Ursula von der Leyen ne joue pas au golf. Dommage. Car si cela avait été le cas, la présidente allemande de la Commission européenne aurait pu négocier le «deal» commercial entre l’Union et les Etats-Unis sur le parcours de Turnberry, en Ecosse. Donald Trump, qui s’y trouve depuis vendredi, aurait même pu la convoyer dans sa voiturette électrique. Mais il est vrai que le parcours commercial qui est au menu de leur rencontre de ce dimanche, à partir de 17h30, est bien plus compliqué qu’une partie de golf…
On connaît la donne. Les Etats-Unis ont fixé un ultimatum au 1er août, que le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, a réaffirmé ce week-end. L’affaire est donc entendue: soit la Commission européenne obtient, au nom des 27 pays membres de l’Union, un «deal» commercial avant cette date, soit les tarifs en vigueur sur les importations européennes aux Etats-Unis grimperont automatiquement de 10% (le premier seuil imposé par Trump) à 30%.
Un choc mondial
Un choc économique d’ampleur mondiale, vu l’importance des deux partenaires. A eux deux, les Etats-Unis et l’Union européenne représentent 30% du commerce mondial de biens et de services et 43% du Produit intérieur brut mondial.
L’Union est, sur le papier, celle qui a le plus à perdre dans cette négociation, et c’est bien pour cela que Trump appuie là où ça fait mal, en réitérant ses menaces tarifaires depuis son entrée en fonction. En 2024, le commerce transatlantique de biens et de services a atteint 1680 milliards d’euros, et 867 milliards pour les seuls produits (hors finance et numérique), chiffre qui a doublé depuis dix ans.
Trump est furieux
Ce qui rend Trump fou furieux est en revanche un autre chiffre: l’UE a importé en 2024 334,8 milliards d’euros de biens américains, alors qu’elle en exporte pour une valeur de 532,3 milliards d’euros d’exportations. Impossible, pour le président qui a promis de rendre à l’Amérique sa grandeur (Make America Great Again) d’accepter un tel déficit commercial envers des pays européens qu’il considère comme des vassaux, et qui viennent, au sein de l’OTAN, de lui promettre allégeance et commandes militaires lors du sommet de La Haye à la fin juin.
On sait aussi ce qui est sur la table des négociations en Ecosse: un possible accord sur des droits de douane américains de 15%, avec de possibles exemptions par secteurs. 15%, soit 5% de plus que ce qu’a obtenu le Royaume uni, et un chiffre identique à ce qu’a concédé le Japon (moyennant des promesses d’investissement à hauteur de 550 milliards aux Etats-Unis).
Berlin a peur
L’Allemagne, première économie européenne très dépendante de ses exportations outre-Atlantique (Berlin affiche, en 2024, un excédent commercial de 73 milliards d’euros avec la première puissance mondiale), plaide pour une solution négociée. Tout comme le milliardaire français Bernard Arnault, ou l’Italie de Giorgia Meloni, la Première ministre très proche de Trump.
Ce que l’on sait moins en revanche est que l’Union européenne, si elle le décidait, pourrait faire très mal au pays de Donald Trump. Un catalogue de contre-mesures sur l’aluminium et l’acier adopté en avril par les 27 entraînerait une perte sèche de 21 milliards d’euros pour les Etats-Unis. Un deuxième paquet de contre-mesures pour répondre aux droits de douane sur les automobiles et au «droit de douane de base» de 10% est également prêt à être avalisé. Sa valeur? 72 milliards d’euros. Les industriels américains accuseraient donc une perte sèche de près de 100 milliards, soit le tiers de leur volume d’exportations de 2024. Avec, à la clef, des fermetures d’usines et des pertes d’emplois…
Voici l’arme secrète
Cette arme secrète de l’Union européenne porte un nom: il s’agit de l’instrument anti-coercition adopté par les 27 en octobre 2023. Il permet à la Commission européenne, qui négocie au nom des pays membres, de lancer des contre-mesures contre un pays tiers, notamment un large éventail de restrictions liées au commerce, aux investissements et au financement. Or cet instrument pourrait devenir une bombe atomique commerciale si Bruxelles décide d’inclure dans sa riposte les services et en particulier le commerce des données numériques. La France plaide pour un tel bras de fer. Cela signifierait que les activités des géants de l’internet des réseaux sociaux seraient taxées, avec possibilité que le produit de cette taxe soit une nouvelle ressource propre dans le budget pluriannuel, dont l’ébauche a été présentée le 17 juillet par Ursula von der Leyen.
Evoquer devant Donald Trump cette «arme secrète» pourrait faire sortir le président américain de ses gonds. C’est bien pour cela que la discussion aura lieu en Ecosse avec la présidente de la Commission et non son négociateur en chef Maros Sefcovic. Il s’agit, en clair, de faire de la politique.
Promesses chinoises
L’Allemande revient de Chine où elle a rencontré Xi Jinping. Les pays européens ont, ces derniers temps, multiplié les commandes militaires aux industriels américains qui ne peuvent plus les honorer (la Suisse en sait quelque chose avec les missiles antiaériens Patriot et les avions F-35). L’Europe communautaire a donc les moyens d’affronter Trump. Mais le fera-t-elle alors que les prévisions économiques sont sombres pour 2025: 1,1% de croissance pour l’UE et 0,9% pour la zone euro, contre 2% pour les Etats-Unis qui accumulent les promesses d’investissement?
Dégainer une arme secrète ne suffit pas: il faut ensuite pouvoir l’utiliser. Et être certain de toucher son adversaire.