Ce médecin valaisan marchera vers Gaza avec 350 Suisses
«Quand les politiciens ne font pas leur travail, c’est aux citoyens de le faire»

Trois fois déjà, le Dr Hicham El Ghaoui s’est rendu dans la bande de Gaza comme médecin urgentiste. Aujourd’hui, il est l’un des initiateurs de la «Global March to Gaza», un mouvement citoyen qui partira du Caire le 12 juin jusqu'à Rafah. Interview
Publié: 11.06.2025 à 05:43 heures
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Dernière mise à jour: 11.06.2025 à 06:27 heures
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Le Dr Hicham El Ghaoui, un médecin valaisan est un des initiateurs de la «Global March to Gaza».
Photo: Facebook Hicham El Ghaoui
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Alors que la bande de Gaza vit l’une des pires crises humanitaires de son histoire, une marche internationale s’élance cette semaine depuis le Caire, direction la frontière égyptienne à Rafah. Objectif: briser symboliquement le blocus et exiger l’entrée massive d’aide humanitaire. Parmi les initiateurs, le Dr Hicham El Ghaoui, médecin valaisan, qui s’est rendu à trois reprises dans l’enclave palestinienne. Marqué par l’impuissance de la médecine face à l’horreur, il a troqué la blouse pour la banderole. Entretien avec un homme porté par la colère, la compassion et l’espoir d’un miracle.

Hicham El Ghaoui, vous êtes déjà allé trois fois à Gaza en tant que médecin. Pourquoi organiser cette marche aujourd’hui?
L’échec de ces missions m’a poussé à passer à une autre forme d’action. On peut raisonnablement parler d’échec quand, en tant que médecin, on ne peut apporter ni médicaments ni équipements. La majorité des patients qui arrivent dans les hôpitaux meurent dans les jours ou les semaines qui suivent. Le rendement médical est nul. Et quand on revient en Suisse, on est habité par une immense frustration. Il fallait faire quelque chose d’autre.

Quel est le message que vous voulez porter avec cette marche?
Aujourd’hui, l’aide humanitaire qui passe au compte-gouttes ne sert qu’à maintenir Gaza sous perfusion, tout en donnant au monde l’illusion que la situation est sous contrôle. C’est faux. Les collectes de dons, c’est bien, mais si l’aide est bloquée, à quoi bon? La seule chose que je pouvais faire en tant que citoyen, c’était de me rendre sur place et de protester. Cela fait 20 mois qu’on manifeste en Europe, de manière encadrée, et rien ne change. Là, on veut aller plus loin. On veut dire à toutes ces personnes mobilisées: «Venez, marchons ensemble en Egypte jusqu’au terminal de Rafah. L’impact sera décuplé.»

Combien de personnes attendez-vous?
C’est difficile à dire. Il y a aussi le mouvement Sumud, une initiative humanitaire tunisienne indépendante, qui va nous rejoindre. Ils seront plus de 2000. Nous, nous estimons que nous serons entre 4000 et 5000 participants au total. On pourrait être plus, mais nous avons décidé de limiter le nombre pour garder un certain contrôle.

Hicham El Ghaoui lors d'une de ses missions humanitaires à Gaza en 2024
Photo: Hicham El Ghaoui

Les autorités égyptiennes vous ont-elles donné leur feu vert?
Non. Et elles ne le feront probablement pas. L’Egypte subit un contrôle très fort des Etats-Unis, voire d’Israël. Sa marge de manœuvre est très limitée. Elle est prise en étau dans ce conflit. Ce n’est pas notre cible. Notre message s’adresse à ceux qui financent l’invasion, à ceux qui livrent des armes à Israël. Les gouvernements européens ont le pouvoir d’agir, mais ils ne le font pas. Quand les politiciens ne font pas leur travail, c’est aux citoyens de le faire.

Cela dit, l’Egypte n’a pas non plus donné de feu rouge?
Depuis fin avril, nous sommes en contact avec les autorités. Notre démarche est transparente. J’ai même rencontré l’ambassadeur égyptien. Nous n’avons reçu aucune interdiction formelle. Nous demanderons l’autorisation sur place. Pourquoi l’Egypte refuserait-elle une marche dont le seul objectif est la paix?

L’une des garanties que vous avez données est de ne pas faire participer d’Egyptiens. Pourquoi?
Je le regrette, sincèrement. Mais il faut être lucide. Nous ne serions pas capables de canaliser des centaines de milliers d’Egyptiens. Nous n’avons ni les compétences ni les moyens de faire la distinction entre ceux qui veulent marcher pour Gaza et ceux qui en profiteraient pour manifester contre leur propre régime. On leur a suggéré de se tourner vers des ONG locales et de solliciter l’accord de leur gouvernement.

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Nous voulons rappeler à nos gouvernements que, contrairement à eux, nous n’oublions pas ce qui se passe à Gaza
Dr Hicham El Ghaoui, urgentiste et coordinateur de la «Global March to Gaza»
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Donc, au moment d’arriver au Caire, vous ne saurez pas si la marche pourra avoir lieu?
Exactement. Nous pensons que le point de blocage pourrait être au canal de Suez ou à Ismaïlia, sur l’itinéraire qui mène à El-Arich. Mais ils pourraient aussi nous arrêter dès l’aéroport. Ou même à l’hôtel.

Quel est l’objectif concret de cette marche ?
Un miracle. Dans l’idéal, nous espérons qu’elle contribue à mettre fin au blocus humanitaire. Que le Conseil européen prenne enfin des initiatives. Que le monde regarde. Nous voulons un impact médiatique mondial. Nous voulons que l’aide humanitaire entre enfin, et que les Gazaouis ne meurent plus de faim.

Beaucoup doutent que des citoyens puissent faire ce que les diplomates et humanitaires n’arrivent pas à obtenir…
Justement. Nous voulons rappeler à nos gouvernements que, contrairement à eux, nous n’oublions pas ce qui se passe à Gaza. Nous nous sentons tellement concernés que nous sommes prêts à marcher trois jours dans le désert. Notre message est clair: nous ne sommes pas d’accord avec le génocide en cours. Les gouvernements ont le pouvoir de changer les choses. Qu’ils le fassent.

Image du médecin valaisan montrant un centre de chirurgie complètement détruit à Gaza.
Photo: Hicham El Ghaoui

Qu’est-ce qui vous pousse à continuer? A votre retour de Gaza, vous aviez dit ne plus vouloir y retourner…
Le silence. C’est ce qui est le plus dur. Personne ne veut y aller. C’est une souffrance qu’on garde en soi. Un traumatisme. Mais rien ne change. Au contraire, la situation empire. Cela fait vingt mois qu’on se dit «ça ne peut pas être pire», et à chaque fois, on franchit un nouveau cap dans l’horreur. Les massacres s’intensifient, les conditions de vie se dégradent, et malgré tout, les Gazaouis tiennent bon. Leur résilience nous oblige. On oublie notre confort. Cette démarche, je la fais pour eux, mais aussi pour mes trois filles. Je refuse qu’elles grandissent dans un monde dans lequel il n’existe plus de droits humains. Je veux qu’elles puissent dire un jour: «Notre père a essayé. Il a lutté.» On ne peut pas accepter ce retour en arrière. Il faut défendre les droits humains.

Comment cette marche est-elle perçue à Gaza?
Tout le monde est au courant. Ils nous soutiennent. Les Gazaouis nous disent: «Venez, on vous attend.» Cela leur donne de l’espoir. Ils sont fiers de notre mouvement, mais aussi désespérés. Et malgré tout, ils nous encouragent.

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