondre.»
Quel état d’esprit sur les bateaux?
Toutes ces perspectives ne sont pas particulièrement réjouissantes pour les militants qui se sont embarqués sur la flottille. «L’ambiance à bord est bonne, mais concentrée sur la mission, décrit Rémy Pagani. Les préoccupations personnelles passent après.» Il compare sa détermination et celle de ses camarades d’équipage à «celle de professionnels qui vont au secours de personnes en détresse». Le politicien genevois de gauche continue: «On ne demanderait pas à des sauveteurs de la REGA ou à des ambulanciers comment ils se sentent à l’idée de prendre des risques.»
Pour autant, le DFAE accorde assez peu de considération à cette «mission strictement humanitaire, portée par la société civile pour défendre les droits humains». Le Département des Affaires étrangères indique avant tout poursuivre «son soutien aux acteurs humanitaires, notamment onusiens et du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui ont la plus grande expertise et capacité d’apporter l’assistance humanitaire à tous les civils dans le besoin, en quantité suffisante et de manière indiscriminée».
Du côté des Suisses, le conseiller fédéral à la tête du DFAE reste la cible des critiques: «Ignazio Cassis est médecin de profession, il a fait serment de soigner tout le monde sans discrimination. Je ne comprends pas que sa conscience ne lui dicte pas d’être avec nous, sur un bateau», réitère Rémy Pagani.
L’équipage de «la plus grande flottille humanitaire de l’histoire», soutenu et observé par des centaines de personnalités et des milliers de civils est désormais dans l’attente d’une intervention israélienne – qui ne constituerait pas particulièrement un échec sur le plan de la communication. «Nos participants s’engagent à une conduite non violente et sont formés à réagir de manière appropriée, c’est-à-dire pacifiste, en cas d’interception», assure Annie Serratì. Un engagement formulé par écrit sur le site de Waves of Freedom. «En menant cette action, nous mettons en lumière des responsabilités que les Etats devraient assumer en contexte de crise humanitaire», conclut la coordinatrice.